Inquiétant procès contre l’inspection du travail !

Nous avons demandé à Gérard Filoche de nous parler de son « procès », acadabrantesque selon ses mots, pour « entrave à comité d’entreprise ». Délit passible d’un an de prison et de 3 750 euros d’amende ! Verdict le 12 octobre…

Le 6 juillet, je me suis retrouvé, méfiant et indigné d’être là, accusé d’avoir « entravé un CE » sept ans plus tôt, lorsque j’étais inspecteur du travail, au siège de l’entreprise de cosmétique Guinot (250 salariés). Quel pourrait bien être le motif pour que j’entrave un CE ? J’ai passé trente ans de ma vie professionnelle à défendre le droit du travail, à tout faire pour que vivent les institutions représentatives du personnel !

Un délit d’entrave, juridiquement, ne peut être passif et suppose qu’il y ait une « intention ». Quelle intention ? La procureur et l’avocat de Guinot ont été bien incapables de la décrire. J’aurais, si on essaie de les deviner mieux qu’ils ne se sont exprimés, tenté, le 24 juillet 2004, d’influer le CE pour qu’il ne rende pas un « avis favorable » au licenciement d’une salariée protégée dont on me demandait l’autorisation pour la 3ème fois ? Absurde : ce CE, composé de deux membres, avait déjà voté un « avis favorable » le 18 mars 2004 à l’encontre de cette jeune femme. Il n’y avait aucun enjeu à influer un CE qui avait déjà voté et dont l’avis n’est qu’indicatif.

Enquête urgente…

La déléguée du personnel, de retour de congé maternité, avait été mise à pied sans salaire, sous un prétexte inventé de toutes pièces par l’employeur. Comme nous étions le 24, j’enquêtais en urgence car elle n’allait pas toucher de salaire fin juillet et, du fait des vacances, ne serait payée que fin septembre. Il fallait réunir trois éléments : l’avis du CE, la demande d’autorisation de licenciement confirmée par l’employeur (qui faisait délibérément traîner les choses depuis juin) et entendre les témoins pour une « enquête contradictoire ». J’ai rempli cette mission et refusé le licenciement.

Ma hiérarchie, en la personne de Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail (le « Besson » du droit du travail), a cru bon de casser ma décision. De façon malvenue puisque, en mars 2010, la Cour d’appel du TA annulait sa décision et réintégrait la salariée, son patron étant condamné de façon ferme pour « entrave » à son action de déléguée du personnel. Sur 12 procédures en 7 ans, la salariée en a gagné 12…

Aucune base juridique
à ce procès

Pourquoi était-ce moi, l’inspecteur, qui était là devant le tribunal alors que c’est le patron délinquant qui aurait dû y être ? Pourquoi et comment une Procureure avait-elle trouvé l’opportunité et le temps de me poursuivre ? Il faut qu’il y ait eu une sacrée pression politique pour en arriver là.

A l’audience, le procès est devenu, bien au-delà de moi, celui des missions de l’inspection du travail et des droits des femmes de retour de congé maternité.
Le Monde du 8 juillet a titré « Questions sur l’impartialité d’un inspecteur du travail, Gérard Filoche, militant socialiste, accusé d’entrave à un CE » (sic). Un titre… très partial. Mais un inspecteur du travail doit être partial, puisque les assujettis au Code du travail, ce sont les employeurs. L’inspection est née, a été développée depuis un siècle pour contrôler les employeurs, pas les salariés. L’inspection est « indépendante » mais n’est pas « neutre ». Elle a pour mission de contrôler et sanctionner les patrons délinquants.

Face à un patron pris en flagrant délit, en train de discriminer une femme de retour de congé maternité, d’entraver son action de déléguée syndicale, d’accumuler quatre procédures pour la licencier, de monter une provocation grossière pour l’envoyer en justice… l’inspecteur du travail est un agent du service public chargé de rétablir la loi dans l’entreprise en protégeant la salariée.

Celui qui prend une décision favorable à une salariée protégée, est à la fois « juge et partie » en droit administratif, à la différence du droit civil ou pénal. L’inspecteur enquête ET décide. C’est pour cela qu’il existe cinq recours contentieux possibles auprès de l’inspecteur, de la hiérarchie du ministère, du tribunal administratif, de la Cour d’appel de ce TA, du Conseil d’état. Et quand cette Cour d’appel a tranché qu’il y a eu « discrimination » et « entrave » à l’égard de la salariée de retour de congé maternité et aussi en tant que syndicaliste, c’est ce qu’on appelle un « jugement définitif ». Quand la chose jugée donne raison à l’action de l’inspecteur, c’est qu’il a fait son travail. Et la loi devrait l’emporter sur les intrigues patronales et politiques !

Alors pourquoi ce procès ? Sinon que pendant que l’inspecteur est en audience, le patron fraude la loi comme il veut…

Le plus croquignolesque, c’est que ce procès a été initié en 2005 par le patron de Guinot en son nom propre pour « chantage au CE ». C’était trop indécent. Il a recommencé la procédure et s’est porté partie civile au nom de la société Guinot. Combrexelle et le procureur ont rectifié le motif par « entrave au CE ». Mais j’ai fait remarquer que c’était le CE, entité juridique, qui était concerné. Alors, le 9 mars 2009, le patron de Guinot a réuni le CE pour qu’à son tour, il se porte partie civile contre moi… pour « entrave ». Dans le compte-rendu du CE de ce jour-là, il n’y a qu’un seul membre présent !

Merci à toutes celles et ceux qui se sont mobilisés, m’ont soutenu par la pétition (40 000 signatures) et financièrement (ça coûte cher, Combrexelle m’ayant refusé la protection fonctionnelle), sont venus au procès dans une grande solidarité. ●

Gérard Filoche

http://solidarite-filoche.fr/