Actualité. Colère et mouvement social dès la rentrée.

La concordance « réforme des retraites » et affaire « Woerth-Bettencourt » a révélé au grand jour que le gouvernement et l’Etat sont, sans même s’en cacher, au service des exploiteurs et des profiteurs. Pour échapper à cette évidence, Sarkozy, Hortefeux et Besson n’ont pas hésité à sonner le tambour de la xénophobie d’État, du racisme ordinaire au point de révulser certains de leurs amis. Face à ce dégoût, ce sentiment d’injustice, ce rejet massif qui se sont exprimés, notamment dans les manifestations des 4 et 7 septembre, la question nous est posée : comment transformer cette crise politique en crise sociale majeure ?

La crise économique et financière mondiale est loin d’être finie, les solutions imposées par les gouvernements aggravent les injustices et les inégalités, mettant à mal l’avenir des jeunes – un risque de « génération perdue », annonce le Bureau International du Travail. Les économistes prédisent une récession durable.
Dans ce contexte, le feuilleton de l’été Woerth/Bettencourt a mis en évidence l’insolente richesse et l’indécence des collusions d’intérêts au plus haut niveau.
Il est tentant, dans ces conditions, pour un gouvernement et un Président de la République qui ont fait de la politique sécuritaire un instrument de vente de leur programme électoral, d’essayer de faire une diversion en cherchant un nouveau bouc émissaire. Après les jeunes des banlieues, les musulmans polygames, ce sont donc les Roms qui se sont retrouvés dans la tourmente, expulsés très médiatiquement comme des sans-droits.
Facile aussi de jouer dans l’opinion l’assimilation Roms-gens du voyage, ces populations dangereuses, ces « pas comme nous »… Pire encore, sans doute, la campagne orchestrée sur le risque de déchéance de nationalité (pourtant inconstitutionnelle et ils le savent !), entretenant sciemment un sentiment de précarité voire de terreur chez les jeunes issus de l’immigration.
Oui, ce gouvernement joue sur des ressorts qui font frémir… et réagir. Cela a été le cas avec les manifestations du 4 septembre, partout en France, rassemblant largement associations, organisations syndicales et politiques.
On n’en a pas fini avec cette volonté d’instiller méfiance et divisions dans la société, de la préparer à d’autres restrictions de droits et de libertés. Ne pas le voir, ne pas résister au quotidien serait inconscient et porteur d’autres drames futurs, car en France comme en Europe, l’extrême-droite avance ses pions.

**Rentrée scolaire… sous tensions

Conséquences des suppressions de postes, cafouillages intenses sur la formation (dont nous n’oublions pas qu’il est dû à la stratégie erronée de la direction du SNES sur une fameuse revalo !), le secteur de l’éducation avait de quoi réagir. Certes, la grève annoncée le 6 septembre par le SNES n’a pas vu une déferlante dans l’éducation mais elle a contribué à marquer dès les premiers jours le rejet des réformes à l’œuvre, la situation de crise dans les zones difficiles, l’aggravation des conditions de travail et de scolarisation pour tous.
La grève du 7 a été très fortement suivie dans l’éducation, toutes catégories de personnels confondues. Dans tous les établissements scolaires, la tension reste perceptible, entre injonctions administratives, pressions hiérarchiques et conditions de la rentrée. De quoi alimenter les mouvements de résistance professionnelle (sur le livret de compétences ou les fichiers) et contribuer à la mobilisation générale interprofessionnelle, plutôt que de privilégier une dynamique sectorielle.

**Rentrée sociale… sous le signe de la rigueur

Percuté par l’affaire Woerth, contesté sur les scandaleuses expulsions des Roms (jusqu’aux évêques et à la Commission européenne !), contredit par les mauvaises perspectives de croissance, le gouvernement apparaît affaibli, en proie à de forts conflits internes. Mais il reste toujours aussi déterminé à faire payer au maximum aux salariés les conséquences de la crise, à continuer à protéger les intérêts des marchés et à tenter de mettre, comme Thatcher en son temps, le syndicalisme et les forces sociales à genoux. Malgré la mobilisation croissante et sa chute dans l’opinion, Sarkozy fait le pari de passer en force, mettant ses opposants au défi. D’où le refus constant sur le dossier des retraites, qu’il a voulu emblématique, d’ouvrir de vraies marges de négociation, même aux organisations qui en manifestent l’envie. Inflexible sur les mesures-clés, dont le report de l’âge légal de départ de 60 à 62 ans et celui de la retraite à taux plein de 65 à 67 ans, les maigres ouvertures (polypensionnés, carrières longues, pénibilité) étaient rejetées avant même la journée du 7 septembre.

**Le 7 septembre, un cran a été franchi

Près de trois millions de manifestants partout en France une marée humaine impressionnante, appuyée sur un solide soutien populaire (près de 70 % d’opinions favorables). Les espoirs initiaux du gouvernement de s’appuyer sur la trêve de l’été et sur un calendrier resserré pour limiter la contestation ont fait long feu. Au contraire, la mobilisation du 24 juin est largement dépassée, le taux de grévistes progresse dans la fonction publique d’Etat, dans les hôpitaux, les écoles et dans certains services publics (La Poste, Pôle Emploi), les transports ont été très perturbés et le mouvement de grève a aussi été plus net dans le secteur privé.
Réforme « injuste et inacceptable », ce slogan martelé par l’intersyndicale est intégré, repris… et dépassé : c’est surtout le mot d’ordre de « retrait » qu’on entend dans les manifs ! C’est la politique gouvernementale qui est injuste et inacceptable et c’est ce qu’on sent monter un peu plus fort à chaque rendez-vous social.
Raison de plus, dans un calendrier parlementaire serré, pour accélérer les choses, intensifier le bras de fer, car tout le monde a beaucoup à y perdre : le gouvernement s’il est au bout du compte obligé de reculer, le mouvement syndical s’il encaisse ce qui sera vécu comme une défaite majeure et l’échec d’une stratégie syndicale… ++++

**Relever le défi ?

Ce sont bien deux conceptions de la société, deux répartitions des richesses, deux classes qui s’affrontent. Il peut être tentant, pour certains, d’attendre 2012. C’est ce que joue Sarkozy, aussi. Pari plus qu’imprudent !
Reste alors le terrain social. Et là, inutile de se cacher derrière son petit doigt, c’est bien la question d’un blocage du pays qui est posée. Or cette question, aucune des grandes centrales syndicales n’accepte encore de la poser. Y répondre sera un autre défi.
Car la réussite du mouvement, son ampleur sont directement liées à ce qui est vécu comme une unité syndicale globale, privé/public, seule capable de faire reculer. C’est sa force et sa faiblesse. Aucun secteur ne se sent de « partir », de jouer la locomotive. C’est une des constantes de ces derniers mois. Quant aux jeunes qui font si peur au gouvernement (on se rappelle le CPE !), Sarkozy a intelligemment déminé de justesse la question de l’Aide Personnalisée au Logement supprimant le bénéfice de la demi-part dans le calcul de l’impôt.

**Pas si simple…

On sait depuis 2003 que s’engager dans une grève reconductible peut provoquer des retraits de salaires douloureux… Ce moyen d’action est dans les esprits mais on y regarde à deux fois ! Les taux de grévistes dans la Fonction publique n’ont pas encore retrouvé ceux de 2003 alors que ses agents sont fortement concernés par les nouvelles mesures. Les salariés les plus à même de s’investir dans un conflit long parce que moins menacés au niveau de l’emploi dans un contexte d’envolée du chômage (fonctionnaires, CDI de grandes entreprises) sont aussi ceux qui sont le plus inquiets de voir leur pouvoir d’achat gravement atteint. Cela pourrait être dépassé par une dynamique sociale forte et la perspective crédible d’une victoire, mais reste freiné par la « prudence » des confédérations. Le refus du mot d’ordre de « retrait » est d’ailleurs perçu comme tel. Paradoxe du mouvement, la confiance dans « l’interpro » subsiste pour donner le tempo, ainsi que l’inquiétude de voir se fissurer le front unitaire (séquelles de 2003, par rapport aux directions CFDT et CGT).
Mais pour les confédérations aussi la tension est forte : plus le mouvement monte, plus il est populaire dans l’opinion et plus il est difficile de se contenter de miettes ou d’aménagements à la marge. Avec un glissement perceptible vers un conflit vécu comme une opposition frontale à une politique gouvernementale, la pression pour un « tous ensemble » s’intensifie. On peut certes déplorer l’absence de véritable stratégie des confédérations pour préparer une confrontation dure avec le gouvernement mais aussi noter que personne dans l’intersyndicale n’a lâché sur le fond (et les 60 ans !).
Bien sûr, face à ce gouvernement, il fallait se saisir du 7 septembre pour proposer dès la semaine suivante, le jour du vote à l’assemblée, une nouvelle étape amplifiant le 7 et préparant un affrontement plus fort encore qu’on sait inéluctable si l’on veut faire reculer ce gouvernement. C’était, dès le 8, la proposition de la FSU et de Solidaires. La CGT et la CFDT (qui étaient tentées plutôt par une nouvelle étape un samedi ou un dimanche) ne l’ont pas permis, arguant de la difficulté à remobiliser très rapidement et très largement dans le privé. Arguments discutables (et discutés !) qui les ont conduit à faire quasiment l’impasse sur la journée du 15.
Si aucun secteur significatif ne semble en mesure de bousculer le calendrier, rappelons-nous, pour nous donner confiance, que les actions par excellence symboliques du 13 juillet n’ont pas limité le 7 septembre, au contraire.
Il était essentiel qu’une nouvelle étape soit dans le paysage tout de suite, qu’elle puisse d’emblée être appropriée par les salariés, les retraités et les jeunes en lutte certes intermittente mais en colère permanente. Alors puisque la puissance du 7 et l’intransigeance de Sarkozy ont contraint même les plus réservés à un nouvel appel à la grève le 23, il nous faut continuer à construire ce mouvement social qui s’impose.
Huit Français sur dix jugent que la journée d’action du 7 septembre contre la réforme des retraites est un succès pour les syndicats et l’opposition et six sur dix (62 %) espèrent une poursuite de la contestation, selon un sondage BVA pour Canal+. Ils sont également une majorité (55 %) à souhaiter que le gouvernement cède sur le report de 60 à 62 ans de l’âge légal de la retraite. Le soutien de l’opinion publique est là ! Il faut maintenant continuer d’occuper la rue, les médias, multiplier les réunions (syndicales et avec les collectifs locaux retraites qui se sont constitués partout), investir le 15 par de multiples initiatives, pour construire un 23 encore plus puissant, avec grèves et manifs encore plus massives, un raz de marée pour imposer le retrait de la réforme et une défaite à Sarkozy. On va y arriver ! Le 9 septembre 2010.

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