La grève des mineurs dans le cinéma britannique

Récemment avec Pride de Matthew Warchus[[ Voir notre précédent numéro de novembre-décembre 2014 et l’article de Cécile Ropitaux, Pride : Lesbian and gays support the miners.]] , le cinéma britannique a une nouvelle fois abordé la grande grève des mineurs britanniques qui dura un an de mars 1984 à mars 1985.

Auparavant, Billy Elliot (1999) de Stephen Daldry et Les Virtuoses (1997) de Mark Herman y avaient aussi fait référence.

À chaque fois, le sujet n’est pas affronté directement mais pris par un biais particulier : le soutien d’un groupe LGBT à la grève dans Pride, le désir de faire de la danse d’un jeune enfant dans Billy Elliot (Jamie Bell dans le rôle-titre), une fanfare dans Les virtuoses.

Replaçons le contexte. En 1979, le parti conservateur remporte les élections au Royaume-Uni et Margaret Thatcher devient premier ministre.

Dès lors, elle veut détruire tout ce qui de près ou de loin menace la toute-puissance de la City. Anticommuniste primaire (elle fut qualifiée par un journal soviétique de « dame de fer »), elle laissa mourir de faim Boby Sands et 9 grévistes de l’IRA en 1981, ce qui était en fait un assassinat politique.

Il lui fallait s’attaquer au puissant syndicat des mineurs dont elle considérait qu’il avait trop d’influence sur l’économie britannique. Elle décide de fermer une vingtaine de mines, ce qui provoqua cette grève qui menaçait de s’étendre aux secteurs de l’économie britannique. Mais Thatcher ne céda pas et a vaincu le mouvement des mineurs.

**Mémoire et conscience de classe

Cette grève reste gravée dans la mémoire des Britanniques. D’abord par les mouvements de solidarité qui se sont développés autour d’elle et dont les trois films se font l’écho.

Il faut rappeler que contrairement à d’autres pays d’Europe occidentale, le Royaume-Uni n’a pas connu en 1968 de mouvement revendicatif ou de révolte comme en France, en Allemagne ou en Italie. Cette grève a donc marqué les esprits comme mai 68 en France. Enfin et surtout, le Royaume Uni est, face à Thatcher, le premier pays avec les États-Unis, à subir la violence des attaques néo-libérales, laboratoire de tout ce que nous connaissons depuis : destruction des solidarités, loi du marché ou plutôt de la jungle, individualisme…

Ken Loach le décrit très bien dans plusieurs de ces films : de Riff-Raff (1991) à The navigators (2001), de My name is Joe (1998) à It’s a free world (2007) il n’a eu de cesse de dénoncer les ravages du libéralisme.

En contrepoint, il réalisa en 2013, le documentaire L’esprit de 45 pour rappeler les conquêtes sociales des Britanniques au lendemain de la guerre, dans l’idée qu’il fallait revenir à cet esprit et non au libéralisme thatchérien poursuivi depuis notamment par Tony Blair et aujourd’hui par David Cameron.

Quelque part c’est aussi le sujet de The full monty (1997) de Peter Cattaneo : montrer que les valeurs de solidarité sont toujours présentes chez les « déclassés », même si cela prend la forme d’un spectacle de chip’n dales !

**Les virtuoses

Le premier à être tourné, en 1997, Les Virtuoses, prend un chemin de traverse pour parler de la grève des mineurs, celui d’une fanfare de… mineurs !

La grève c’est le contexte, qui permet d’ajouter un côté dramatique à une comédie sociale comme le cinéma britannique en sort depuis les années 1980, prenant ainsi le relais du cinéma italien. La trame sociale est donc très importante, elle est constitutive du film.

Sans elle, l’histoire de cette fanfare de mineurs rêvant de jouer au Royal Albert hall serait dramatiquement banale. En effet, même s’ils gagnent qu’est-ce qui attend les mineurs de retour chez eux si ce n’est le chômage et la misère ?

Le film eut du succès au Royaume Uni et en dehors. On y retrouvait des acteurs en vogue au Royaume Uni et notamment Ewan McGregor avant qu’il ne traverse l’Atlantique. Il montrait avec force que cette grève avait marqué les esprits. Même si elle n’est que suggérée, la grève des mineurs de 1984-1985 et la solidarité entre travailleurs tissent un fil conducteur du film.

**Billy Elliot

Billy Elliot en 1999 est le premier long-métrage de Stephen Daldry. La grève des mineurs, largement évoquée, est le décor historique au sein duquel se déroule l’histoire : un jeune gamin, fils de mineurs (Jamie Bell) délaisse la boxe auquel l’avait inscrit son père sans lui dire pour le cours de danse classique.

L’histoire se déroule dans le Nord-est de l’Angleterre et l’on voit les mineurs organiser des piquets de grèves et même affronter la police. La grève est ici plus qu’un décor.

Il y a une opposition entre Billy Elliot (10 ans) qui souhaite faire de la danse classique et passer une audition à Londres et le monde viril des mineurs ! Au final, il obtient le soutien de son père et, ironie du sort, il réussit son audition le jour où le syndicat des mineurs capitule !

Ceci dit, comme dans Les Virtuoses, la grève des mineurs est vue positivement. Au moment de l’audition, il y a même un juge du jury de danse qui souhaite « bonne chance pour la grève » au père venu accompagner son fils.

Cette solidarité est donc montrée à travers tout le film : solidarité du juge envers les mineurs mais aussi des mineurs eux-mêmes à l’égard de Billy Elliot, et, pour finir, solidarité de Billy Elliot pour son ami d’enfance dont il devine l’homosexualité.

Ce film fut un véritable succès international et permit au réalisateur d’aller désormais tourner aux États-Unis (The hours, The reader, Extrêmement fort et incroyablement prêt…).

**Pride

Le film est de 2014 et la grève n’est plus un décor qui replace le contexte historique, elle est l’objet même du film : le soutien de LGSB (Lesbians and Gays Support the Miners) à la grève des mineurs, symbolisé par une petite ville du Pays de Galles.

Là encore, la grève est vue positivement et la solidarité est le thème essentiel du film. Solidarité des luttes : celles et ceux qui luttent pour l’égalité des droits quelle que soit l’orientation sexuelle et celles et ceux qui luttent pour leur emploi.

La lutte et la solidarité qui ont pu exister au moment de cette grève sont donc les éléments essentiels d’un scénario sans angélisme. Car autant chez les mineurs et leurs familles que dans la communauté Lesbienne et gay cette solidarité n’allait pas de soi.

**Quels points communs ?

D’abord, ces trois films sont tous du côté des mineurs et très anti-Thatcher. D’ailleurs, il est difficile dans le cinéma britannique de trouver un film de soutien à Margaret Thatcher, exception faite en 2012 du film de Phyllida Lloyd, La dame de fer avec Meryl Streep dans le rôle-titre.

En dehors de Ken Loach, Mike Leigh (Secret et mensonges palme d’or au festival de Cannes en 1996, Be happy, Another year…), Stephen Frears (notamment sa trilogie des années 1980, My beautiful laundrette, Prick up your ears, Samy et Rosie s’envoient en l’air), Terence Davies (Distant voices en 1987) ont tous des préoccupations sociales ou sociétales qui, si elles ne s’opposent pas frontalement au libéralisme débridé, ne vont surtout pas dans son sens.

Les trois films décrits précédemment promeuvent des idéaux de solidarité et de justice sociale.

Solidarité d’une fanfare de mineurs et de tous ceux qui les écoutent dans Les virtuoses. Solidarité entre les mineurs dans Billy Elliot, montrée par son contraire : ceux qui vont quand même bosser escortés par la police et l’affrontement avec le piquet de grève.

Quand le père de famille, à bout de forces, se résout à trahir, la mort dans l’âme, ses convictions pour aller bosser malgré la grève c’est son fils aîné qui le ramène dans le sens de la solidarité avec les grévistes.

À partir de ce moment-là, il devient solidaire de son plus jeune fils qui veut se lancer dans la danse et préparer un concours prestigieux. Solidarité enfin du jury de danse qui souhaite bonne chance au père pour la grève !

Enfin, dans Pride, c’est la solidarité entre deux groupes qui souffrent et sont victimes de harcèlement de la part du gouvernement et de sa police : les militant-es LGBT et les mineurs (et leurs familles) en grève.

Dans les trois films on y voit aussi une solidarité inter-générationnelle ! Ce qui compte d’abord et avant tout c’est la condition d’opprimé et la classe sociale à laquelle on appartient ! En tout cas c’est aux antipodes de l’individualisme développé par Thatcher et poursuivi par ses successeurs.

Justice sociale aussi parce qu’à chaque fois, il apparaît que la situation désespérée des mineurs est injuste. Ils sont toujours les personnages positifs de ces films mais pris dans leur globalité puisque tous les mineurs ne sont pas exemplaires.

C’est la classe sociale qu’ils représentent qui est magnifiée et en contrepoint ceux qui cassent les solidarités qui sont les personnages négatifs : Thatcher et sa police, mais aussi, au-delà, tous ceux qui ont poursuivi ces politiques libérales ! ●

Olivier Sillam