Peut-on encore croire en l’école ?

L’école est en crise : la réduction des moyens qui lui sont alloués hypothèque gravement
son fonctionnement, ses personnels ne sont plus à même de faire du « beau » travail, elle ne garantit plus ni l’égalité d’accès, ni l’insertion professionnelle et ses finalités sont brouillées…
Une école qui ne se reconnaît plus, une école en perte de repères. Cet ouvrage collectif prend appui
sur ce constat, analyse les causes et les symptômes de cette crise pour avancer un autre projet d’école,
à reconstruire totalement : une école de l’émancipation.


Comprendre la crise de l’école, c’est se souvenir de Bourdieu, entre autres sociologues, et repenser la culture scolaire : les auteurs insistent sur cette école de la reproduction sociale, des « héritiers », mais ne s’arrêtent pas là. L’école capitaliste va plus loin, elle sert de levier à la bourgeoisie pour maintenir son pouvoir et pour exclure, via une culture scolaire orientée à des fins de domination, toute une partie de la population. Ainsi, les « mauvais » élèves ne sont pas « éloignés » de la culture scolaire, ils lui « résistent », par instinct de classe.

Crise sociale : cause, ou prétexte ?

La crise sociale impacte forcément l’école : le diplôme n’est plus une garantie contre le chômage, la qualification s’estompe peu à peu au profit de la « compétence ». Il faut se saisir de cette situation pour redéfinir les finalités de l’école : si l’école n’assure plus l’insertion sociale, il faut en déduire que l’utilitarisme néolibéral est battu en brèche, et que la compétition qui règne au sein de l’école est sans fin, mais aussi sans objet. Or, à l’inverse, la logique néolibérale se poursuit. L’Etat, loin de se désengager, multiplie ses interventions pour imposer son emprise sociale : « le monde du capital, décliné en termes de compétitivité et de concurrence, d’entretien de l’employabilité tout au long de la vie pénètre de façon directe (…) au sein de l’institution scolaire », comme l’écrit Francis Vergne dans La Nouvelle Ecole capitaliste. Les résistances sont nombreuses, des désobéisseurs aux actions syndicales, mais la tâche est rude face à cet état stratège qui impose un « nouvel ordre éducatif ». L’auteur en conclut qu’il faut tendre à refuser collectivement d’accompagner ce nouveau capitalisme et développer le concept « d’inservitude volontaire ».

Vers un changement de paradigme

L’analyse de l’école se fait en deux temps : d’abord, retour sur l’école du XXème siècle. Echec des politiques éducatives qui, prétendant tendre vers une école unique, ont ajouté de la « fragmentation scolaire »(2) : « l’école unique c’est la sélection »(3), puisqu’elle implique la prise en charge, par l’institution scolaire, du tri social des élèves. Ensuite, état des lieux de l’école du XXIème, celle du « capital humain », qui consacre la compétitivité et la sélection comme valeurs suprêmes, et qui par conséquent exclut encore davantage. A noter le rôle joué par la laïcité dans cette école, un concept instrumentalisé qui ajoute encore de la fragmentation en stigmatisant des populations (port du voile, discours de Sarkozy, confusion voulue entre curé et instituteur…), alors qu’une laïcité « achevée » « est fondamentalement un instrument d’émancipation », rappelle Stéphane Moulain(4).

Le constat est clair : il faut rompre avec cette école. Cette volonté de rupture n’est pas présente dans le projet du Parti Socialiste(5), qui s’inscrit dans un aménagement du projet néolibéral : même si des moyens sont nécessaires pour que le système éducatif fonctionne, il faut aussi et surtout le doter de finalités différentes, donner à nouveau, comme le dit C. Passerieux, son rôle éducatif à la Maternelle, revoir la formation de ses personnels, afin qu’ils soient à même de bouleverser leurs pratiques pédagogiques. Les auteurs plaident pour un changement de paradigme, pour un projet éducatif émancipateur : une école commune, comme le propose le GRDS, sans sélection ni compétition de la maternelle à la fin du lycée…

Ainsi, cet ouvrage propose à la fois une analyse très complète de la politique éducative de cette école capitaliste, nous donne toutes les raisons de la rejeter, et nous livre des pistes de réflexion nécessaires pour construire une autre école, pour une autre société.

Véronique Ponvert

1) Pour une école émancipatrice, « Les cahiers de l’émancipation »,
éditions Syllepse, 7 euros.
2) L’école en perte de repères, page 9-N. Béniès.
3) Les voies de la démocratisation scolaire, page 101- J.-P. Terrail.
4) Laïcité : de quoi es-tu le nom ? Page 20.
5) A propos du projet du PS… J. Tovar, page 76.