Transformer l’école pour transformer la société : le projet éducatif de l’école émancipée ou comment remettre le SNUipp-FSU sur les rails ?

Compte-rendu du stage national organisé par l’EE-SNUipp-FSU du 30 janvier 2014

Introduction

Nous faisons collectivement l’analyse que le SNUipp-FSU est en panne de projet éducatif. Son corpus revendicatif est galvaudé dans la période, réduit à l’énonciation de slogans vidés de leur contenu politique et de leur visée émancipatrice en lien avec un projet de société, quand il n’est pas abandonné tout simplement.

Ce corpus revendicatif, qui doit beaucoup au travail de camarades de l’école émancipée, s’est pour l’essentiel construit dans les années 90.

Depuis, force est de constater qu’il s’est passé des choses. Syndicalement, politiquement, dans la dégradation du système éducatif, dans la recherche.

– syndicalement :

les tensions que nous vivons au SNUipp-FSU ont pour une bonne part quitter les considérations stratégiques pour se situer dans l’appréciation même des transformations du système scolaire à l’œuvre et dans la nature émancipatrice du positionnement du SNUipp sur ces questions. Derrière les mots « réussite de tous » on ne met plus du tout les même réalités et ambitions. Les débats de notre dernier congrès sur le thème 1 sont de ce point de vue éloquents. Quand la notion de bienveillance prend le pas sur la notion d’émancipation de tous les élèves, on subodore les éléments de masquage des réalités auxquelles on ne voudrait plus s’attaquer.

Le débat sur les rythmes scolaires est tout aussi éloquent : après un an de bagarre le SNUipp-FSU se décide enfin à remettre sur le devant de la scène son mandat de déconnexion temps élèves / temps enseignants.

– dégradation du système éducatif

Bien sûr la description sera faite à gros traits. Si la massification a connu son apogée au milieu des années 90, force est de constater que depuis l’objectif de démocratisation n’a pas été atteint. Bien au contraire.

Jusqu’aux années 90, l’école connaît une longue phase d’amélioration du niveau moyen des élèves. Cette évolution est à corréler avec l’augmentation des moyens donnés à l’école, l’unification progressive du système scolaire, l’augmentation de la durée de la scolarité obligatoire.

Une nouvelle dynamique s’installe dans les années 2000. Le niveau des élèves les plus performants n’évolue pas de façon significative, le nombre d’élèves en grande difficulté augmente, et leur niveau baisse : ces 15 dernières années ont connu une aggravation des inégalités scolaires.

– Ces évolutions sont tributaires d’un certain nombre de choix politiques

En 1994, pour la première fois depuis 1945, la part du PIB en France consacrée à l’éducation décroit. Cette pente continue d’être suivie depuis. Mais, si on doit identifier un moment symbolique de la transformation du projet politique pour l’école, c’est à Lisbonne qu’il faut aller, et pas n’importe quand, en 2000, quand les gouvernements européens se sont mis d’accord sur un cadre de redéfinition des missions et des modes de fonctionnement de leurs écoles.

Il s’agit de préparer les pays européens à l’émergence de « l’économie de la connaissance » et donc d’amener à haut niveau de qualification au moins la moitié de la population, quitte à laisser l’autre moitié de côté pour une meilleure adaptation à un marché de l’emploi flexible. Bac + 3 pour une partie. Bac – 3 pour l’autre. Programme / socle.

La déclinaison française est assez bien connue ici. Tout d’abord, il y a eu bien sûr les suppressions de poste dans le cadre de la la RGPP et du dogme du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, (-30 000 pour le premier degré). Il y a une réorganisation du fonctionnement du système éducatif, avec développement des logiques de pilotage, renforcement du pouvoir hiérarchique. Mais aussi ses missions ont été transformées, les réformes se sont multipliées : programmes de 2008, aide personnalisée, remise en cause des RASED, stages de remise à niveau, diminution de l’horaire des élèves, évaluations… Au lieu de lutter contre les inégalités, elles se fondaient, avec notamment la mise en place d’un socle commun, sur un renoncement à l’élévation du niveau pour tous. Elles ont attaqué de front les ambitions du service public d’éducation et ont détourné les objectifs de l’école. La cohérence de ces réformes se traduit par la subordination de l’éducation à l’intérêt économique, le renoncement au « tous capables », dans les faits de façon certaine, et parfois même dans les discours. Conséquences sur les enfants, on l’a vu avec l’augmentation des inégalités scolaires. Conséquences aussi sur les personnels. La mise en œuvre d’une gestion de type managérial dégrade le climat et les conditions de travail et accentue le malaise et la souffrance des personnels. Ces réformes se sont traduites par la hausse des effectifs et l’intensification du travail notamment avec la mise en place de l’aide personnalisée… Concurrence entre agents, déni de transparence et de démocratie. Casse de collectifs de travail…

Pour les personnels, c’est une réassignation profonde de leur métier. On nous a sortis de notre métier pour nous demander d’en faire un autre. Cela a motivé des résistances, cela n’est pas encore acté, mais c’est une véritable tension à l’échelle de l’ensemble de la profession dont il faut tenir compte, d’autant qu’elle engendre une rupture avec le genre professionnel, avec l’histoire de notre métier, qui peut se révéler mortifère.

– Mais elles ont aussi à voir avec les pratiques scolaires, et là il faut aller voir ce que nous disait la recherche, ce que nous dit la recherche.

Les travaux de la sociologie critique des années 70 (Bourdieu, Passeron…) montrent la corrélation statistique entre origine sociale et devenir scolaire. La théorie de la Reproduction évoque l’arbitraire culturel d’une école alignant ses standards sur ceux des classes dominantes et ce faisant reproduit les inégalités en même temps qu’elles les légitiment. Plus qu’économiques, ce sont les différences culturelles qui déterminent les différences scolaires. Code restreint pour les enfants des classes populaires, code élaboré pour les enfants culturellement favorisé. Il faut donc que l’école comble ce manque.

Ces travaux déterminent tout une série d’évolution du système scolaire dans les années 80-90 (ZEP, RASED…). Mais voilà. Cela ne suffit pas. Et ce n’est pas que question du manque de moyens.

Car, ce que l’école rate, ce sont les enjeux que pose le rapport aux savoirs des enfants des classes populaires, en particulier sur la conception du langage. C’est ce qu’indiquent tous les travaux du groupe escol : apprendre à l’école, c’est devoir rompre avec un rapport quotidien et immédiat au monde. Cette rupture suppose des usages spécifiques du langage qui correspondent à des attitudes de distance, de surplomb, d’observation, de questionnement, d’explication… Langage comme structuration de la pensée. Langage comme construction d’un rapport au réel, qui se nourrit d’une histoire (de la discipline, de sa recherche). L’école est dans l’évidence de leur acquisition par tous et en dehors d’elle et c’est loin d’être le cas, particulièrement pour les élèves issus des classes populaires.

L’école est perdue entre l’indifférence aux différences et la surestimation des différences. Indifférence aux différences qui laisse libre place aux implicites, et au final aux malentendus cognitifs, ce qui induit pour beaucoup d’élèves d’être dans l’agir et non dans la construction d’une pensée.

Surestimation des différences quand, face aux défis que pose les élèves des classes populaires, elle simplifie, réduit les exigences, morcelle les tâches et donc empêche tout autant la construction de pensée.

Un nouveau projet éducatif de l’école émancipée donc. Remettre le SNUipp sur ses rails. Mener un travail pour faire que de nouveau on trouve au centre des discussions éducatives l’idée d’une transformation radicale du système scolaire pour l’émancipation de tous ses élèves, et donc des enfants des classes populaires. Cela nécessite de rebattre toutes les cartes (contenus, pratiques, structures) à l’aune de ce que j’ai pu aborder précédemment et puis de tout ce que j’ai oublié (question de genre, démarche coopérative…), notamment si l’on considère que l’on est plus en train de préparer le 6 février 34 que les grèves de 36…

Compte-rendu des débats

Des constats

Il semble aujourd’hui y avoir une sorte de résignation, comme pour l’ensemble de la société, un fatalisme s’installe : l’école capitaliste et sa fonction de tri social ont le vent en poupe et la résistance, la volonté de changement progressiste ne sont pas suffisamment combatives. Pourtant, on peut s’appuyer sur Freinet pour affirmer que les pratiques enseignantes ne sont pas neutres. La question de savoir si on peut choisir entre être un agent de l’école capitaliste ou être résistant est posée.

Plusieurs éléments sont inquiétants quant à une possible évolution rapide de la situation. Comme nos élèves, nous sommes trop dans le faire et pas assez dans l’apprendre. Les enseignants sont de moins en moins dans la réflexion. C’est évidemment une question de formation, mais aussi de conscience politique (de classes ?). Le fait que les instituteurs ne soient plus issus des classes populaires, le niveau de recrutement changent la donne et les enjeux de l’école pour les classes populaires sont inconnus pour bon nombre de personnels.

Il y a de plus en plus une contradiction entre ce qui est dit et ce qui est fait : volonté affichée d’une école égalitaire, maintien dans les faits d’une école élitiste qui aggrave les inégalités sociales.

Le “handicap scolaire” des enfants issus des classes populaires reste pratiquement insurmontable et les moyens donnés à l’éducation prioritaire n’empêchent pas l’échec.

Les collègues sont dans l’urgence permanente, les programmes actuels ne sont pas tenables et la réduction du nombre d’heures d’apprentissage (6h/semaine perdues en l’espace de 40 ans) est dramatique. Elle a forcément des conséquences sur la réussite scolaire des classes populaires.

La place du périscolaire dans la réforme des rythmes a pour vocation de déposséder les enseignants de leur travail. La volonté de centrer l’école sur les compétences est une priorité qui appelle des réponses de l’école émancipée.
Nous devons y aller carrément et attaquer la question des 60 000 postes en démasquant partout le projet de territorialisation de l’éducation nationale. Les 60 000 postes sont un leurre et nous devons le dénoncer.

De nombreux points ont été soulevés :
– Base élèves et le fichage des élèves,
– La question des cycles,
– La gestion collégiale de l’école,
– Le refus de la zone prioritaire avec le turnover qui nous éloigne aussi des milieux populaires et les recrutements continus de vacataires pour combler les déficits en personnels,
– La loi de 2005 sur le handicap, sans les moyens qui vont avec,
– Le PDMQDC, qui “vole” des postes mérite d’être rediscuté au moment où les dotations ne correspondent pas aux besoins,
– Les actions de droite et d’extrême droite qui montent en puissance, notamment contre les ABCD de l’égalité.

Un camarade a résumé la situation : « Il y en a assez des bonnes intentions qui se transforment en souffrance pour les enseignants. »

Des pistes

Renforcer nos mandats

Pour remettre le syndicat dans le sens de la marche, changer la donne dans la profession, commencer à infléchir les politiques menées pour l’école, il est apparu qu’il faut s’appuyer sur nos mandats, à commencer par l’obligation scolaire à 18 ans qui n’est ni un vœux pieux, ni une utopie, mais l’affirmation du « tous capables », d’un cursus commun « de la maternelle à l’université ». À l’école émancipée, nous affirmons que tous les élèves doivent avoir accès aux mêmes contenus quels que soient leur origine, leur genre ou leur milieu social.

Cela passe par la réaffirmation et le renforcement de nos mandats, même si tout n’est pas gagnable dans l’immédiat, il faut pousser pour donner des perspectives.
C’est le cas du « plus de maîtres que de classes » qui demanderait la création de 100 000 postes si on implante 3 maîtres pour 2 classes. Le décrochage temps élèves / temps enseignants doit aussi être remis en avant tout comme les mandats sur la formation initiale et continue sans lesquelles aucune transformation n’est possible.

Les moyens pour mettre ces axes en œuvres doivent être chiffrés.

Travailler en interne

Le chantier que nous ouvrons donc doit nous permettre de poser, peut-être de répondre à de nombreuse questions :

– Est-on à la fois agent et résistant de l’école du capital ?
– Comment réfléchit-on aux pratiques pédagogiques dans un cadre conservateur et réactionnaire ?
– Comment sortir de l’école « un maître/une classe » (l’école de Jules Ferry) ?
– Comment ne plus sortir les élèves de la classe pour des pratiques de remédiation ?
– Les structures contre la difficulté scolaire, les RASED, les ZEP, les SEGPA, les EREA… sont-elles toujours pertinentes ?
– Nous devons aussi travailler sur l’individualisation des parcours.
– Le problème des inégalités territoriales est à réfléchir absolument tout en n’étant pas des « jacobinistes ».
– Quel rôle social des enseignants dans cette nouvelle configuration ?
– Devons-nous assumer un rôle de “médiateur culturel” ?
– Qu’est-ce que la réussite scolaire ? Pourquoi ne pas parler en terme de progrès des élèves par rapport à eux-mêmes ?
– Devons-nous travailler avec les chercheurs ou n’avons-nous pas besoin d’experts pour guider les enseignants ?
– Nous devons participer aux réflexions du groupe Escol et s’interroger sur le fait que les milieux populaires sont, en classe, plus dans le faire que dans l’apprendre.
– Les enseignants eux-mêmes peuvent-ils être des chercheurs ?
– Quelle part la sociologie critique pourrait-elle prendre dans la formation ?
– La langue des classes populaires peut-elle servir d’appui ?
– Quels programmes ?
– La formation continue contre la gestion managériale parait prioritaire.
– Comment redonner de l’importance au conseil des maîtres ?
– Comment faire confiance aux acteurs ?
– Travailler coopérativement dans le cadre d’une pédagogie active est plus difficile quand les conditions de travail se dégradent.
– Quelle place pour les manuels ?

Pour continuer notre réflexion, il nous faut créer des collectifs de travail et pourquoi pas, avec les camarades de la FSU préciser le manifeste de l’école émancipée.

L’action syndicale

Mais il faut aussi dès maintenant mener les bagarres syndicales qui permettent de redonner de l’espoir aux collègues. Élaborer une stratégie syndicale tout en ciblant des batailles gagnables rapidement.
– Des bagarres qui changent le quotidien des enseignants,
– S’attacher aux conditions matérielles,
– Sur les rythmes, il faudrait gagner cette bataille pour avancer sur le reste,
– Gagner sur quelques points importants et prioritaires pour redonner la volonté de lutter pédagogiquement et politiquement,
– Cibler des revendications salariales concrètes,
– Mettre en avant le rôle des personnels pour peser contre cette école,
– S’appuyer sur des mouvements comme ceux des désobéisseurs…