« Ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient faire », éléments pour un bilan du sarkozysme

Battu, Sarkozy a disparu des écrans, comme soufflé
par l’aspiration formidable à se débarrasser de lui.
Il n’en est pas de même, hélas, des conséquences
de son quinquennat sur la société française.
D’où la nécessité de travailler à ce bilan.
D’autant qu’on voit déjà qu’entre la gauche et la droite l’engagement pour ouvrir un tel chantier est fort inégal.

Si Sarkozy a été écarté du pouvoir, certainement de manière injuste pour ses amis, c’est, pour les mêmes, à cause de quelques erreurs personnelles, de maladresses de communication qui furent à l’origine de son impopularité. Pour eux, la politique menée était la bonne, malheureusement (et provisoirement) interrompue.(1)

Bref, Sarkozy s’effaçant rend un ultime service à la droite : entretenir l’illusion que l’échec politique résulte de ses défauts personnels (retour de bâton de l’hyper présidence), exemptant ainsi la droite, dans son ensemble et dans toutes ses composantes, de la responsabilité de ce qui a été fait.
Et la gauche aujourd’hui au pouvoir, François Hollande, le Parti socialiste ? Face à cette volonté de la part de la droite de préservation de l’essentiel de la politique menée durant 5 ans, une ambition modeste de remédiation, cantonnée à la marge. Parce qu’il est vrai que Sarkozy a échoué à gagner un second quinquennat à cause d’un certain nombre d’excès au regard de ce qui était possible ici et maintenant – la brutalisation et l’étouffement des collectivités territoriales, l’agression des « corps intermédiaires », au premier chef les syndicats… -, François Hollande est en situation d’y opposer la « normalité » : des relations apaisées avec les citoyens et la société, l’affichage d’une gouvernance raisonnable…

Tout cela est loin d’être négligeable, mais bien éloigné de la question décisive : quelle rupture avec le sarkozysme ? Quelle alternative à la politique de la droite et à l’ultralibéralisme ?

Un changement tranquille ?

En fait, la rupture ne peut être cantonnée à abroger quelques mesures particulièrement scandaleuses (ce qu’il faut bien évidemment faire) : la circulaire interdisant de travail les étudiants étrangers, les tribunaux correctionnels pour les mineurs etc… Ni se limiter à des réformes homéopathiques pour corriger les contre-réformes de la droite et consoler des profonds reculs imposés aux conditions de vie du plus grand nombre : la retraite à 60 ans pour les seuls salariés ayant commencé très jeunes à travailler, un mini coup de pouce au SMIC, la création de postes dans l’éducation par redéploiement au sein de la Fonction publique… Ni de se contenter de précautionneuses propositions quant aux politiques menées à l’échelle européenne, qui valent acceptation, au nom du désendettement et de la réduction des déficits budgétaires, des politiques brutales d’austérité généralisée, dès lors qu’y serait adjoint un signe de bonne volonté en faveur de la « croissance »… L’alliance Merkel-Sarkozy a de facto instauré un directoire européen qui a imposé des règles dont la fonction est de tuer dans l’oeuf toute velléité d’ouvrir une alternative aux politiques d’austérité menées dans l’Union européenne et dans la zone euro. Il est évident que la seule modification de la relation personnelle entre la chancelière allemande et le président français ne saurait suffire à renverser cet état de fait.

Bref, les efforts d’équilibrisme pour rendre crédible un changement modéré reposent sur un escamotage du devoir d’inventaire en matière de sarkozysme. A l’inverse, explorons quelques pistes d’un chantier à ouvrir…

Déstabilisation…

La frénésie de réformes qui a dominé le quinquennat fait qu’au bout de 5 années, beaucoup des choses, après chamboulements multiples et divers coups de force, vont paraître revenir à l’état initial, à quelques aggravations près : on songe à tout ce qui touche à l’insécurité, aux prétentions à maîtriser l’immigration dite illégale, sans oublier évidemment tout ce qui touche à l’emploi et au pouvoir d’achat… De cela il serait pourtant erroné de conclure que le quinquennat, ce fut au final « beaucoup de bruit pour rien ».

L’important est qu’a été opérée une déstabilisation de tous les secteurs de la société : l’école, l’Université, la santé, la justice, la police, les collectivités territoriales… Attaques tout azimut qui ont suscité une multiplicité de résistances, une dynamique de convergences de celles-ci en une contestation d’ensemble, mais sans que puisse se matérialiser une contre-offensive généralisée, bousculant le pouvoir et ouvrant une perspective alternative à cette transformation réactionnaire de la société.

Ce fut au contraire Sarkozy soi-même qui décida d’un affrontement central sur la question des retraites, assumant une confrontation avec un soulèvement social d’une puissance n’ayant guère de précédent. Le prix fut lourd pour lui en termes de perte de légitimité politique, qui sans doute ne fut pas pour rien dans son échec final. Mais l’épreuve de force, il l’a gagnée. Ce qui signifie que dure sera la pente pour revenir au droit à la retraite à 60 ans pour toutes et tous à taux plein.

En ce sens, la dégradation du rapport de forces entre classes, manifeste au cours des dernières décennies, a été sérieusement aggravée par le sarkozysme.

Un insidieux empoisonnement

Une autre dimension du problème demande à être prise en compte, qui est plus délicate à définir parce que sur elle pèse la difficulté, présente dès le début, de comprendre précisément ce qu’est le sarkozysme au regard des références traditionnelles de la droite française. On peut avancer l’hypothèse que la politique menée a produit une sorte d’empoisonnement du corps social, en donnant une cohérence et une légitimité politique à toutes les perturbations provoquées en profondeur par l’ultralibéralisme, et en neutralisant progressivement les anticorps s’y opposant (l’ancrage des valeurs d’égalité et de solidarité, l’attachement aux services publics, les attentes par rapport à l’État protecteur et aux références républicaines…). Le sarkozysme a diffusé un impératif mouvementiste auquel chacun est censé devoir se plier, donc d’acceptation de la flexibilité, de la mobilité, de la négociation personnelle avec l’employeur ou le supérieur hiérarchique, avec au bout la suprématie du contrat sur la loi… Et la diffusion de l’autoritarisme comme mode de fonctionnement obligé, et ce, à tous les niveaux. Là encore, comment ne pas voir que l’omniprésence de Sarkozy a, tout en servant de modèle, masqué la prolifération des mini présidents de tout poil et de toutes tailles revendiquant leur droit à l’omnipotence ?

Toutes choses qui confirment le danger majeur de l’inertie en matière de bilan du sarkozysme : lui parti, toutes ces évolutions néfastes se poursuivent implacablement…

Observons également qu’un des plus puissants poisons dont Sarkozy a favorisé la diffusion relève de cette idéologie consistant à estomper les clivages de classe, dans leur complexité et leur radicalité, toujours fort prégnants et fortement accentués par la crise capitaliste, par la surimpression d’oppositions fantasmatiques : « méritants » contre « assistés », « citoyens honnêtes » face aux « délinquants », et au final l’appel aux « nationaux » menacés par des étrangers inquiétants… Sur ces thèmes, la radicalisation du discours sarkozyste au cours de sa campagne, en particulier entre les deux tours, mérite une prise en compte sérieuse. On peut se rassurer en relevant que cette lepénisation ne lui a pas permis de l’emporter, il convient plutôt de s’alarmer qu’elle lui a permis de regagner du terrain. Ce qui signifie qu’elle a recontré un réel écho dans une partie significative de la population. Donc, qu’on est loin d’en avoir fini avec le séisme politique qu’a représenté le sarkozysme pour la société française.

Un mot en guise de conclusion, pour encore insister sur l’idée que ce travail de bilan du sarkozysme doit être mené sérieusement : sans retour sérieux sur ce passé immédiat, on ne saurait définir de perspective solide d’avenir. Le changement, certes c’est maintenant, mais l’ampleur de la tâche indique qu’il y faudra du temps, et surtout, bien de la détermination et de l’audace. ●

Christian Surmonne

1) On notera le propos de l’inénarable Brice Hortefeux, au nom de l’association des Amis
de Sarkozy : « Nous avons l’ambition d’aider l’Histoire
à former son jugement sur un quinquennat qui restera,
à nos yeux, comme un temps fort de modernisation et de réformes » (in Le Monde du 1er juin 2012).

Mais aussi, de manière plus significative, ceux tenus en février 2012 par un patron décidé à voter Sarkozy « sans aucun état d’âme ». Lequel saluait particulièrement la proposition du candidat UMP de permettre
aux entreprises de déroger à la législation et aux accords de branche : « Il a parfaitement raison,
c’est fondamental que les entreprises puissent décider
de leur avenir avec leurs hommes ! ».

Et de conclure à propos du quinquennat :
« Ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient faire ». Rapporté par Eric Dupin dans son livre La Victoire empoisonnée.