Fiscalité : tout pour les riches, et ce n’est pas fini !

Questions à Vincent Drezet (SNUI-Solidaires).

Le bouclier fiscal faisait trop tâche dans le bilan du président des riches. Qu’à cela
ne tienne, sa disparition se fera au prix d’une refonte de l’ISF qui va grever encore plus
les finances publiques et consacre Sarkozy comme le président des très riches.
Vincent DREZET, Secrétaire national du SNUI-Solidaires, répond à nos questions.

Ecole Emancipée : Contraint politiquement de renoncer au bouclier fiscal, Sarkozy revoit l’ISF. Qu’est-ce que cela change pour ses bénéficiaires et quel coût cela représente-t-il pour les finances publiques ?

Vincent Drezet : On dénombre aujourd’hui 560 000 redevables de l’ISF. Il s’agit de personnes dont le patrimoine net (c’est-à-dire le patrimoine brut déduction faite des abattements, exonérations et des dettes) est supérieur à 800 000 euros. C’est un montant déjà relativement élevé (le patrimoine moyen en France est inférieur à 200 000 euros) même s’il est vrai qu’en ville, une personne de 60 ans qui termine de rembourser son emprunt pour un bien acheté 20 ans auparavant et qui hérite de ses parents peut se retrouver à payer l’ISF, souvent pour des sommes modestes (quelques centaines d’euros). Dans ses 560 000 personnes, 300 000 paient en moyenne 1 000 euros d’ISF, se situant dans la première tranche (leur patrimoine est compris entre 800 000 et 1 200 000 euros) et ne paieront plus d’ISF. Les autres en paieront moins car le barème de l’ISF a été allégé. Le gouvernement prétend que cette réforme sera neutre pour les finances publiques car financée par d’autres mesures, comme la suppression du bouclier fiscal ou le relèvement des droits de donation et de succession que Nicolas Sarkozy avait considérablement allégés dans la loi « tepa » de 2007. Mais pour ce faire, il mobilise certaines sommes du contrôle fiscal (300 millions d’euros), ce qui est surprenant car normalement ces sommes sont reversées directement au budget de l’Etat et ne donnent pas lieu à « instrumentalisation » pour financer telle ou telle réforme.

EE : La Cour des comptes fait valoir que les deux tiers de l’endettement de la France (90 % du PIB) proviennent de la politique fiscale de Sarkozy. Quelles mesures fiscales faudrait-il mettre en place pour inverser cette tendance et « faire payer les riches » ?

VD : A l’évidence, il faudra une augmentation des recettes publiques (les fameux prélèvements obligatoires). Or, si l’on constate que les classes modestes et moyennes paient « plein pot » d’une part, que les allègements de ces 20 dernières années ont largement bénéficié aux 10 %, voire aux 5 % des français les plus riches d’autre part, alors on peut en conclure qu’il faut rééquilibrer le système fiscal en privilégiant notamment les impôts directs progressifs comme l’impôt sur le revenu, et en revenant sur de nombreuses niches fiscales utilisées tant par les particuliers aisés que par les grandes entreprises.

Il reste par ailleurs à refonder la fiscalité du patrimoine et la fiscalité locale, devenue de plus en plus injuste mais dont le poids s’accroît chaque année sous l’effet des transferts de compétences notamment. Cela ne devrait d’ailleurs pas s’arrêter car la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale se traduit par un manque à gagner annuel de 6 milliards d’euros pour les collectivités locales qui devront soit sacrifier les services publics locaux, soit augmenter fortement les impôts locaux des ménages.

Enfin, n’oublions pas la lutte contre la fraude fiscale qui demeure plus que jamais un enjeu d’actualité. Malgré les déclarations enthousiastes des G20, la fraude fiscale n’a jamais été aussi importante, tant au plan national qu’international. Or, avec la fraude, les Etats perdent de l’argent (40 à 50 milliards d’euros par an en France) et les injustices sociales et économiques s’accroissent.

EE : Un véritable impôt progressif est de plus en plus d’actualité. Comment le patrimoine pourrait-il le compléter ?

VD : Deux chantiers majeurs sont en débat : la fiscalité du patrimoine et celle des revenus. S’agissant du patrimoine, la réforme gouvernementale s’appuie sur les mêmes arguments que ceux qui ont été développés lors de chaque réforme : baisser la fiscalité pour favoriser l’investissement, sous peine de voir partir les richesses… Or, rien ne vient étayer cette thèse. Au contraire, les données disponibles montrent que les baisses d’impôts ne se sont pas accompagnées d’un sursaut d’investissement et que les expatriations fiscales sont marginales (de plus, alors qu’on sait que des étrangers viennent s’installer en France, il n’existe curieusement aucun chiffrage sur le sujet). La fiscalité du patrimoine doit donc disposer d’une assiette large (avec une exonération de l’outil de production plus restreinte que celle existant à l’ISF aujourd’hui, et un abattement sur la résidence principale en montant et pas en pourcentage) et d’un barème modérément progressif (avec une telle assiette et un barème de 2 tranches, 0,5 et 1 %, les recettes seraient supérieures à celles de l’actuel ISF).

S’agissant de la fiscalité des revenus, il existe de nombreux projets mais elle doit répondre à deux impératifs : une véritable progressivité (avec un taux marginal dissuasif afin d’éviter le versement de trop hautes rémunérations) et un respect de l’affectation des recettes (fiscales vers l’Etat et sociales vers la sécurité sociale) si l’on veut rapprocher (fusion ou pas) l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée. l