L’Ukraine : où en est-on ?

L’Ukraine de ce début 2015 est sous perfusion du FMI et le précaire cessez-le-feu dans l’Est du pays n’a pas réglé le statut des « républiques » auto-proclamées de Donetsk et Lougansk (constituant le Donbass, de 6,5 millions d’habitants pour un pays qui en compte quelque 45 millions).

Mais l’identité nationale ukrainienne s’est consolidée dans le reste du pays.

En novembre 2013, lorsque le président Ianoukovitch refusa de signer l’accord d’association avec l’UE, le pays sortait à peine de plus de quinze mois de récession.

Depuis lors, la crise et la guerre ont produit une chute du PIB de plus de 8 % en 2014 avec un appauvrissement de la grande masse de la population, aggravé par l’effondrement de la monnaie, la hausse des prix de l’énergie (à la fois due aux nouveaux tarifs imposés par la Russie et à la réduction des subventions exigée par le FMI), l’inflation de 20 %.

L’annexion de la Crimée et les discours de Poutine dénigrant la réalité « ukrainienne » des régions dites de « Novo Russya », où s’est déployée une « guerre hybride » faisant plus de 4000 morts, ont détourné les mouvements protestataires des questions sociales.

Un patriotisme ukrainien s’est consolidé, jusqu’aux régions les plus russophones, bien que l’« Offensive anti-terroriste » de Kiev ait pu aussi donner du poids à la propagande de Moscou auprès d’une partie des populations prises entre deux feux.

Même si la participation aux élections n’a guère dépassé 52 %, et si elle fut plus faible à l’Est qu’à l’Ouest (avec blocage des scrutins par les milices « pro-russes » de Lougansk et Donetsk), les anciens clivages politiques entre régions ont fondu.

Maidan se défiait de tous les partis. Si le Parti communiste et le Parti des Régions, les plus implantés à l’Est, disparaissent du Parlement, la chute affecte aussi les partis pro-Maidan : le parti La Patrie de l’égérie de la Révolution Orange, Ioulia Timochenko, peine à obtenir les 5 % pour être à la Rada (parlement).

Et le parti d’extrême-droite Svoboda (Liberté) ne franchit pas ce seuil (alors qu’on soulignait ses 10 % de voix obtenues en 2012 et son rôle actif dans Maidan).

Le Parti Radical qui intègre des composantes néonazies, atteint un peu plus de 7 % mais était crédité de plus de 10 %.

**Un cessez-le-feu peu respecté

Deux coalitions favorables à l’UE et à l’OTAN arrivent en tête (environ 22 % de voix chacune) : le « Front populaire » du Premier ministre Arseni Iatseniouk, talonné par le « Bloc de Petro Porochenko », président élu en mai.

S’intègre à cet ensemble « pro-occidental » le nouveau venu le plus proche de la « société civile », Samopomitch (Entreaide) avec près de 11 % de voix.

Dans l’opposition, seul le « Bloc de l’Opposition » (où se retrouve une partie de l’ancien parti des régions) franchit le seuil (près de 10 % des voix).

Trente postes de députés restent réservés à la Crimée – annexée par la Russie – et aux régions du Donbass.

Les dirigeants des deux « républiques populaires » autoproclamées y ont organisé des simulacres d’élections régionales le 2 novembre. Kiev a coupé leur financement budgétaire mi-novembre en exigeant l’annulation du scrutin.

Les insurgés réclament son rétablissement ce qui reflète le fait que Poutine n’est pas prêt à remplacer les subventions que les mines du Donbass reçoivent encore de Kiev : plus qu’une annexion coûteuse, Moscou espère sans doute que le Donbass obtienne une très forte autonomie tout restant en Ukraine, en ayant le moyen de déstabiliser ses choix.

Le Bloc Porochenko mise sur les pressions internationales pour faire respecter un protocole signé à Minsk le 5 septembre, alors que les discours de reconquête guerrière ont dominé les autres formations.

Le cessez-le-feu, réaffirmé en décembre, est peu respecté, même si les conflits ont baissé et si les deux parties ont procédé fin décembre à un échange de prisonniers.

Le retrait des groupes armés illégaux, le statut de la région et la protection des frontières sont des points clés non réglés.

Maidan a mis fin au pouvoir oligarchique de Ianoukovitch et de son appareil répressif. Mais ce n’est pas la fin du règne des oligarques. Porochenko est un des dix plus riches personnages du pays, et pratiquement tous les partis du nouveau parlement sont réputés avoir des financements oligarchiques pendant que la population est exsangue.

Si le cessez-le-feu se consolide, les aspirations à la justice sociale qui étaient à l’arrière-plan du soulèvement populaire reviendront en surface. ●

Catherine Samary