Réforme de l’évaluation des enseignant-e-s Accompagner ou mettre au pas ?

Le SNES s’est prononcé lors de son bureau national du 15 novembre dernier pour appuyer un vote POUR le décret sur les nouvelles carrières et l’évaluation des enseignant•e•s qui sera présenté au comité technique ministériel du 7 décembre prochain. L’École Émancipée au sein du SNES présente ici un argumentaire au sujet de la réforme de l’évaluation des enseignant•e•s pour diffuser son opposition à la signature de ce décret, téléchargeable sous forme de tract.

Le ministère dit vouloir « mieux accompagner les personnels dans l’exercice de leur métier ». Collectif ou individuel, cet accompagnement vise la mise en œuvre de « projets », « l’évolution des pratiques pédagogiques » et à « expliciter les orientations nationales ». Il est assuré par les supérieurs hiérarchiques ou des formateurs désignés par eux. En insistant sur l’idée que tout serait fait pour « accompagner » les collègues dans la mise en œuvre la réforme du collège cette année, Najat Vallaud Belkacem montre clairement que par « accompagnement » le ministère entend « mise au pas ». Le projet d’évaluation professionnelle maintient un lien de causalité direct entre le déroulement de carrière et l’évaluation à 4 moments de la carrière. Ainsi le ministère envisage de substituer aux inspections classiques quatre « rendez-vous de carrière » qui se dérouleraient pour les 3 premiers en 3 temps ainsi :
  1. Inspection en classe…
  2. Suivie d’un entretien avec l’inspecteur
  3. Puis d’un autre entretien avec le chef d’établissement pour les professeur-e-s du second degré (mais rien ne dit qu’il ne viendra pas à l’entretien avec l’IPR !).
Ces étapes permettront aux supérieurs hiérarchiques de formuler un avis sur la base de critères. 11 « compétences » au total : toutes à compléter par l’inspecteur dans le premier degré, 6 par le chef d’établissement dans le second degré, dont 3 en commun avec l’inspecteur qui lui en a 5 autres à cocher . Ces avis renseigneraient quatre degrés de maîtrise (de « à consolider » à « excellent » ), et se traduiraient par l’arrêt d’un avis final par l’autorité administrative (IA-DASEN ou Recteur). Tout cela remplacerait la notation mais au final aurait la même finalité de classement. Ces 3 premiers « rendez-vous de carrière » seraient placés au 6ème, au 8ème, au 9ème échelon de la classe normale. A la clé, un passage plus rapide à l’échelon supérieur ou l’admission plus rapide à la hors-classe. Autrement dit, les promotions se feront principalement sur avis des supérieurs hiérarchiques.

D’où vient ce projet de réforme ?

Mai 2012 : le décret contesté relatif à l’évaluation des enseignant-e-s et promulgué par Chatel juste avant son départ du ministère de l’Éducation Nationale. Il est abrogé par MM. Peillon et Hollande à leur arrivée au pouvoir. Ces derniers néanmoins avertissent : la réforme de l’évaluation des enseignant-e-s sera remise sur le métier durant le quinquennat. Le ministère a présenté ses propositions en juillet dernier. Depuis, les négociations ont été menées à froid. Le ministère a retiré un certain nombre de ses annonces comme la rédaction d’un bilan professionnel par les enseignant-e-s au préalable du rendez-vous carrière par exemple (non-obligatoire, il restera conseillé de le renseigner). Quelques garde-fous ont été annoncées (mais sans garantie !) : passage de toutes et tous à la hors-classe, cadrage national des critères d’accélération de carrière. Les propositions sont-elles pour autant satisfaisantes ? L’ÉÉ pense que ce n’est pas le cas. Tout d’abord, l’absence de déconnexion entre l’évaluation et l’avancement perdure, qui engendre des carrières inégales, et bien qu’elles soient amoindries par rapport à l’actuel système, subsiste. La création d’un nouveau grade, réservé à une petite minorité triée sur le volet, translate les inégalités en toute fin de carrière, et offre à la hiérarchie un outil de management inédit dans l’éducation. Enfin, ce nouveau système de compétences pose problème à plusieurs titres : beaucoup de critères ne reposent pas sur le travail en classe ou plus globalement auprès des élèves et sont très subjectifs. Comment ne pas voir dans le critère « agir en éducateur responsable et selon des pratiques éthiques » l’évaluation de l’obéissance et de la loyauté ? Comment ne pas voir dans le critère « accompagner les élèves dans leur parcours de formation » de même que dans l’évaluation du travail avec les « partenaires de l’école » une volonté de soumettre nos enseignements au marché du travail ?

Un projet qu’il faut combattre

Les syndicats enseignant de la FSU ont eu une appréciation variable du projet présenté, certains le considérant comme peu problématique dans la mesure où certaines garanties étaient concédées par le ministère au cours des négociations. L’ÉÉ, au sein de la FSU et de ses syndicats, a défendu que ce projet devait être combattu résolument, et les personnels rapidement alertés. En effet, de notre point de vue, ce projet renforce la logique managériale à l’œuvre dans l’Éducation qui met à mal les personnels et les collectifs de travail, et changera profondément la culture professionnelle des enseignant-es. Il est urgent d’avancer nos revendications pour les carrières des enseignant-e-s, à commencer par un avancement le plus favorable pour toutes et tous sans obstacle de grade, ainsi qu’une évaluation déconnectée de l’avancement. Au bureau national du SNES du 15/11, seule l’ÉÉ s’est opposée au vote du projet ministériel. Il doit pourtant être retiré et les discussions doivent se fonder sur les mandats syndicaux !
  • L’ÉÉ se bat contre ces régressions managériales et leur influence sur l’avancement de carrière et les salaires, ainsi que contre la caporalisation de notre profession. Soucieuse de la qualité du service public d’éducation rendu aux élèves, elle défend une conception de pratiques professionnelles adossées à des collectifs de travail et nourries par une formation régulière.
  • L’ÉÉ récuse toute notion de « mérite », celui-ci ne se mesurant qu’au regard de la soumission des professeur-e-s aux injonctions de la hiérarchie. Au contraire, pour l’ÉÉ, tout le monde « mérite » de dérouler sa carrière selon le rythme le plus favorable. Il faut réfléchir à des alternatives : directions d’établissement plus collégiales ? les IPR (ou des enseignant-e-s élu-e-s ?) ne devraient-ils pas avoir qu’un simple rôle de conseil ?

En bref

**Une évaluation moins encadrée.

[(Actuellement les professeur-e-s sont évalué-e-s avec une note. La notation est en partie contrainte, puisque à chaque échelon est attribuée une fourchette de notes. L’évaluation par compétences telle qu’elle est proposée ne permet plus aucun encadrement de ce type. Malgré les promesses de cadrage national, le nouveau système accroît la part d’arbitraire liée à l’avis du supérieur hiérarchique, qui ne sera plus encadré par un barème.)]

**Quid de la double évaluation dans le second degré ?

[(La majorité U&A du SNES estime que les équilibres pré-existants entre chef d’établissement et IPR (40/60) sont respectés. Pourtant,le Principal ou le Proviseur a son mot à dire sur 6 critères sur 11 contre 8 pour l’IPR, et il y a fort à craindre que les critères communs seront évalués à l’aune du moins disant des deux évaluateurs…)]

**Une garantie de recours en trompe l’œil.

[(Dans le second degré les personnels ont par ailleurs la possibilité de faire appel de la note donnée par le chef d’établissement auprès de commissions paritaires. On peut obtenir une révision de note, mais pas de l’appréciation littérale du chef. Dès lors que l’évaluation se fait par compétences au lieu d’une note encadrée par un barème, l’appel est rendu beaucoup plus difficile quoique prévu.)]

**La classe exceptionnelle : une nouvelle carotte pour services rendus.

[(Il s’agit d’un nouveau grade qui sera accessible à certain-e-s selon des fonctions qu’ils occupent ou qu’ils auront occupées. Sera pris en compte l’exercice en éducation prioritaire ou dans le supérieur, ce qui montre une volonté de « récompenser » « l’engagement » ou les conditions de travail difficiles. Mais les fonctions étant renvoyées à un arrêté ministériel, le climat politique actuel privilégiera les places qui assument une fonction de cadres intermédiaires de contrôle sur les personnels (directeur-e d’école, conseiller pédagogique , coordonnateur-e de réseau…). La promotion à la hors-classe a aujourd’hui permis de récompenser les plus soumis (formateur-e à la réforme du collège par exemple). La classe exceptionnelle remplira aussi ce rôle.)]

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