Pour une nouvelle révolution industrielle

La désindustrialisation est un phénomène antérieur à la crise financière
et en est même la principale source. Si le redéveloppement industriel
est très présent dans les discours de nos dirigeants de fait,
aucune politique à même de l’enclencher, n’est mise en œuvre.

Contrairement aux années 90 où était annoncé le passage au tout tertiaire et à l’économie virtuelle, l’industrie est revenue en force dans le discours des dirigeants français. Mais il ne s’accompagne d’aucune politique concrète pour empêcher un déclin industriel qui s’accentue, singulièrement depuis que le « redressement productif » a son ministère ! Pourtant, aucun pays ne peut se passer d’une maîtrise de capacités productives permettant d’assurer à sa population les biens et services dont elle a besoin, sauf à les importer massivement. Même les services apparemment les plus immatériels nécessitent substrat matériel et consommation énergétique.

Des politiques d’innovation
qui tiennent lieu de politiques industrielles

De fait, plus on parle de l’industrie moins on met en œuvre les politiques qui pourraient lui donner un nouveau départ. Pour la bonne raison que les différents traités européens ont assuré la domination de la notion de « concurrence libre et non faussée » qui bannit toute décision de favoriser tel secteur d’activité ou telle production. D’où l’abandon de l’idée même d’une intervention directe de l’Etat, cantonné au rôle de « régulateur » des conditions de cette concurrence et non acteur de l’économie. On l’a vu à l’occasion de la reculade du gouvernement devant la nationalisation d’un potentiel sidérurgique mis en coupe réglée par Mittal (au nom d’une baisse pourtant jugée temporaire de la demande mondiale d’acier). Même des projets européens comme Airbus ou Ariane ne pourraient désormais voir le jour car contraires à cette sacro-sainte concurrence. Restent les politiques dites d’innovation : crédit impôt-recherche, investissements d’excellence dans le cadre du Grand Emprunt… dispositifs lancés par N. Sarkozy et que le gouvernement actuel pérennise dans la même logique, celle d’une hypersélection de quelques « pôles d’excellence » aux dépens d’un développement équilibré des potentiels. Chaque centre de recherche, chaque laboratoire, est ainsi mis en concurrence avec ses homologues pour bénéficier de la manne publique et jugé à l’aune de sa capacité à entrer dans des contrats avec les entreprises privées. La réforme territoriale version Hollande va d’ailleurs confirmer cette logique en donnant le champ libre à quelques super-métropoles concentrant un maximum de compétences. Cette tendance à substituer aux politiques industrielles des politiques d’innovation est préconisée par l’Union européenne dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, dont les promoteurs eux-mêmes reconnaissent l’inefficacité. Outre les effets dévastateurs de cette mise en concurrence sur le travail et l’emploi, le principal problème de ces dispositifs est que les capitaux publics attribués ainsi aux entreprises privées débouchent sur des innovations certes non négligeables, mais totalement soumises aux choix des investisseurs quant à la réalité et au lieu de leur industrialisation. On voit ainsi des projets de nouveaux procédés chimiques moins polluants, mis au point avec les salariés français et qui pourraient régénérer l’industrie chimique française, être « fléchés » dès le départ comme devant être industrialisés au Brésil ou en Chine.

La désindustrialisation,
cause première de la crise

Si conjoncturellement la crise est bien une crise financière, structurellement c’est une crise de désindustrialisation. Les investisseurs des pays industrialisés ont fait le choix d’abandonner la plus grande partie de l’industrie aux pays émergents et de lui préférer les profits financiers et spéculatifs. Cette tendance est variable selon les pays : l’Allemagne a choisi de maintenir son potentiel productif. En France, depuis plus de 10 ans les profits servis aux actionnaires sont supérieurs aux investissements industriels. Parallèlement, dans ce qui reste de l’industrie, les taux de profits sont mis en compétition constante avec les taux de profits financiers, d’où l’incessante pression exercée sur les salaires, l’emploi, les conditions de travail et les droits syndicaux. C’est la masse énorme des capitaux ainsi doublement libérés qui a permis le gonflement de la bulle spéculative et la crise financière de 2008. Son éclatement a un peu desserré la pression mais l’intervention des Etats pour sauver les banques lui a redonné vigueur : désormais ce n’est plus la dette privée qui est objet de spéculation mais la dette publique elle-même. Et les politiques d’austérité commandées par le FMI et la BCE ne peuvent qu’accroître cette dette puisque les économies tournent de plus en plus au ralenti tandis que chômage et pauvreté s’accroissent. L’objectif est de nous imposer une véritable saignée qui vise au premier chef les modèles sociaux Européens : diminuer de façon drastique les prestations sociales, les dépenses de santé, les retraites, etc. Et ouvrir par là de nouveau champs aux capitaux privés. Avec en perspective de nouvelles crises spéculatives puisque le capital ainsi « économisé » s’orientera automatiquement vers les profits les plus importants et les plus rapides.

Pour une nouvelle révolution industrielle

Il y a tromperie sur les mots employés : la « crise » dont on nous parle n’est pas d’abord une crise économique (jamais le CAC 40 ne s’est aussi bien porté), mais une crise de la valorisation du capital qui cherche à la régler sur le dos de la population et des salariés. La véritable crise concerne le détournement d’argent opéré vis-à-vis des investissements qu’il faudrait consentir pour répondre aux exigences économiques, sociales et environnementales. La seule réponse à la crise c’est une politique qui favorise la nécessaire nouvelle révolution industrielle, qui amorce le passage à un nouveau modèle de développement qui soit tiré non plus par le profit mais par la réponse aux besoins sociaux. Quelle mobilité en ville ? Quelle transition énergétique ? Quel habitat et pour qui ? Quelle réponse aux besoins alimentaires ? etc. Il y a là des gisements énormes d’investissements et d’emplois, qui échapperaient à la logique spéculative et permettraient de remettre l’économie sur pieds.

Pour réussir, une telle mutation impose plusieurs conditions :

– Le retour à un Etat acteur, qui rompe avec le diktat des marchés financiers et des normes technico-financières, qui mène une véritable politique industrielle et s’en donne les moyens en assurant le contrôle social des productions jugées stratégiques et d’un nombre significatif de banques. Ce n’est pas des investisseurs privés qu’il faut attendre un règlement des problèmes environnementaux, comme le montre la faillite des « certificats carbones » vite devenus des « titres » alimentant la spéculation. Dans un premier temps, il s’agit de conditionner toute subvention publique aux entreprises à leur engagement à respecter des critères économiques, sociaux et environnementaux rigoureux.

– Le lancement d’une planification démocratique pour décider des mesures à prendre et du rythme de leur mise en œuvre. Une telle planification doit s’intégrer dans un développement de la démocratie de la démocratie citoyenne pour que citoyens et salariés pèsent ensemble sur les choix concernant le recherche, l’innovation, la production, les usages des biens et des services jugés nécessaires.

– Une augmentation conséquente du pouvoir d’achat, ce que reconnaissent plusieurs rapports officiels. Il faut replacer le travail au cœur de la qualité de la réponse aux besoins, il n’y aura pas de développement durable sans une qualité reconnue de l’emploi, du travail, des qualifications et des droits salariaux.

– La fin de la casse des services publics : la nouvelle révolution industrielle ne peut réussir qu’en couplant étroitement qualité des produits/services offerts aux consommateurs et qualité du contexte de la mobilisation du travail productif, qualité dépendant largement de celle des services publics d’éducation-formation, de recherche, de santé, de protection sociale, de gestion de l’emploi, etc.

Certains objecteront que ces belles idées ne sont réalisables ni en temps de crise, ni dans la « guerre économique » qui se livre à l’échelle de la « globalisation ». Au contraire ! Ce n’est pas en différant leur concrétisation que l’on améliorera les choses. Il est urgent de les mettre en œuvre car c’est la meilleure façon d’en finir avec la crise. Par ailleurs, il est vrai qu’il est difficile pour un pays de réussir seul un tel tournant mais n’y a-t-il pas dans ces objectifs la possibilité de lancer des projets communs et solidaires qui pourraient redonner vie à l’idée européenne ? Et justement de sortir de ce contexte de mise en concurrence globale des salariés ? N’est-il pas temps de passer de critères de « compétitivité » à des critères d’efficacité sociale et environnementale ? De la guerre économique à la coopération pour résoudre ensemble les problèmes qui se posent à l’humanité à l’échelle de la planète ? ●

Jacques Perrat, économiste à l’ADEES Rhône-Alpes,
centre de recherche travaillant
auprès de la CGT