Agir pour l’école ?

L’école de la confiance à la Blanquer passe dans le discours
ministériel par le fait d’asseoir les décisions sur les résultats de
« la science » et sur des données objectives issues des évaluations
nationales. Le CP et plus spécifiquement l’apprentissage de la lecture
font l’objet d’une attention toute particulière de la part du ministre
avec pour bras armé l’association Agir pour l’École qui affirme que sa
méthode est capable de « diviser la difficulté scolaire par deux ».

Recyclage de PARLER

Contrairement à ce qu’elle annonce sur son site, Agir pour l’École est
autre chose qu’« une plate-forme d’expérimentation de nouvelles
méthodes d’apprentissage de la lecture fondée sur des recherches
scientifiques sérieuses et avec des résultats convaincants ». D’abord
parce qu’il n’y a aucune nouveauté dans ce qu’elle propose puisque le
dispositif qu’elle cherche à imposer est directement issu de
l’expérimentation PARLER, menée entre 2005 et 2008 à Grenoble puis à
Lyon à partir de 2011, et qui s’appuie sur les travaux de
M. Zorman. Ensuite parce que les résultats sont très loin d’être
convaincants : quels que soient les organismes ayant étudié
sérieusement les résultats (dont la DEPP et l’IGEN), aucune conclusion
définitive n’a pu être avancée. Si pour les compétences
(discrimination phonologique et reconnaissance de lettres et de
syllabes) travaillées de manière intensive, les résultats des élèves
sont meilleurs que la moyenne, rien ne prouve que les compétences en
lecture en seront améliorées. Qu’à cela ne tienne, ce sont les propres
évaluations d’APE qui sont mises en avant et qui constituent le
principal argument en faveur de leur méthode. Tout cela n’a pas
empêché J.-M. Blanquer, en 2011, alors qu’il était directeur de la
DGESCO, de vouloir étendre le dispositif. Il confie alors la mise en
œuvre de cette opération à l’association Agir pour l’École,
association en lien direct avec l’institut Montaigne.

Un dispositif « hors la loi »

Après une mise en sourdine au cours du quinquennat précédent, on
assiste depuis deux ans à une nouvelle offensive, extrêmement
agressive, d’Agir pour l’École. Dès la rentrée 2017, de
nombreuses écoles classées en REP et REP + ont été la cible
d’un démarchage insistant avec la promesse de résultats
positifs indiscutables et de mise à disposition de matériel
innovant (tablettes et logiciels). Si APE affirme que
l’engagement des enseignant-es et des écoles s’opère sur la
base du volontariat, on observe des pressions plus ou moins
« amicales » aussi bien de la part de l’association que de
l’administration, souvent elle-même piégée par des
orientations ministérielles qu’elle n’approuve pas. Quand un-e
enseignant-e fait part de son désir de sortir du dispositif, il
est rapidement « repris en main » par APE et il se peut même
qu’il-elle reçoive la visite de l’IEN, du DASEN voire… de
la rectrice.

Pourtant, les raisons qui poussent certain-es enseignant-es à vouloir
sortir du dispositif sont tout aussi nombreuses que justifiées. Le
protocole auquel ils-elles et leurs élèves sont soumis-es ne laisse la
place à aucune possibilité d’aménagement : progression à respecter
strictement, travail exclusif sur les correspondances
grapho-phonémiques, entraînement intensif pour les élèves avec
impossibilité de proposer une autre entrée en cas de difficulté
insurmontable pour l’élève, évaluation régulières sous l’égide d’APE,
renoncement à assurer l’intégralité des programmes dans d’autres
domaines que la lecture faute de temps… Encore plus problématique, APE
introduit dans les classes des personnels non enseignants et
salariés-es de l’association, pompeusement appelés « assistants
pédagogiques » et formés en deux heures, pour la prise en charge
régulière de groupes d’élèves. Par ailleurs, les 18 heures
d’animations pédagogiques sont entièrement consacrées à la formation
sur le dispositif et assurées par… Agir pour l’École ! Même les IEN se
sentent dépossédés de leurs prérogatives et le SNPI-FSU se fait le
relais de leur malaise.

Des liaisons dangereuses

Rappelons les origines de cette association et les liens quasi
incestueux que le ministre entretient avec elle. Agir pour l’école est
un satellite de l’institut Montaigne, célèbre think tank libéral
proche du Cac40, et est hébergée dans ses locaux. J.-M. Blanquer est
un fidèle de Montaigne depuis longtemps et a appartenu au comité
directeur d’APE depuis sa création. Alors qu’il était chef de la
DGESCO, il a soutenu l’expérimentation de Céline Alvarez et l’institut
Montaigne l’a en partie financée. Laurent Cros actuel directeur d’APE
se réjouissait que la période où J.-M. Blanquer était à la DGESCO
était la plus faste en expérimentations mesurées. Pourtant
l’expérimentation de C. Alvarez dont les prétendus résultats
exceptionnels ont largement été exposés dans les médias, n’a fait
l’objet à ce jour d’aucune publication dans une revue
scientifique. Pour que les résultats de l’actuel dispositif de lecture
ne subissent pas le même sort, le ministre, via la DGESCO, a fourni
gracieusement un échantillon témoin à l’association, échantillon qui
n’a pas suivi l’entraînement intensif réservé aux classes entrées dans
le dispositif mais qui a été soumis aux mêmes tests. Des élèves de CP
ont donc supporté deux fois un protocole d’évaluation au cours du
premier trimestre : l’un à destination du ministère, l’autre pour APE.

L’utilisation quotidienne de tablettes et de logiciels
spécifiques, nécessitée par un emploi du temps très
contraignant avec des exercices intensifs en petits groupes, ne
manque pas de nous interroger quand on connaît les liens étroits
existant entre Apple et Agir pour l’École…

Une école de classe

Le projet libéral de Blanquer a depuis longtemps été identifié,
les voies qu’il emploie pour le justifier et le généraliser
passent par Agir pour l’École. En promoteur de l’« evidence
based », il doit fournir les preuves scientifiques pour faire
accepter ses réformes à l’opinion et les rendre ainsi
raisonnables et donc incontestables. Actuellement, si aucune
étude sérieuse ne permet d’accréditer ses thèses, APE la lui
fabriquera.

La méthode d’apprentissage de la lecture développée par APE
n’est pourtant rien d’autre que la remise au goût du jour de
la méthode syllabique la plus stricte, à savoir telle qu’elle
était utilisée jusque dans les années 60. Les principales
différences consistent en une intensification de
l’entraînement auquel sont soumis les élèves, l’utilisation
de tablettes pour libérer l’enseignant-e afin qu’il ou elle se
consacre à un petit groupe d’élèves et des évaluations
régulières. Et les effets seront les mêmes, ceux dénoncés par
Evelyne Charmeux : des jeunes en difficulté dans l’enseignement
secondaire, des adultes non-lecteurs qui finissent par perdre
même leur capacité à décoder par manque d’entraînement.

Le retour aux fondamentaux prôné par le ministère Blanquer passe
par la maîtrise du code alphabétique qui permet le déchiffrage
et n’a d’autre finalité que d’assurer au plus grand nombre la
possibilité de décoder des messages simples et courts. Ce qui
est visé n’est pas l’entrée dans la culture de l’écrit, ni la
poursuite d’études, mais l’employabilité qui passe par l’usage
utilitaire de l’écrit. C’est ce qu’exige l’entreprise et plus
généralement l’économie, c’est donc ce que l’école doit
assurer. Ne cherchons pas plus loin pourquoi ce sont les zones
d’éducation prioritaire qui sont ciblées par le ministère dans
le déploiement du dispositif Agir pour l’École.

Claude Gautheron