Conférence de Rio+20 : la nature bradée à vil prix

Rio+20, un échec supplémentaire dans la litanie des conférences internationales sur l’environnement ?
Oui, mais pas seulement. A force de stagnations ou de reculs des négociations internationales, notamment celles sur le climat, on a pris l’habitude de ne voir là qu’un éternel recommencement, avec les discours compassés des chefs d’État, et ceux des négociateurs persuadés d’avoir donnée une chance à la planète.
Pour autant, si Rio+20 peut être rangé au rayon des événements inutiles, il permet d’observer les changements à l’œuvre au sein du système capitaliste, ainsi que dans la façon dont les classes dirigeantes envisagent
le rapport de leur économie aux écosystèmes.

Si on prend au sérieux le titre de la déclaration du sommet, « le futur que nous voulons », c’est bien d’une orientation pour le capitalisme qu’il s’agit, à court et moyen terme. Pas d’une réorientation, mais des propositions pour une relance du système. C’est donc à cette aune qu’on peut comparer l’esprit de la conférence de Rio de 1992 et la réalité de Rio+20.

Sauver la planète ?
Non, le capitalisme…

La conférence de 1992, malgré toutes ses limites, consacrait la prise de conscience de la part des institutions internationales de la profondeur de la crise écologique et de l’urgence des réponses à y apporter. Le rapport Bruntland en 1988 avait popularisé le concept mou de développement durable, l’ONU avait fondé le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC) en 1990, et la conférence de Rio avait abouti à une convention cadre sur les changements climatiques, prémisse du protocole de Kyoto. Dans cette période, l’idéologie dominante consistait à trouver un équilibre entre trois piliers, le social, l’économique et l’écologique, perçus comme des sphères autonomes, a contrario d’une pensée holiste cherchant à comprendre les rapports entre ces trois aspects conjoints des sociétés humaines. La conclusion pratique était la recherche de compromis entre ces trois piliers, le plus souvent, il faut bien le dire, au profit de l’économique, c’est-à-dire des capitalistes.

A Rio+20, s’il ne s’agit pas officiellement d’en finir avec le développement durable, pourtant inoffensif, l’innovation conceptuelle tient en la promotion de l’économie verte, définie par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) comme « une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale, tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources ». Que rêver de mieux ?

… grâce à « l’économie verte »

Le même rapport du PNUE précise que « la réalisation du développement durable dépend presqu’entièrement d’une bonne approche économique [et qu’] il existe de multiples opportunités d’investissements, et donc d’augmentation de la richesse et des emplois, dans de nombreux secteurs verts ».(1) On voit là où se situe l’avancée idéologique par rapport à 1992. Il se s’agit plus vraiment de verdir le capitalisme, dans le sens où l’on pourrait en atténuer les effets les plus criants sur les écosystèmes, mais bien plutôt comme le dit Geneviève Azam, de « la conquête du “capital naturel”, son inclusion dans le cycle du capital, non pas seulement comme stock dans lequel puiser sans limite, mais comme flux producteur de services. ». Cette conquête, qu’on peut penser à la manière de David Harvey comme une forme poussée d’accumulation par dépossession, se traduit par une privatisation et une marchandisation de ce qui est décrit comme les services rendus par la nature, tels que par exemple la captation du CO2 par les plantes. D’où la ruée vers la biomasse qui apparaît à certains comme une roue de secours verte face à l’épuisement du pétrole, et dont les agrocarburants ne sont qu’une facette.
L’autre aspect à souligner quant aux changements opérés depuis 1992 touche à l’institutionnalisation des collaborations entre multinationales et agences onusiennes dans le domaine environnemental. Les partenariats de l’ONU avec Shell sur la biodiversité, Coca-Cola sur la protection des ressources en eau, Nestlé sur l’autonomisation des communautés rurales, ou encore BASF, Coca-Cola sur l’urbanisation durable donnent raison au commissaire européen à l’environnement qui appelle à « passer d’une protection de l’environnement contre les entreprises à une protection de l’environnement grâce aux entreprises ». Si la crise économique mondiale ne semble pour le moment pas perturber ces plans d’avenir, il reste encore à prouver que de tels projets seront suffisants pour relancer la machine, mais rien n’est moins sûr.

Vincent Gay

1) PNUE, « Vers une économie verte »,
2011, cité par Daniel Tanuro,
Le Sarkophage n° 31, juillet 2012.