« Femmes et création artistique »

Trois questions à Marie Buscatto

Professeure en Sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Marie Buscatto est chercheure à l’I.D.H.E.S. (Paris 1 – CNRS). Sociologue du travail, du genre et des arts, elle s’intéresse également aux questions de méthode[[http://www.univ-paris1.fr/ufr/isst/annuaire-et-publications-des-enseignants-de-lisst/marie-buscatto/]].

Quels sont les principaux obstacles rencontrés par les femmes qui souhaitent mener une carrière artistique ?

Les recherches sociologiques récentes montrent que les femmes ont toujours plus de difficultés que les hommes à entrer, à se maintenir et à se voir reconnaître dans les mondes de l’art qu’ils soient « masculins » — jazz ou direction d’orchestre —, plutôt mixtes — arts plastiques ou littérature — ou « féminins » — danse ou théâtre.

Les logiques sociales spécifiques qui rendent plus difficile le parcours artistique des femmes sont multiples et se cumulent dans le temps. En résumé, on en dénombre quatre principales.

Tout d’abord, les spécialisations, les rôles ou les œuvres d’art « féminins », c’est-à-dire plus souvent développés par les femmes que par les hommes, tendent à être dénigrés et considérés comme ayant une valeur mineure comparativement aux œuvres, rôles ou spécialisations « masculins ».

Ensuite, et en lien avec cette première logique sociale, les femmes se voient affecter des caractéristiques liées aux stéréotypes sexués comme la séduction, la maternité, la passivité ou la fragilité, qui dévalorisent leurs performances scéniques ou leurs œuvres d’art.

Elles ont alors plus de mal à se voir reconnaître comme artistes. Par ailleurs, les réseaux sociaux nécessaires à la création artistique — collègues, diffuseurs, producteurs, critiques d’art, familles ou ami-es — sont, là encore, plus favorables aux hommes qu’aux femmes.

Les hommes sont mieux insérés dans des réseaux sociaux utiles à leur production artistique. Enfin, dans une société où les rôles familiaux — conjugaux et parentaux — restent très sexués, les femmes peinent plus souvent que les hommes à se libérer des obligations parentales et à obtenir l’appui d’un conjoint dans la mise en œuvre de leur art.

Comment se traduit le poids des stéréotypes de genre dans le monde de l’art ?

Deux exemples, parmi d’autres, aideront à mieux comprendre le poids des stéréotypes genrés sur la moindre possibilité pour les femmes à créer des œuvres d’art reconnues.

Par exemple, en jazz, les chanteuses ne sont pas considérées comme de vraies musiciennes, dans la mesure où la voix serait une sorte de don « naturel », et non un instrument nécessitant du travail et que leur capacité à interpréter des chansons est assimilée à une compétence mineure.

Du coup, elles ne sont pas recrutées par leurs collègues dans leurs groupes et peinent à vivre de leur art. Ou encore, les plasticiennes ou les écrivaines qui produisent des œuvres d’art cataloguées comme « féminines » ou « féministes » sont moins bien perçues et ont plus de mal à se voir reconnaître comme de « vraies » artistes.

Quels leviers actionner pour améliorer la place des femmes dans la création artistique ?

En tant que scientifique, ce n’est pas mon rôle de définir les leviers à actionner. Je peux cependant présenter les résultats de recherches sur les ressorts de la transgression observés dans différents mondes de l’art pour donner des pistes de réflexion.

D’une part, les politiques publiques et l’accès aux écoles jouent comme des appuis efficaces à l’entrée des femmes dans les arts en leur donnant accès aux savoirs et aux réseaux utiles et en leur donnant confiance en elles.

D’autre part, la mise en œuvre de festivals, de programmes ou de moments « féminins » (ou ouvrant la porte à une part importante de femmes) aide les femmes à avoir accès aux mondes de l’art et à se maintenir dans l’activité.

Il ne faut cependant pas oublier qu’il existe d’autres ressorts de transgression qui sont, eux, directement liés aux manières dont les femmes elles-mêmes se saisissent de leurs ressources propres. ●

Propos recueillis par

Valérie Soumaille