Intervention introductive dans le débat sur le RAN

Clément :
Cher-es camarades,
C’est peu dire que ce congrès de Paris est inédit, à bien des égards !
Inédit dans sa forme, d’abord
.
Ce congrès se déroule entièrement à distance et en visio. Les thèmes des débats ont donc dû être resserrés sur trois sujets principaux : “Inégalités / démocratisation”, “Syndicalisation” et l’action.
Comment, quand chacune et chacun est seul-le face à son écran d’ordinateur et sur des sujets aussi resserrés, favoriser un débat démocratique satisfaisant, et à la hauteur des enjeux, qui sont considérables ? Une réelle volonté de synthèse doit gouverner les congressistes ainsi que les rapportrices et les rapporteurs.
L’Ecole Emancipée a milité pour le report pur et simple de ce congrès, mais nous y sommes. Il faut s’en saisir pour adopter des mandats syndicaux offensifs et déterminer une stratégie de lutte gagnante pour tous les combats.

Marie :
Car les enjeux de la période sont considérables.
Celui de Rennes avait lieu un an après l’élection d’Emmanuel Macron, dans un monde régi par le capitalisme, mais sans COVID19 ; un monde d’inégalités et d’injustices.
A cette époque, nous avions pu partager un certain nombre d’analyses sur la nature et la dangerosité des attaques qui s’annonçaient. Mais le fait que des collègues avaient voté Macron, ainsi que l’espoir de négocier encore avec ce pouvoir, avait conduit à des divergences entre nous sur la manière d’engager le rapport de forces.
Depuis, la crise sanitaire a percuté toute la société. Il y a un an, nous espérions encore que cette crise soit l’occasion de redéfinir les priorités vers l’urgence sociale et écologique.
Mais le logiciel néolibéral du pouvoir, lui, est resté intact. Si le gouvernement a suspendu sa réforme des retraites (mais pour combien de temps encore ?), il a profité de la crise pour dérouler et accélérer sa politique liberticide et anti-sociale.

Clément :
Comme le reste du gouvernement, Blanquer, par un effet d’aubaine, s’est servi de cette crise pour accélérer ses contre-réformes. Par exemple :

  • Celle concernant le recrutement et la formation des enseignantes et enseignants, qui s’impose dès cette année par un oral de titularisation, qui préfigure l’oral en forme d’entretien d’embauche des nouveaux concours.
  • Il a maintenu et généralisé ses évaluations standardisées de début d’année en se servant de la longue fermeture des établissements pour les légitimer. Bien sûr il n’y a eu aucun moyen de remédiation pour les élèves.
  • Il a maintenu l’éclatement du groupe-classe induit par sa réforme du lycée alors que le protocole sanitaire impliquait au contraire de limiter les brassages d’élèves. Il continue à vouloir un Grand Oral coûte que coûte.

Marie :
Sur le constat de l’opportunisme de Blanquer, nous sommes tombé-es assez vite d’accord. Mais ce sont les conséquences à tirer, en terme d’orientation et d’action, sur lesquelles nos points de vue ont continué de diverger.
Le pouvoir adopte un mode de gouvernement qui prend de vitesse à dessein les organisations syndicales :

  • Le ministre communique dans la presse sur ses intentions, avant de les consulter.
  • Lorsqu’il “consulte”, c’est en donnant des marges de négociation extrêmement réduites, sinon nulles. Puis il communique dans la presse en utilisant des organisations syndicales comme cautions.
  • Sur la crise sanitaire, par exemple, c’est ce qu’a fait le ministre, obligeant le SNES-FSU à lui courir après, pour lui opposer des revendications à même de garantir la santé et la sécurité des personnels et des élèves, et démonter ses mensonges. Ce faisant il a eu du mal à faire en sorte que les collègues fassent le lien entre cette politique sanitaire et une politique éducative globale et concertée. Une politique visant la destruction du service public d’Education.
  • Le SNES-FSU a donc perdu du temps et du terrain, et ne peut plus se permettre d’en perdre.

Clément :
L’heure est grave pour notre syndicalisme. Il sort de cette séquence fragilisé par cette politique et la crise sanitaire, qui a écrasé nos capacités à mobiliser.
La situation qui était celle du congrès fédéral il y a un an et demi paraît bien loin, qui prenait place en plein mouvement social contre la réforme des retraites. Notre secteur était alors très mobilisé. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, même si les raisons de le faire sont nombreuses.
A ce tableau bien sombre, s’ajoute la répression féroce qui s’est abattue sur les collègues mobilisé-es contre la réforme du bac et du lycée (celles et ceux de Melle par exemple), un bras-de-fer engagé au printemps 2019, soutenu par le SNES-FSU, qui, d’ailleurs, aurait peut-être dû le porter davantage.
Une répression féroce qui s’abat aussi sur les élèves. Il et elles ont repris la semaine dernière le chemin des mobilisations et ont organisé le blocage de nombreux établissements. Des interventions policières violentes, des gardes à vue, sont déjà à déplorer. C’est inadmissible, et une intervention solennelle sur cette question serait bienvenue.

Marie :
Le SNES-FSU doit jouer sa partition et ne pas laisser le champ à l’abattement et au sentiment d’impuissance. Dans l’immédiat, deux urgences :

  • La première est de sortir de ce congrès avec un mot d’ordre clair sur le bac et le DNB, afin de ne pas laisser les collègues se débrouiller localement : que revendiquer, au-delà des aménagements des épreuves, insuffisants et obtenus tardivement ? Que revendiquer pour ne pas se laisser enfermer dans le débat contrôle continu vs épreuves terminales ?
  • La seconde urgence est de profiter du discrédit complet dont Blanquer est l’objet, pour revendiquer sa démission.
    Pourquoi, jusqu’ici le SNES-FSU n’a-t-il pas mené bataille pour obtenir son départ ?
    D’abord par crainte d’un aveu de faiblesse : le revendiquer nous exposait à ne pas l’obtenir. Certes, mais ne pas réclamer son départ nous expose encore davantage au maintien de ce ministre !
    Ensuite par l’espoir d’arriver en position de forces à la table des négociations face à un ministre fragilisé. Ce qu’il n’est pas vraiment : il est discrédité aux yeux des personnels et des parents d’élèves, mais il ne l’est pas aux yeux du pouvoir, pour lequel il fait du bon travail de sape.

Ce congrès doit être l’occasion de se convaincre qu’il est souhaitable, et possible, de se donner pour objectif le départ de Blanquer !

Souhaitable car il s’agit d’un ministre dangereux. Réclamer son départ est une revendication utile pour la sauvegarde du service public d’Education.
Possible car nos collègues ne sont plus à convaincre. Nous pouvons espérer entraîner avec nous les parents d’élèves, les syndicats éducation de la fédération, ainsi que nos partenaires syndicaux de la CGT et de Sud. Nous pouvons ensemble mener la bataille d’opinion et la gagner. Le fait que les personnels ne soient toujours pas vacciné-es par exemple est un scandale sanitaire. Les conditions dans lesquelles les élèves sont préparé-es aux examens et devront les passer en sont un second. L’absence d’investissement dans l’Ecole sur le moyen terme en est un troisième.

Clément :
Enfin, ce congrès de Paris se tient à un an des élections présidentielles. D’ores et déjà, il nous faut commencer à définir ensemble la meilleure manière de les aborder syndicalement, alors que les idées d’Extrême Droite gagnent en audience.
Le fond de l’air est brun. Les tribunes de généraux et policiers à la retraite, publiées récemment dans la presse, ont connu un écho terriblement inquiétant.
Le nombre colossal de signataires doit nous interpeler, d’autant plus quand ces idées tournent en boucle sur plusieurs média, comme CNews, qui est aussi la chaîne d’info en continu la plus regardée de France.
Un sondage Harris interactive du 29 avril montre que 58% des Françaises et des Français disent soutenir ces militaires. Près d’un ou une sur deux se déclare favorable à l’intervention de l’armée sans qu’on lui en donne l’ordre, afin de garantir la sécurité de la France.
Nous ne pouvons pas attendre que la réponse vienne d’un pouvoir qui n’a eu de cesse ces derniers mois d’alimenter ce brasier, par des lois liberticides, islamophobes et anti-sociales. Un pouvoir qui semble espérer par faire apparaître Macron comme la meilleure option, la plus “raisonnable” face à Le Pen, alors qu’il incarne un autre autoritarisme qui se veut une réponse à la peur de la guerre civile portée par ces tribunes.

La manifestation unitaire du 12 juin, dont le SNES, avec la FSU, ne peuvent être absents, est une première occasion à saisir.

Il faudra, dans la suite, œuvrer à la construction d’initiatives unitaires contre l’infiltration de ces idées dans la société, et dans notre milieu en particulier. Cela sera l’occasion de renforcer le travail intersyndical contre l’Extrême Droite, engagé depuis 2014 aux côtés de la CGT, de Solidaires et de l’Unef, qui ont d’ailleurs depuis rejoint l’appel au 12 juin.

Marie :
Nous voulons un SNES-FSU clairement situé dans le syndicalisme de lutte et de transformation sociale ! Nous travaillons sans relâche pour l’unité d’action syndicale la plus large ; mais nous avons besoin d’une dynamique d’entraînement que peut provoquer l’unité, et même l’unification, du syndicalisme de lutte et de transformation sociale. Travaillons avec la CGT, avec Solidaires. Ouvrons-nous aussi à des cadres collectifs larges, avec des forces associatives et politiques à même de porter ces alternatives.
Pour mener ces combats, nous avons un outil, notre syndicat ! Renforçons-le en construisant ses secteurs, ses sections académiques, départementales, ses S1, et faisons qu’il soit toujours plus démocratique en associant toutes ses composantes, dont les tendances, à son fonctionnement et à ses décisions. Faisons qu’il continue à appartenir à tout le monde et que chacune et chacun y ait sa place.

Un dernier mot pour conclure :
Ce congrès de Paris est le dernier congrès de Frédérique en tant que Secrétaire Générale du SNES-FSU. Nous tenions ici à saluer ses grandes qualités militantes : sa véritable écoute, la sincérité de son féminisme, ainsi que la sûreté de sa boussole politique. Tu as eu une très grande importance dans la construction du SNES-FSU, nous savons ce que cela coûte individuellement, mais nous voyons aussi tout ce que cela a apporté au syndicat. Un très grand merci à toi.
C’est aussi le dernier congrès de Clément en tant que Secrétaire National pour l’EE. Je voudrais ici lui dire toute l’admiration que j’ai pour lui, qui possède, comme Frédérique, un grand sens de l’écoute et beaucoup de clairvoyance politique. C’est un bonheur que de militer d’aussi près avec quelqu’un d’aussi solide, et humain.
Car c’est aussi cela, le syndicalisme : des histoires humaines qui nourrissent les personnes que nous sommes et le collectif que nous constituons.
Bon congrès à toutes et tous !