Mécanisme européen, traité de stabilité… l’Europe du pire !

Le MES, c’est le Mécanisme européen de stabilité, adopté le 30 janvier dernier.

Le TSCG, appelé aussi « pacte budgétaire », c’est le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire, la zone euro.

Deux « solutions » qui soumettent plus fortement encore l’Europe et ses peuples à la logique financière, accentuent une politique économique d’austérité inefficace et alourdissent encore l’injustice sociale.

Le MES se veut un mécanisme de solidarité entre les Etats, « un soutien à la stabilité à ses membres qui connaissent ou risquent de connaître de graves problèmes de financement ».

Le MES prêtera donc des fonds aux Etats qui auront du mal à emprunter directement sur les marchés financiers. Son capital est fixé à 700 milliards d’euros. Ce sont les Etats qui souscriront à ce capital en fonction de leur poids économique.

Les deux plus importants souscripteurs en seront l’Allemagne et la France avec respectivement 27 % et 20,5 % du capital, ce qui leur donne un droit de vote équivalent dans les décisions du MES.

La France devra donc verser au MES 142,7 milliards d’euros. Comme pour les autres Etats, ce versement se fera en cinq ans, par tranche de 20 % par an, somme que la France devra emprunter sur les marchés financiers.

**Le MES sous l’emprise des marchés

Mais il est fort probable que ces sommes risquent d’être insuffisantes en cas d’aggravation de la crise.

Si le MES devait secourir la Grèce, l’Irlande, l’Espagne, le Portugal et l’Italie, tous pays aujourd’hui sur la sellette, il serait vite dépassé. D’où le fait que le MES va être autorisé à emprunter sur les marchés financiers avec pour objectif d’arriver par « effet levier » à emprunter trois à quatre fois son capital.

Mais pour le faire à un taux faible, il faut qu’il soit bien noté par les agences de notation. Or, les deux pays encore triple A adhérents au MES (Allemagne et Pays-Bas) ne représentent que 32,5 % de son capital. Les autres pays sont plus ou moins soumis à la défiance des marchés. Le risque est donc grand que le MES subisse aussi cette défiance et ne soit pas noté triple A.

Cela a d’ailleurs été le cas du mécanisme actuel, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) qui a perdu son triple A suite à la dégradation de la plupart des pays européens.

De plus, comment le MES remboursera-t-il sa dette si les pays contributeurs, qui seront aussi ses débiteurs, sont en difficulté et si les taux grimpent ? Loin de sortir les Etats et la zone euro de l’emprise des marchés financiers, le MES la renforce encore.

Les banques, qui peuvent emprunter à 1 % auprès de la Banque centrale européenne (BCE), prêteront au MES à un taux nettement supérieur. Le MES prêtera aux Etats à un taux encore supérieur et ces fonds serviront à payer la charge de la dette qui entrera dans les coffres des banques. C’est la solidarité version néolibérale, les banques solidaires avec elles-mêmes.

Mais ce n’est pas tout. Ces « aides » aux Etats se font « sous une stricte conditionnalité » définie par la Commission européenne, la BCE et le Fonds monétaire international (FMI).

Pour avoir accès au MES, il faudra en passer sous les fourches caudines de l’austérité drastique. Pour verrouiller juridiquement cette procédure, il est indiqué que l’octroi d’une aide financière sera, à partir du 1er mars 2013, conditionnée par la ratification du TSCG.

**Le TSCG, c’est Maastricht au carré

Aux 60 % du PIB, montant maximum de la dette publique autorisée, aux 3 % du PIB, maximum autorisé de déficit budgétaire, va se rajouter une nouvelle règle, la fameuse « règle d’or », qui indique que « le budget général devra être équilibré ou en excédent ».

Cette règle devra être intégrée « par le biais de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence au niveau constitutionnel ». Elle sera considérée comme respectée si le déficit structurel atteint 0,5 % du PIB. Il s’agit du déficit budgétaire calculé hors des variations de la conjoncture. Sa mesure ne fait d’ailleurs pas l’unanimité, varie selon les économistes et dépend d’un certain nombre d’hypothèses.

C’est la Commission européenne qui calculera le déficit structurel des Etats. Le rapport annuel 2012 de la Cour des comptes indique que le déficit structurel de la France était de 5 % du PIB en 2010, soit 96,55 milliards. Le ramener à 0,5 % du PIB aurait supposé une économie de près de 87 milliards d’euros !

Le pacte de stabilité limitait le déficit budgétaire à 3 % quelle que soit la situation économique. Il n’avait d’ailleurs pas été respecté, avant même la crise, par la France et l’Allemagne. Au moment de la crise financière, tous les Etats, même ceux comme l’Irlande ou l’Espagne qui étaient en excédent budgétaire, ont vu leur déficit se creuser sous l’effet mécanique de la récession qui a fortement réduit les recettes budgétaires, des plans de relance et du soutien financier aux banques. Inapplicable, la norme des 3 % a heureusement volé en éclats.

En voulant maintenant instaurer une norme encore plus dure, les gouvernements se corsètent volontairement. Après avoir perdu toute marge de manœuvre en matière monétaire, les gouvernements abandonnent le levier de la politique budgétaire.

Des mécanismes automatiques de correction vont être mis en place. Concernant la dette publique, les Etats qui dépasseraient le montant de 60 % du PIB devront le réduire en trois ans suivant la règle de 1/20 par an. De plus, un dispositif proposé par la Commission sera mis en œuvre en cas de dépassement du déficit structurel autorisé.

Le Conseil européen du 9 décembre 2011 avait adopté une nouvelle procédure de sanction en cas de dépassement de la règle des 3 % de déficit budgétaire : les sanctions proposées par la Commission seront automatiques sauf si les Etats ne s’y opposent à la majorité qualifiée (procédure dite de « vote à la majorité qualifiée inversée »).

En cas d’infraction du traité, la Commission sera chargée de faire un rapport désignant les Etats devant être traînés devant la Cour de justice par « les parties contractantes », c’est-à-dire les autres Etats ayant ratifié le traité. La Cour de justice, organisme non élu, devient ainsi la référence suprême pour juger de la pertinence d’un budget national.

Plus même, si elle estime qu’un Etat n’a pas respecté son jugement elle pourra lui imposer une amende pouvant aller jusqu’à 0,1 % de son PIB. L’aberration qui consiste à sanctionner financièrement un Etat en proie à des difficultés financières ne semble pas avoir effleurer les rédacteurs du traité.

**Economiquement absurde, démocratiquement et socialement inacceptable

Au-delà de ces dispositions juridiques, c’est la logique même de ce traité qu’il faut interroger.

S’imposer un quasi-équilibre budgétaire, cela signifie que les investissements de long terme seront financés par les recettes courantes. Or, ces investissements seront utilisés des décennies durant par plusieurs générations, il est donc totalement absurde qu’elles soient financées par les recettes du moment.

Si cette règle devait être respectée, elle entraînerait l’impossibilité, de fait, d’investir pour l’avenir, alors même que la nécessité d’amorcer la transition écologique va demander des investissements massifs.

Ce gouvernement par les règles – dette 60 % du PIB, déficit courant maximum 3 %, déficit structurel, 0,5 % -, est la marque de l’ordo-libéralisme allemand. Pour ce dernier, maintenir un bon fonctionnement des marchés suppose que les Etats se dotent de règles strictes.

C’est le non respect de ces règles qui serait à la racine des dérapages actuels des marchés financiers. Il s’agit là d’une erreur totale de diagnostic.

Le respect de ces règles suppose une cure d’austérité massive et permanente. Outre leurs conséquences sociales dramatiques, elles sont économiquement stupides, réduisant la demande globale. Alors que la consommation des ménages stagne ou régresse, que l’investissement des entreprises est au plus bas, se priver de l’arme budgétaire ne fera qu’accroître les difficultés économiques.

Dans une Europe économiquement intégrée, dans laquelle les clients des uns sont les fournisseurs des autres, une politique d’austérité généralisée ne peut mener qu’à la récession que l’on voit déjà poindre.

Cette récession conduira à une réduction des recettes fiscales qui aura pour conséquence de rendre encore plus difficile la réduction des déficits que l’austérité était censée favoriser, justifiant ainsi un nouveau tour de vis, qui aggravera la situation, etc.

Une telle orientation ne peut se mettre en oeuvre qu’en écartant les peuples des processus de décision et en violant de façon systématique les procédures démocratiques : textes rédigés dans l’opacité la plus totale, votés à la va-vite sans aucun débat public par les parlements nationaux, refus de consulter le peuple au motif que « la gouvernance de l’Union européenne n’est pas de nature à influencer la vie des Français » (dixit Claude Guéant sur LCI le 19 février), dispositions qui vident la souveraineté populaire au profit d’organismes non élus comme la Commission ou la Cour de justice, mise de côté du Parlement européen seule instance démocratiquement élue…

La liste est longue des manquements à ce qui devrait apparaître comme un minimum démocratique. Cela confirme ce que l’on savait déjà, le néolibéralisme est incompatible avec la démocratie.

Pierre Khalfa,

coprésident de la Fondation Copernic