La crise : fin et… suite

Depuis le début de l’année, les gouvernements et les médias
ont claironné que la crise de l’euro était derrière nous, que le plus dur était passé. Aujourd’hui, changement de ton : la crise est revenue ! La multiplication des plans d’austérité a produit des effets facilement prévisibles : l’économie européenne est entrée en récession, particulièrement sévère dans les pays du Sud, là où les politiques d’austérité sont les plus radicales.
Avec la menace de nouvelles crises politiques, le discours change : l’austérité est critiquée comme une solution unilatérale, il faudrait y adjoindre un Pacte de croissance…


Le discours sur la fin de la crise a été justifié par trois éléments :

1) La BCE a massivement prêté aux banques en décembre et février : 1 000 milliards d’euros à prix modique (1 %) et à trois ans. Ces programmes devaient sauver les banques les plus menacées de faillite faute de liquidités, calmer la tempête sur la dette publique en incitant les banques à en acheter, éviter un « crédit crunch », c’est-à-dire un rationnement des prêts bancaires à l’économie dû à la crise du marché interbancaire, les banques comme en 2008 refusant de se prêter de l’argent du fait de l’incertitude sur les créances douteuses qu’elles détiennent.

2) Le « plan de sauvetage » de la Grèce. Ce « sauvetage » devait permettre de gagner du temps pour éviter l’implosion de la zone euro, circonscrire le feu à la Grèce et enrayer la contagion aux pays déjà destinataires d’un plan de sauvetage (Irlande, Portugal) ou menacés (Espagne, Italie).

3) La volonté politique à l’échelle européenne de résoudre les « insuffisances » de la zone euro à travers des « avancées institutionnelles ». D’une part, l’approbation et la ratification du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) qui doit remplacer en juillet 2012 le Fonds de Stabilité Financière (FESF) mis en place en 2010. D’autre part le Pacte budgétaire ou Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (TSCG) signé début mars par les gouvernements et soumis à la ratification dans chaque pays. Ce Traité, qui institutionnalise l’austérité comme une politique pérenne en Europe, assortie de règles de surveillance, de contrôle et de sanction, doit être mis en œuvre le 1er janvier 2013 si 12 pays sur les 25 l’ont ratifié.

Les remèdes pires que le mal

La crise revient car ces trois « remèdes » en ignorent les fondements et, de ce fait, l’aggravent. Le soutien massif de la BCE aux banques a sans doute évité des faillites, mais l’exemple des banques espagnoles qui n’ont toujours pas provisionné 150 milliards d’euros de créances immobilières douteuses, montre que la crise bancaire est toujours là, avec les besoins de recapitalisation correspondants. La difficulté politique de sauver les banques tout en faisant payer l’austérité aux peuples a été un moment contournée par le soutien de la BCE, mais elle est, elle aussi, toujours là, particulièrement en Espagne où la santé et l’éducation sont sacrifiées ! Ces prêts ont été accordés sans conditions et on s’interroge aujourd’hui sur l’utilisation qui en a été faite.

Certes, les banques font des opérations juteuses en finançant avec les prêts BCE à 1 % l’achat de titres de la dette publique qui en Espagne rapportent du 6 %, mais en même temps elles s’exposent au risque de dévalorisation de cette dette : 70 % des obligations émises par l’Espagne depuis le début de l’année ont été acquises par des banques espagnoles.

Enfin, la question clé n’a pas avancé d’un pouce : si contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, au Japon ou au Royaume-Uni, la BCE par ses interventions ne garantit pas la valeur des titres de la dette publique, ceux-ci seront toujours l’objet de la spéculation sur les marchés financiers. Depuis qu’elle a lancé son opération de soutien aux banques, la BCE a quasiment arrêté ses achats de titres publics sur le marché secondaire, ce qui revient à laisser filer à la hausse les taux espagnols ou italiens. Pression exercée pour convaincre les gouvernements concernés de durcir encore plus l’austérité ?
Si la BCE consacrait ses prêts à 1 % à des achats directs d’obligations publi­ques, la dette publique échapperait à la spéculation, les financements publics seraient facilités et le stock existant de la dette pourrait être réduit.

L’austérité dynamise la crise

Les plans de sauvetage ne résolvent pas la question de la dette publique, ils sont dangereux et injustes. Le PIB grec a baissé de 20 % en 4 ans et on s’attend à une nouvelle baisse de 5 % en 2012 : l’économie grecque s’effondre. Même si l’hypothèse complètement irréaliste d’un retour à l’équilibre budgétaire se produisait, la dette publique augmenterait à une vitesse folle du fait de l’effet boule de neige quand le coût de la dette est à 4 % et que les recettes budgétaires baissent parallèlement au PIB. Cette équation est insoutenable. On la retrouve dans d’autres pays : la richesse nationale devrait diminuer d’environ 2 % en 2012 au Portugal, en Espagne, en Italie.

Le Portugal est qualifié de « bon élève » parce qu’il a suivi le plan d’austérité qui lui a été imposé, mais ce zèle du nouveau gouvernement de droite entraînera… un nouveau « plan de sauvetage » pour le pays.

Rajoy a signé le Pacte budgétaire début mars à Bruxelles, mais de retour à Madrid, il a déclaré que la réduction radicale du déficit budgétaire que Bruxelles lui imposait pour 2012, de 8,5 % à 4,6 % du PIB, était irréaliste. Il a finalement obtenu de la Commission 5,3 % et somme les régions de tailler dans les dépenses d’éducation et de santé pour y arriver. Mais l’objectif ne sera pas tenu car l’économie espagnole connaît un chômage digne de la Grande Dépression aux Etats-Unis (24 % de chômeurs et 52 % chez les jeunes) et une austérité supplémentaire ne fera qu’aggraver le déficit public. La règle d’or inscrite dans la législation espagnole à l’automne dernier ne semble pas avoir les vertus médicinales qu’on lui prête.
En Italie, Monti a reçu les félicitations des autres gouvernements pour son sérieux dans la figure imposée de l’austérité, mais lui-même a fini par prendre peur devant l’énormité de la punition qu’il infligerait à l’Italie s’il mettait en œuvre la totalité des mesures annoncées.

La faillite des programmes d’austérité est devenue évidente, les gouvernements s’inquiètent surtout des mobilisations sociales et des crises politiques qui s’ouvrent dans les pays les plus touchés par l’austérité, mais aussi dans des pays jusqu’ici tenants de la « ligne dure » vis à vis de l’Europe du Sud, comme aux Pays-Bas.

La zone euro au bord de l’éclatement

La faillite de cette politique est d’autant plus retentissante qu’elle ne ne règle en rien la crise de la zone euro qui est d’abord une crise de sa cohésion. Les économies divergent sans qu’il y ait de mécanismes de solidarité entre pays, soit par des transferts budgétaires entre pays, soit par une relance dans les pays qui se portent mieux. Les déséquilibres commerciaux s’accroissent au profit de l’Allemagne et les écarts de niveaux de vie vont prendre le même chemin. Le fait nouveau de ces derniers mois est que les « pays forts » se sont arrogés, au nom de la dette, le droit de surveiller et punir les « pays faibles », introduisant au sein de l’Europe des mécanismes de domination jusqu’ici réservés aux relations Nord/Sud.
C’est dans ce contexte de « retour de la crise » que se font entendre des voix qui s’inquiètent du dogme de l’austérité et recommandent qu’une nouvelle attention soit portée à la croissance. Même le gouverneur de la BCE, Mario Draghi, semble avoir eu un éclair de lucidité en prônant un « Pacte de croissance » pour « compléter » le Pacte budgétaire. Mais ce n’est guère qu’une concession de pure forme puisque Draghi, soutenu par Merkel, exclut de nouvelles dépenses publiques, refuse toute concession sur le rôle de la BCE et mise sur les « réformes structurelles », c’est à dire l’approfondissement du libéralisme, pour redresser la situation économique.
Plus sérieuses sont les propositions d’un axe social-démocrate (SPD allemand et PS français) de « compléter » le Pacte budgétaire par un « Pacte de croissance » contraignant, devant financer des grands projets d’investissement, essentiellement par des emprunts européens, qui, dans la version la plus intéressante, seraient ciblés sur les pays en difficulté.
Toutefois, la question de savoir si le Pacte budgétaire est maintenu dans son contenu et soumis à ratification est déterminante. Celui-ci installe une austérité sans limite de durée par des règles extrêmement contraignantes avec un déficit public structurel limité à 0,5 %, soit une quasi-interdiction des investissements d’avenir par financement public. Il organise parallèlement le démantèlement de l’Etat social et l’accroissement des inégalités. « Compléter » ce dispositif radical par un « Pacte de croissance » a-t-il le moindre sens ?

Daniel Rallet, représentant de la FSU à ATTAC

Ce texte est une actualisation du rapport fait en mars devant le Conseil national de la FSU.