Femmes et syndicalisme en Europe

Les Rencontres intersyndicales femmes, organisées par la CGT, la FSU et Solidaires, se sont déroulées les 19 et 20 mars à la Bourse du Travail de Saint Denis.

Quatre thèmes au programme : femmes et syndicalisme en Europe,
femmes et création artistique, domesticité, et classifications.

Les sociologues Ingrid Artus, Cécile Guillaume et la syndicaliste Anna Sanchez ont fait le point sur la relation des femmes au syndicalisme, respectivement en Allemagne, en Grande Bretagne et en Espagne.

Ce qui ressort de ces interventions, c’est que dans ces trois pays :

➔ En même temps que le nombre des femmes travaillant a augmenté (+20 % en Allemagne depuis 1990), la précarité touchant les femmes a elle aussi augmenté, notamment avec la crise de 2008 : 58 % des employées allemandes sont aujourd’hui à temps partiels, contre 35 % en 1990 ; depuis la mise en œuvre des politiques d’austérité en Grande Bretagne, 75 % des licenciements concernent des femmes (augmentation des plaintes liées à la discrimination femmes/hommes avec par exemple plus de 9000 plaintes pour licenciement après un congé de maternité.)

➔ Le taux de syndicalisation, globalement peu élevé, présente des différences entre secteur public, où il est plus important, et secteur privé, mais aussi une différence importante selon le sexe, puisque 13 % des femmes qui travaillent sont syndiquées en Allemagne pour 25 % des hommes, et 8,4 % des femmes pour 23 % des hommes en Grande Bretagne.

➔ Les freins à la syndicalisation, et particulièrement celle des femmes, sont comparables : difficulté à représenter les salarié-es précaires et à maintenir une syndicalisation en cas de privatisation ; le fait qu’il n’y ait pas de structure obligatoire de représentation syndicale dans les entreprises allemandes ; que les organisations syndicales n’aient plus beaucoup accès aux négociations collectives en Grande Bretagne…

Pour autant, les luttes se féminisent, comme depuis quelques temps en Allemagne où se développent des grèves longues de femmes dans les hôpitaux ou les crèches. Parallèlement est mené, dans toute l’Europe, un travail lié aux questions d’égalité professionnelle femmes/hommes.

Tout cela conforte les organisations syndicales dans l’attention particulière portée à la syndicalisation des femmes et à la place qui leur est réservée au sein même des organisations syndicales.

Ainsi en Grande Bretagne, on assiste à des campagnes de syndicalisation notamment auprès des femmes, mais aussi à quelques campagnes sur des sujets qui les touchent particulièrement.

En Allemagne, les statuts de l’organisation VERDI, créée en 2001, prévoient que les femmes soient représentées dans toutes les instances avec des quotas variant selon les branches.

Mais, si des améliorations dans la représentation des femmes dans les instances sont notables, en Allemagne, en Grande Bretagne comme en Espagne, les femmes sont encore sous-représentées aux postes de responsables syndicales : 25 % des Secrétaires généraux-ales en Grande Bretagne, 20 % des responsables des instances intermédiaires et 20 % des déchargé-es en Allemagne.

Elles disparaissent souvent complètement lors de négociations avec le patronat ou les collectivités.

**Femmes et création artistique

Le spectacle vivant : état des lieux

Intervention d’Angeline Barth,

secrétaire générale du SYNPTAC-CGT

On imagine que dans le spectacle vivant les questions d’inégalités « de la vraie vie » pourraient être gommées. En fait, on est dans un « monde de petits blancs », où, parmi d’autres, la question de la mixité est prégnante.

Les statistiques, nombreuses, révèlent des métiers hyper sexués : 70 % de femmes dans la production et l’administration, 70 % d’hommes à la technique. Si de plus en plus de femmes se forment aux métiers du plateau, elles ont dû lutter pour y accéder.

On leur demandait auparavant de porter des charges que des hommes ne portent pas ! Les hommes sont majoritaires chez les artistes. Ces inégalités se retrouvent dans l’indemnisation des intermittent-es, qui concerne ⅓ de femmes.

Elles ont plus de difficultés à percer ou à construire des réseaux, et donc se retrouvent davantage exclues du régime des intermittent-es.

➔ Les métiers du spectacle vivant demandent beaucoup d’engagement. Les femmes sont moins nombreuses en CDI, et depuis moins longtemps dans leur emploi.

Pourtant peu d’entre elles ont pris le « risque » de la maternité, qui les éloigne des réseaux de travail et compromet leur indemnisation. Quant à celles qui ont fait le choix d’être mères, les comédiennes ou danseuses ne peuvent plus entrer en scène dès qu’elles ont un petit ventre (ça « dénaturerait » le rôle !).

Les « filières de femmes » sont celles qui comportent le moins de possibilités d’évolution : il y a peu de cadres chez les maquilleuses ou les habilleuses…

Dans les directions des institutions subventionnées par l’État, les femmes sont vraiment très minoritaires, et le budget de la scène est inférieur pour une directrice ! Comme dans bien d’autres domaines, leurs compétences, leur « talent » sont questionnés et ces inégalités de traitement ne doivent rien à la biologie.
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➔ Au cinéma, le rôle principal est donné à un homme dans 70 % des cas. Les rôles donnés aux femmes correspondent aux stéréotypes parce qu’« il faut bien que les gens y croient ! ».

Quant aux rôles-fonctions (protagonistes nécessaires à l’action : avocat, médecin, gendarme…), en théorie non sexués, ils sont attribués à 75 % à des hommes (selon une étude régionale portant sur les productions subventionnées).

Dans le domaine de la musique, la capacité pulmonaire d’une corniste avait été mise en doute, elle a eu les meilleurs résultats aux tests de souffle ! Les auditions se déroulant derrière un paravent ont permis davantage de recrutements de femmes, ce qui montre bien la persistance des préjugés. (Voir l’entretien avec Marie Buscatto page suivante).

**Domesticité

Christelle Avril a publié en 2014 une enquête de sociologie : « Les aides à domicile, un autre monde populaire ».

Elle a rencontré des stagiaires, de deux origines : élèves de lycée professionnel et demandeuses d’emplois en reconversion. Les premières se sentent utiles, fières de leur travail, elles se plient aux exigences des personnes âgées ; les secondes en ont honte, ou sont indifférentes, elles tentent de faire respecter leurs droits et de garder le contrôle sur leur force de travail.

Certaines essaient de valoriser ce métier et s’y investissent : femmes très pauvres, venant de très grandes fratries, ou femmes migrantes qui n’arrivent pas à faire reconnaître leurs diplômes et sont discriminées dans les emplois, elles ont connu tellement pire qu’entrer dans l’association est une soupape.

S’agit-il alors d’un retour des femmes à la sphère domestique ou d’emplois émancipateurs ? Ces emplois les socialisent à des rôles domestiques sexués, même si elles y sont préparées par leur famille, l’institution scolaire et les formations professionnelles.

Mais ils leur posent des questions quasiment féministes, et les confrontent à la grande variété des rapports au travail domestique. De plus, c’est souvent leur rémunération, même faible, qui fait vivre le ménage.

La sociologue Francesca Scrinzi a ensuite évoqué l’enquête comparative qu’elle a menée entre la France, où les aides à domicile sont salariées par des associations, et l’Italie où l’employée de maison est salariée directement par le particulier.

Dans les deux pays, ces métiers, peu ou pas qualifiés, mettent en évidence une division sexuelle et ethnique du travail. En Italie, les migrantes résident souvent chez leur employeur, et sont soumises à une grande précarité, notamment quand elles ne sont pas déclarées.

En France, les aides à domicile immigrées sont souvent assignées aux client-es les plus difficiles, au temps partiel, aux heures du soir et du week-end. Toutes font l’expérience du racisme au quotidien.

L’analyse doit se faire à plusieurs niveaux, celui des politiques publiques et leurs effets sexués, de l’articulation entre les politiques d’immigration et les politiques sociales, et celui de la dimension culturelle et symbolique, des représentations qui accompagnent ces métiers. Les définitions dominantes du travail sont élaborées ou confortées dans ces espaces, mais peuvent aussi y être questionnées, voire transformées.

Anna Azaria, de Femmes égalité, a décrit une lutte de ces travailleuses, pour lesquelles la multiplicité des situations, des employeurs et des statuts rend difficile de trouver des revendications communes.

En 2012, un mouvement important a eu lieu en Rhône Alpes, avec des manifestations (dont une rassemblant 1600 personnes à Lyon) et 17 jours de grève, contre la nouvelle convention collective qui remettait en cause leurs maigres acquis.

Cette lutte a été victorieuse, mais depuis, les difficultés ont été accentuées par les conséquences de l’ANI et les politiques d’austérité, qui dégradent des conditions de travail déjà désastreuses.

**Classifications

Le dernier atelier de l’édition 2015 a évoqué les négociations autour des classifications des métiers (révision périodique) et les leviers à actionner pour la revalorisation des emplois à prédominance féminine, à travers les interventions de Rachel Silvera, Natividade Coehlo (Portugal) et Sophie Binet (CGT, au nom des trois organisations syndicales). ●

Valérie Soumaille,

Cécile Ropiteaux