NDDL, une victoire qui en appelle d’autres

L’État, après l’annonce du gouvernement, abandonne le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (NDDL), vieux de 50 ans. C’est sans conteste une des rares victoires politiques
que nous puissions fêter ces dernières années. Retour, non exhaustif, sur quelques enseignements


Mercredi 17 janvier, E. Philippe déclarait : « Je constate aujourd’hui que les conditions ne sont pas réunies pour mener à bien le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ». Déclaration que Bruno Retailleau, LR et fervent défenseur de l’aéroport dans la région, résumait en un tweet pour une fois lucide : « abandon de #NDDL grande victoire des Zadistes ». En effet, c’est bien face à cette formidable mobilisation qui depuis 10 ans dépasse largement les frontières de la région Loire Atlantique, que le gouvernement a été contraint d’arrêter ce projet fou, destructeur de terres agricoles, dispendieux pour l’état et dont le profit revenait surtout aux actionnaires de Vinci.

Contre NDDL et son monde !

Le premier enseignement de cette victoire est l’enracinement des préoccupations environnementales dans notre société. NDDL n’a pas été une bataille locale, NDDL a très rapidement eu une résonance au moins nationale, avec plus de 200 collectifs de soutien, des manifestations regroupant de 30 à 70 000 personnes chaque année depuis 2012, deux fois l’an parfois, et a été portée tel un symbole par les mouvements pour la justice climatique à l’occasion de la COP21. C’est une nouvelle forme de lutte territoriale et contre des projets d’aménagement qui émerge. On ne peut assimiler le mouvement NDDL aux NIMBY (« Not in my Back Yard : pas dans mon jardin »), acronyme qui caractérise dans les sciences politiques les mouvements opposés à des projets du fait des nuisances causées pour les riverains, sans remettre en cause son principe. Dans le cas de NDDL, l’opposition s’est inscrite dans une remise en cause du projet d’aéroport de NDDL et de son monde, en lien avec les préoccupations environnementales plus globales. Est-ce qu’un nouvel aéroport à vocation internationale a un sens dans un monde où nous devons au contraire lutter contre les gaz à effet de serre ? La bétonisation de terres agricoles est-elle préférable au développement de l’agro écologie ? Les questions posées par le mouvement ont épousé des enjeux qui résonnent bien au-delà de la Loire-Atlantique à l’heure de la crise environnementale et climatique. Une pensée globale des enjeux de l’action locale qui se retrouve à Bure, contre le pipe-line des Amériques du Nord et les différentes luttes contre les Grands Projets Inutiles et Imposés à travers le monde.

Une victoire du tou.tes ensemble

Le deuxième enseignement est la capacité de ce mouvement à conserver son unité et à intégrer la diversité tactique de différentes composantes. Rien ne permettait, il y a quelques années, d’assurer le succès d’un mouvement aussi hétéroclite. C’est une improbable alliance entre paysan.nes et habitant.es de la ZAD, syndicalistes CGT de Vinci et Aéroport du Grand Ouest aux côtés de naturalistes, ONG et élu.es qui a su tenir. Le mouvement a conservé son unité, se renforçant même au cours des années.

Il a su articuler dans le temps divers types d’actions : recours juridiques, contre-expertise citoyenne, résistance aux tentatives d’expulsions policières, mobilisations de masse, occupations légales, occupations illégales. Le renoncement du gouvernement est dû à la force de cette mobilisation qui a su faire de cette diversité d’action une force, non sans difficultés et de longs débats. Car, toutes ces actions ont été, au final, soutenues par les différentes composantes, refusant les tentatives de divisions politiques. L’occupation et la résistance à la tentative d’expulsion par le gouvernement Ayrault lors de l’opération César en 2012 a par exemple été vécue comme une stratégie gagnante bien au-delà des fractions autonomes. Tout comme la volonté d’occuper la « Zone à Défendre » a été portée plus largement que la composante dite « radicale ». 40 000 personnes, venant de toutes les régions de France ont participé à la manifestation de « réoccupation de la ZAD » après l’opération policière. Et le collectif COPAINS, regroupement d’agriculteurs, a organisé la prise, puis l’occupation d’une ferme, à Bellevue, emblématique de la zone. Aujourd’hui, ce sont une vingtaine de personnes qui participent aux activités sur cette ferme, avec la mise en place d’un groupe « élevage » ou d’un atelier bois.

Une alternative en marche

Car le troisième enseignement est cette capacité du mouvement à incarner le slogan du prochain Forum Social Mondial : « Résister c’est créer ». Loin des caricatures médiatiques et politiques, il faut regarder en face ce qui s’est produit sur la ZAD depuis 10 ans. Elle n’est pas un espace aux mains de dangereux terroristes. Avec ses 200 habitant.es, elle a vu fleurir des activités agricoles, l’entretien de sentiers de randonnées, deux boulangeries, des ateliers de permaculture et d’agro écologie, un groupe d’élevage, un atelier menuiserie, une bibliothèque ou encore une radio et un studio d’enregistrement… et une quinzaine d’enfants. À petite échelle, sur un territoire de 10 km de long sur 3 km de large, avec une soixantaine de lieux de vie, c’est la philosophie des communs et des logiques de solidarité qui s’exprime en acte sur ce territoire.

L’aéroport est mort, vive la ZAD !

Ce sont l’ensemble de ces expériences que toutes les composantes du mouvement souhaitent poursuivre, en construisant une zone propice aux expérimentations sociales et écologiques, tout en préservant cet espace naturel exceptionnel. Depuis 1974, du fait du projet d’aéroport, l’état a gelé toute action sur une partie de la ZAD. C’est la raison pour laquelle la zone bénéficie d’une faune et d’une flore préservée, n’ayant pas connu les ravages de l’agriculture intensive ou de la bétonisation.
Ces revendications viennent de loin. Pensé pendant plus d’un an et demi et diffusé à partir de fin 2015, le texte dit « des 6 points » jalonnait les exigences du mouvement pour l’avenir de la ZAD. Celui-ci exige que les paysans historiques retrouvent leur droit et leurs terres, que les habitant.es qui se sont installé.es depuis 2009, et qui le désirent, puissent rester et que les terres qui ont été protégées puissent être prises en charge par celles et ceux qui ont su les protéger et qu’elles n’aillent pas nourrir des projets d’agro business. Il ajoute la volonté de créer une entité issue du mouvement de lutte qui rassemblera toutes ses composantes afin que ce soit le mouvement anti-aéroport et non les institutions habituelles qui détermine l’usage de ces terres. Ajoutant « que ces terres aillent à de nouvelles installations agricoles et non agricoles, officielles ou hors cadre, et non à l’agrandissement ». Une perspective donc hors des normes actuelles où les petits projets agricoles n’ont bien souvent pas de place. Depuis le 17 janvier et l’annonce de l’abandon de l’aéroport, ils demandent du temps afin d’avancer sur une proposition concrète et l’ouverture de négociations avec le gouvernement.
L’émergence, suite à une longue lutte, d’un projet alternatif aux règles marchandes et de la propriété individuelle fut possible, d’une certaine manière, sur le plateau du Larzac, après l’abandon par Mitterrand en 1981 d’un projet militaire. En 1985, un bail emphytéotique de 60 ans fut proposé par l’Etat à un groupe d’une cinquantaine de paysan-nes sur un territoire de 6300 ha. Mais contrairement au Larzac où le bail est lié à un usage spécifique (le travail paysan), la volonté à NDDL est d’élargir les usages. Le projet de la ZAD se voudrait ouvert aux riverain-es et aux habitant-es (et non aux seul-es paysan-nes) et construit par les différentes composantes et leurs différents usages (chemins pédestres, élevage, permaculture, habitation, activités culturelles ou artisanales…). Le bras de fer qui s’engage avec le gouvernement n’est pas réellement foncier, la surface en question étant ridicule comparée par exemple au Larzac. En effet, sur les 1650 ha de la zone, 450 ha concernent les familles de paysan-nes exproprié-es qui doivent retrouver logiquement leurs terres. 400 ha sont occupés par des bois. Resteraient donc 850 ha (dont 270 ha sont mis en culture par les habitant.es de la ZAD) qui potentiellement pourrait être distribués à des agriculteurs/trices de la région ou constituer cette zone d’expérimentation revendiquée par le mouvement anti aéroport. Mais si l’enjeu n’est pas foncier, il est certain qu’il sera profondément politique. La perspective de laisser vivre d’autres relations, d’autres manières de travailler et de relation à son environnement que celles régies par le marché n’est pas très compatible avec l’esprit « Start up Nation » d’E. Macron.
Au-delà de la confirmation de l’importance des préoccupations environnementales dans notre société, cette victoire va renforcer celles et ceux qui sont en lutte contre d’autres projets inutiles et leur monde destructeur de lien social et de terres agricoles. De la poubelle nucléaire à Bure, à l’autoroute A45 entre Lyon et St Etienne, en passant par le Center Parc de Roybon, les projets au service de multinationales du BTP doivent connaître le même sort que l’aéroport de Notre-Dame-des- Landes. ●

Julien Rivoire