« Nous n’arrêterons pas de chanter »(1)

Le combat pour les droits des femmes en Israël
(dotée pourtant d’un grand arsenal législatif
sur cette question) prend depuis quelques temps
une nouvelle tournure. Plusieurs événements médiatisés, notamment grâce aux réseaux sociaux
dont on connaît la force, ont enclenché des manifestations contre la pression et les violences
d’ultra orthodoxes envers les femmes.

Depuis des mois, de nombreux signes inquiétants pour les droits des femmes ont vu le jour en Israël.

Le 16 décembre 2011, Tanya Rosenblit, étudiante, refuse de devoir s’asseoir à l’arrière d’un bus d’une ligne appartenant à une compagnie ultra orthodoxe sous prétexte qu’elle est une femme. Elle diffuse quelques heures plus tard sur un réseau social des images de la violence avec laquelle les passagers lui ont intimé l’ordre d’obéir à cette prescription. Les média s’emparent immédiatement de cet événement.

Mais c’est la diffusion le 23 décembre d’un reportage sur la ville de Beit Shemesh, dans laquelle une petite fille de 8 ans s’est fait cracher dessus par des extrémistes, qui a généré le plus de réactions.

Officiellement, la condamnation des ces actes est unanime (de la part de l’Etat comme des municipalités), mais l’analyse qui est faite aujourd’hui par de nombreuses féministes est que le silence sur la ségrégation imposée dans certaines villes ou quartiers a permis une intériorisation de l’idéologie portée par certains groupes religieux « percevant – les femmes – comme des objets sexuels ou seulement des appâts de séduction »(2). Rachel Liel, directrice du NIF en Israël (New Israel Fund), explique que les responsables politiques ont « laissé la situation s’envenimer, sans intervenir. Pendant ce temps, les extrémistes orthodoxes ont occupé l’espace et imposé leurs règles qui, pour beaucoup, sont devenues l’usage ».

Un grignotage de l’égalité

A Beit Shemesh notamment, ce sont les ultra orthodoxes (Haredim) qui s’imposent dans certains quartiers : panneaux interdisant aux femmes de passer devant les synagogues, passages piétons et trottoirs non mixtes…
A Jérusalem, les femmes disparaissent peu à peu des murs de la ville, même si la municipalité récuse toute consigne envers les sociétés d’affichage dont une évoque pourtant des « directives de la municipalité de Jérusalem selon lesquelles le placardage d’affiches montrant des visages de femmes était interdit dans certains quartiers, car cela pouvait porter atteinte au public religieux »(3).

Dans l’armée, des hommes ont refusé de chanter avec leurs collègues féminines, des transferts de femmes d’unité en unité auraient eu lieu pour « protéger » des hommes religieux arrivant.

Esther Shimouni, féministe israélienne, exprime une forte inquiétude : « C’est vrai, on n’arrête pas les femmes dans la rue. Elles peuvent se promener seules, on ne les oblige pas à porter la burka et on ne les empêche pas de briguer des postes importants. Mais, d’un autre côté, nous avons le sentiment qu’on nous demande d’accepter d’apparaître de moins en moins dans la sphère publique, afin de ne pas déranger certaines personnes ».

Ne pas laisser les femmes
disparaître de la rue

L’enjeu aujourd’hui pour les femmes est d’investir l’espace public et de lutter pour ne pas en disparaître : pancartes de femmes aux fenêtres de Jérusalem, Flash Mob (initiatives éclairs) de femmes (danses sur la place de Beit Shemesh par exemple), manifestations à l’entrée de Jérusalem en soutien aux femmes soldates. Des manifestations ont été organisées à Jérusalem et à Beit Shemesh contre les provocations extrémistes.

Dans le pays qui a vu une femme impulser la révolte des indignés (élue « femme de l’année » par un magazine économique israélien), l’enjeu est aujourd’hui de taille : « Ce n’est qu’un début, nous continuerons nos actions, car cela ne va pas se régler en un jour »(4). A nous de relever le défi de la solidarité avec leurs mobilisations. ●

Ingrid Darroman

1) « Israël, La révolte contre les hommes en noir » Annette Lévy-Willard, Libération 2 Janvier 2012.

2) « Les femmes en voie de disparition à Jérusalem ? ».

3) « Tanya Rosenblit, la Rosa Parks israélienne »
Danièle Kriegel, Le Point, 20 Décembre 2011
et 7 Janvier 2012.

4) « Polémique en Israël sur la ségrégation
des femmes imposée par les ultra-orthodoxes »
Véronique Gaymard, www.rfi.fr, 27 Décembre 2011.