Adrien Martinez : mener la bataille pédagogique et idéologique

Dans les débats qui nous occupent en ce moment sur l’enseignement de la lecture, l’enjeu principal n’est peut-être pas la guerre des méthodes, entre syllabique et globale, même s’il fallait répondre à notre ministre de tutelle.
Il réside certainement dans l’analyse et la réponse à donner à ce que nous voyons se déployer depuis quelques semaines : ce qui se passe sur la lecture est emblématique de la méthode Blanquer et de l’idéologie qui la sous-tend. Et ce que nous voyons ici nous le verrons souvent si nous n’arrivons pas mettre un coup d’arrêt aux projets de notre ministre en menant l’affrontement à tous les niveaux où ses choix se manifestent ou se manifesteront.

Quelques mots pour resituer tout cela :

– Blanquer construit son discours sur une vision tronquée et abimée des acquis de la recherche. Il ne s’appuie que sur une partie des recherches en neurosciences, sans traiter les controverses qu’elle peut susciter dans ce champ disciplinaire, et en occultant totalement les apports d’autres champs, comme la didactique de la lecture ou la sociologie des apprentissages. De fait son discours n’est pas objectif, il est idéologique.

– Il met en place aussi sec un dispositif d’évaluation des élèves, articulé avec des modules de formation en ligne qui visent à diffuser les « bonnes pratiques » dont on a vu qu’elles sont marquées du sceau de l’idéologie, mais qui auront pour conséquence la mise sous tutelle de l’agir enseignant

– il assortit ses « bonnes pratiques » d’une logique d’individualisation des apprentissages qui, instruite sur le long terme, induit une individualisation des parcours scolaires.

Et pour anticiper les conséquences de telles orientations, il suffit de regarder l’état dégradé de notre système éducatif tant est grande la familiarité des mesures envisagées avec les éléments les plus libéraux des politiques menées depuis près de 20 ans.
Depuis près de 20 ans le nombre d’élèves en grande difficulté a augmenté. Les inégalités scolaires se sont aggravées. Les conditions de travail se sont dégradées. Et ce sont les élèves des classes populaires qui payent le prix fort d’un système scolaire parmi les plus inégalitaires des pays de l’OCDE. Rien de très réjouissant donc.

Car oui, les processus d’individualisation des apprentissages et des parcours ne sont pas nouveaux : un rapport du CNESCO rappelle que depuis 1995, pas loin de quinze dispositifs différents mais pris dans cette même logique se sont succédés ou amoncelés pour la scolarité obligatoire, participant avec le désinvestissement budgétaire de l’augmentation des inégalités scolaires.
Parmi ces dispositifs il y a eu l’aide personnalisée qui a motivé notre opposition et des résistances pour ces raisons. AP devenue APC aujourd’hui, contre lesquelles nous sommes en campagne, avec un focus fort sur la revendication de réduction du temps de travail enseignant.
Notre engagement dans l’action contre les APC, il nous faut la maintenir bien évidemment. Mais elle prend une épaisseur en partie nouvelle, tant le paradigme de l’individualisation va devenir étouffant. Étouffant pour nous, professionnels dont on nie la professionnalité. Étouffant pour les élèves issus des classes populaires, à qui on promet par là l’école des inégalités.
Et quand je disais tout à l’heure qu’il fallait mener l’affrontement à tous les niveaux, c’est ici que je voulais en venir : tant sur la lecture, que sur les APC, ou les autres sujets qui ne manqueront pas d’arriver, il faut mener la bataille pédagogique, la bataille idéologique, et permettre aux enseignements de raccrocher leur engagement dans l’action à un projet pour une école émancipatrice, fondée sur le renforcement du pouvoir d’agir des enseignants, et sur les choix pédagogiques et politiques qui fondent la démocratisation du système scolaire.