Covid-19 : quelques enjeux d’une crise systémique

Le monde vit aujourd’hui au rythme imposé par le Covid619. Ce virus inconnu, décelé à partir de novembre 2019 dans la ville de Wuhan, en Chine, s’est propagé à la plupart des pays du monde en quelques semaines, déclenchant une pandémie aux incidences uniques. Par bien des aspects, le Covid-19 constitue un crash-test du capitalisme : il met en lumière les ressorts de son organisation, en dévoile les faiblesses, en particulier dans sa capacité à résoudre les problèmes soulevés par la mise en sûreté de l’ensemble de la population, révèle de manière exacerbée un régime général des inégalités, et donne à voir un certain nombre de contradictions qu’il nous faut discuter pour pouvoir répondre à la crise du point de vue de notre camp social.

Face à cette crise nouvelle, les antagonismes sociaux sont patents, malgré la volonté de Macron de les masquer en prônant l’union sacrée.

La situation que nous vivons concentre des questions générales (crise écologique, fonctionnement du capitalisme) avec de l’intime, des préoccupations à l’échelle du monde avec l’organisation concrète de nos vies et de notre travail. Pour définir une stratégie syndicale dans la période, il nous faut donc aborder ces différentes dimensions.

1) Ce que la pandémie dévoile

a) Covid-19 : une maladie de la globalisation néolibérale

Si certains gouvernant-es ont pu argumenter du caractère imprévisible d’une telle pandémie, voire l’attribuer à une forme de fatalité, il est important de considérer que l’histoire des pandémies est avant tout une histoire du développement des sociétés humaines. En témoignent par exemple les épisodes de pestes au Moyen-Âge, dont le trajet suit celui des échanges entre l’Asie et le monde méditerranéen, ou la mort en masse des Amérindiens suite à la colonisation des Amériques par les Européens. Aujourd’hui, le développement des activités humaines, que cela soit par les déforestations ou par l’élevage industriel concentrant à proximité d’humains des animaux potentiellement porteurs, conduisent à la rencontre de nouveaux foyers viraux.
Il en va ainsi avec la pandémie du Covid-19.

Apparue en Chine, « l’usine du monde », elle s’est propagée au rythme de la globalisation, très rapidement, d’abord dans les centres européens et états-uniens de la mondialisation, pour ensuite se diffuser vers les pays dits périphériques, suivant les grands axes de transport des personnes et des marchandises.

Mais force est de constater que la réorganisation capitaliste des espaces de production, à l’échelle planétaire, entrave les possibilités locales de répondre à la pandémie, notamment de produire et de répartir les objets de première nécessité sanitaire (masques, bouteilles d’oxygène, machines respiratoires, tests de dépistage…)
Que cela soit par ses mécanismes d’apparition, d’expansion ou par les entraves mises aux réponses sanitaires, le Covid-19 constitue bien une maladie de la globalisation capitaliste.

b) En France, le coût de trente ans de régressions libérales

Depuis l’arrivée du virus, la préoccupation première des autorités est d’identifier si notre système hospitalier pourra absorber l’afflux de patient-es. Les mort-es de la pandémie ne sont donc pas que ceux du virus : ils sont aussi ceux du démantèlement de l’hôpital public par 30 ans de régressions néolibérales en France. À vouloir qu’il soit géré comme une entreprise, en flux tendu, à en diminuer de façon obstinée le financement avec cette obsession qu’il faut toujours et partout « optimiser » l’argent public, dans le court terme, les gouvernements successifs ont provoqué des pénuries en tout genre, dont la disparition des stocks de masques aujourd’hui faisant cruellement défaut. Entre 2003 et 2016, 64 000 lits ont été supprimés. Le nombre de soignant-es formé-es a été très insuffisant-e, et les conditions de travail ont détourné nombre d’entre elles et eux de l’hôpital public. Aujourd’hui, la France compte 2 fois moins de lits en soins aigus que l’Allemagne (et 5 fois moins en réanimation !), 2,3 fois moins que la Corée du Sud. Sous couvert de politiques ménageant la place de l’État, la gestion néolibérale de la santé (et, plus largement, des politiques publiques), ainsi que les formes de prises de décisions et l’existence d’un appareil national de production, ont produit des effets encore plus criants en France que dans les autres pays comparables.

De fait, le démantèlement du système de santé français, auquel il faut ajouter l’impréparation de la crise par le gouvernement (cf. plus bas), a rendu la décision d’un confinement dur inéluctable, quand d’autres pays plus solides ont pu anticiper et s’orienter vers des stratégies sanitaires moins liberticides, moins violentes. En ce sens, le gouvernement français a une responsabilité particulière, même si les politiques néo libérales de destruction de notre système de santé le précèdent.

Le démantèlement de la recherche publique, la baisse drastique des financements publics permettant d’engager des recherches de long terme et l’orientation des crédits vers des sujets rentables à court terme, la baisse du nombre de chercheur-es titulaires ont très fortement affaibli la capacité à analyser ce nouveau virus, à anticiper ses effets et à lutter contre la maladie.

Aujourd’hui, la situation de l’hôpital public agit comme un miroir grossissant de celle faite à l’ensemble des services publics, dont les coupes claires, année après année, ont pour conséquence l’affaiblissement des possibilités d’action des pouvoirs publics. La solidarité sanitaire vis-à-vis des migrant-es ou des plus pauvres relève largement des associations. La santé des agent-es des services publics n’est pas garantie, dans la santé comme dans l’éducation ou ailleurs.

c) Trader où es-tu ? Ou par qui la société tient ?

Mais s’il fallait retenir un fait marquant de la période, c’est le renversement auquel on assiste de la hiérarchie de la valeur des métiers. Si les sociétés tiennent dans la crise, c’est grâce aux services publics et au travail des couches populaires. C’est grâce aux femmes aussi. Quand l’absence des premiers de cordées ne se remarque même pas, tout le monde loue, jusqu’au Président, l’importance de ces premiers-ères de corvées. Le personnel de santé bien évidemment, mais aussi les caissières, les éboueurs-euses, les enseignant-es, le personnel du nettoyage ou des transports, les paysannes et les paysans… Alors que les cadres, très majoritairement, sont en télétravail, les entreprises tournent avec les ouvrier-es et employé-es présent-es qui constituent l’essentiel des 34 % d’actifs qui sont sur leur lieu de travail.

Par ailleurs, l’urgence mise par le gouvernement au retour au travail de l’ensemble de la population démontre à quel point c’est le travail humain qui est créateur de richesses. Trader, où es-tu quand les bourses s’effondrent ?

Ces deux phénomènes peuvent avoir leur importance subjective et symbolique, dans la prise de conscience de « l’essentialité » du monde du travail, tant en termes de formulation de revendications que de capacité et de légitimation de la mobilisation.

d) L’inanité de l’Union européenne

Alors que le continent européen est une zone géographique particulièrement touchée, (l’Italie, l’Espagne, la Grande Bretagne, la Belgique et la France faisant partie des pays comptant le plus de morts à l’échelle mondiale), l’absence des instances de l’UE dans la gestion de la crise est patente. C’est un espace où la concurrence a prévalu : chaque pays a développé sa propre réponse et voulu avoir (souvent de force !) ses propres moyens sans se préoccuper du voisin. Les quelques transferts de malades ont masqué l’absence de solidarité concrète avec un pays comme l’Italie, en pleine tourmente. Les discussions qui se sont menées sur le plan économique (les seules en fait…), tournées principalement vers la sauvegarde des entreprises, butent aussi sur un refus de prendre en charge collectivement les difficultés des pays les plus touchés par les conséquences de la crise sanitaire, laissant chacun se débrouiller.

2) Face aux choix du gouvernement : gérer la crise du point de vue de notre camp social

a) La gestion de crise du gouvernement : entre incompétence, mensonge, cynisme et renforcement des inégalités

– Un travestissement du réel pour masquer sa politique et son incompétence

Emmanuel Macron répète dans ces allocutions que la crise était imprévisible. Pourtant, à regarder la chronologie des actions entreprises par le gouvernement, il y avait matière à une bien meilleure anticipation (depuis quelques mois mais aussi dans la décennie passée). Dès début janvier, des médecins et des scientifiques sont au courant de l’émergence d’un virus nouveau. L’OMS alerte officiellement les gouvernements le 30 janvier. La possibilité d’une pandémie est évoquée dès les premiers jours de février. Le 25 février, dans un article paru dans la revue Science, la pandémie est actée. L’Italie commence le confinement des villes du Nord. On se souviendra que, quatre jours plus tard, le gouvernement français profitera d’un Conseil des ministres annoncé comme devant traiter de la crise du coronavirus pour déclencher le 49.3 sur la réforme des retraites !

Il est invraisemblable que les personnels de santé aient manqué du matériel élémentaire de protection, que les hôpitaux n’étaient pas été équipés en respirateurs suffisants ! Que les masques aient fait défaut depuis février, pour les personnels de santé comme pour les autres salarié-es, pour les personnes fragiles !

Le manque de prévision n’est pas le seul trait de la politique du gouvernement : celui-ci a menti, dissimulé des informations, le tout bien souvent pour masquer sa légèreté et son incompétence. Ainsi, il a longtemps communiqué sur les risques qu’il y avait à l’utilisation des masques alors que cette utilisation faisait partie de l’arsenal de pays ayant bien mieux géré la crise que la France. Cette communication visait à camoufler la gestion chaotique de ce sujet et constitue un mensonge d’État. Les annonces sur la limitation des tests aux personnes présentant les symptômes du Covid-19 lors du déconfinement sont la conséquence d’une pénurie que le gouvernement n’arrive pas à combler malgré les productions possibles au sein d’institutions publiques (CNRS, INSERM, labo vétérinaires…) : avec les 100 000 tests par jour prévus pour le mois de juin, il faudrait 2 ans pour tester toute la population. Or, un dépistage massif, tant des porteurs du virus que des personnes immunisées, paraît nécessaire dans une stratégie de déconfinement ayant comme principal objectif la santé de toutes et tous.

À cela s’ajoute le manque de transparence sur les chiffres de la pandémie en France. Longtemps, seuls les mort-es des hôpitaux ont été annoncés, oubliant le drame qui se nouait dans les EHPAD où, là aussi, la course aux économies tue les pensionnaires et les soignant-es. L’absence de test des personnes présentant des symptômes mais ne se rendant pas dans une structure hospitalière empêche leur comptabilisation. Ceci a conduit à l’exclusion des données françaises dans certaines études comparatives internationales sur l’étendue de la pandémie. Et, dans une situation où 35 % des actif-ves sont présent-es sur leur lieu de travail, des données sur le niveau de transmission du virus parmi elles et eux seraient une indication de ce qui nous attend. Si ces données existent, elles ne sont pas communiquées.

De fait, a contrario d’autres pays où les gouvernements ont accepté que leurs stratégies de lutte contre la pandémie soient explicitées, étayées et discutées, le gouvernement français s’est affranchi des cadres qui permettent une véritable délibération démocratique pour imposer une gestion de la crise avant tout déterminée par le soutien aux entreprises (100 milliards d’€ débloqués) et la relance au plus vite de l’activité économique.

– L’augmentation des inégalités dans la crise : l’aveuglement néolibéral

Cela s’est révélé patent dès les premiers jours du confinement : le gouvernement s’est refusé à définir la liste des secteurs essentiels, maintenant un flou propice au maintien en activité et donc à la mise en danger de salarié-es sans que cela soit justifié. Les propos de Muriel Penicaud sur le retour au travail dans le BTP en sont symptomatiques, ainsi que la suspension d’un inspecteur du travail ayant introduit un référé pour préserver la santé au travail de salarié-es d’une entreprise de soins à domicile.

Par ailleurs, le gouvernement a profité de la crise pour attaquer les droits des salarié-es, avec sa loi d’état d’urgence sanitaire.

Pour celui-ci, rien ne doit entraver le retour au travail, essentiellement celui des couches populaires. Et ce, quel qu’en soit le coût sanitaire !

De plus, les effets économiques de la crise sont plus importants pour les classes populaires, qui sont bien plus touchées par les arrêts de travail, le chômage partiel, et dont les revenus chutent. 75 % des cadres reçoivent l’intégralité de leur salaire pour 52 % des ouvrier-es (33 % des commerçant-es et artisan-es).

La crise et sa gestion par le gouvernement ont de fait mis en lumière et exacerbé les inégalités, qu’elles soient sociales, géographiques, de sexe ou de couleur de peau. Alors que 10 % de la population parisienne parmi la plus aisée a pu rejoindre des résidences secondaires au début du confinement, participant potentiellement de la propagation de la pandémie, les populations des quartiers populaires sont accusées de négligence vis-à-vis des consignes de confinement et subissent les brimades policières.

Dans l’éducation, les premiers jours du confinement ont montré l’incapacité du ministère à assurer la continuité pédagogique, pourtant assénée. Serveurs saturés, absence de listing mail des familles ont montré l’inanité des propos du ministre et son absence de considération du réel. L’entêtement à cette continuité pédagogique a eu pour corollaire l’impréparation de l’accueil des enfants de soignant-es : matériel de protection absent ou en quantité insuffisante, consignes de sécurité au mieux tardives… Des enseignant-es volontaires sont tombé-es malades, comme du personnel municipal. Cette première expérience augure mal de ce que serait la situation sanitaire des écoles lors du déconfinement.

À cela s’ajoutent les inégalités de vécu des élèves de l’école sans la classe, témoins des inégalités de vécu de l’école avec la classe. Outre le problème des moyens matériels de connexion et l’usage socialement différencié des supports informatiques, la faiblesse du lien tissé par l’école avec ses élèves issus des classes les plus populaires a provoqué ou accentué des ruptures, et ce, malgré la volonté des enseignant-es de chercher à l’éviter. Les inégalités à l’école, déjà insupportables, se sont aggravées, d’autant plus que le ministre assénait sa volonté que de nouveaux apprentissages soient effectués et qu’il a lourdement fait pression pour cela..

– Des conséquences économiques qu’il entend faire payer aux classes populaires et au salariat

Intervenant sur un fond de chute de la croissance et de récession, marquée par une hausse de l’endettement généralisé, la crise du Covid 19 agit comme un révélateur et un gigantesque amplificateur des difficultés du capitalisme. L’ampleur de l’arrêt des activités économiques dû au confinement de 4 milliards d’individus a toutes les chances de transformer cette énorme récession en une dépression digne de celle de 1929. Les chutes des cours des bourses témoignent d’une crise financière en gestation. L’arrêt des activités économiques va provoquer une crise des cours de matières premières (c’est déjà le cas pour le pétrole). Le gouvernement français annonce déjà une chute du PIB de 8 % pour l’année 2020. Le Fonds monétaire international s’attend à un repli de 3 % du PIB mondial cette année dans le meilleur des cas. Si la crise sanitaire et les mesures de confinement se prolongent, la chute pourrait atteindre 6 %. Aucun pays n’échappera à la récession. Déjà, cela se traduit par des dizaines de milliers de fermetures d’entreprises, des millions de salarié-es au chômage et un fort développement de la précarité.
Il est clair que les tenants du libéralisme voudront nous faire payer au prix fort leurs turpitudes actuelles. Le risque est grand que les dirigeant-es économiques et politiques en place veuillent faire payer les couches populaires pour préserver encore la richesse et le pouvoir des élites. Au-delà de l’aspect sanitaire, les jours d’après se joueront aussi sur le type de révolution sociale et écologique que nous serons en capacité de leur imposer.

b) Les réponses du mouvement social : définir une stratégie de vie avec le virus permettant le jour d’après

Le mouvement social, syndical, associatif, passé la sidération inhérente à une situation d’une rare nouveauté (l’amenant à suspendre ses actions contre la réforme des retraites), a affirmé ses choix par rapport aux orientations de crise du gouvernement. Il a condamné les mesures dérogatoires au Code du travail contenues dans la Loi d’état d’urgence sanitaire. Il a défendu le respect des règles sanitaires au travail, en particulier par la saisine des CHSCT. Il a participé du discrédit du gouvernement qu’il s’agit de poursuivre, notamment par des dépôts de plainte contre sa gestion sanitaire de la situation. Il a pointé dans l’Éducation nationale les aberrations des orientations ministérielles. Il a organisé les solidarités, dans les quartiers, avec les plus démuni-es, les plus vulnérables, avec les migrant-es, etc.

Avec l’appel « Plus jamais ça : construisons ensemble le jour d’après » et sa pétition, s’affirme dans le paysage, par un travail commun à 18 organisations, une possible sortie de crise prenant à bras le corps les considérations écologiques et sociales, qui ne soit pas un retour comme avant.

Néanmoins, nombre de chantiers sont encore devant nous. La stratégie de crise du gouvernement nous amène collectivement droit dans le mur. Prendre au sérieux la situation implique de trouver point par point des alternatives.

La connaissance actuelle de la pandémie nous laisse présager d’une vie avec le virus plus longue qu’initialement escomptée. Il nous faut définir des contours de cette vie garantissant des conditions sanitaires décentes à toutes et tous, en particulier au travail, luttant contre les inégalités sociales, respectueuse des exigences démocratiques.
Un des premiers enjeux est de garantir le débat démocratique sur la gestion sanitaire de la crise. Cela implique de permettre l’accès de toutes et tous à une véritable expertise scientifique sur les questions de pandémie, non assujettie ou travestie par le pouvoir. Nous avons, dans nos universités et organismes de recherche, les ressources nécessaires pour rendre publics ces savoirs.

Mais ce débat démocratique ne peut être éclairé uniquement par le savoir des chercheurs en épidémiologie. Nous devons collectivement définir quels sont les secteurs essentiels à la vie avec le virus, quelles sont les industries qui peuvent être transformées pour répondre aux besoins sociaux et médicaux de la période, quelles possibilités de reconversion ou de soutien financier sont offertes aux personnes perdant leur emploi dans un secteur non essentiel, quels moyens matériels et humains nous déployons pour garantir à toutes et tous des soins, mais aussi la satisfaction de leurs besoins. Le syndicalisme, avec les salarié-es concerné-es, a, de ce point de vue une expertise forte à faire valoir.

Le respect de la santé au travail est un impératif. Cela passe par l’élaboration, métier par métier, de revendications, par le renforcement du pouvoir des CHSCT et de l’Inspection du travail.

Plus largement, la crise du coronavirus met en évidence un besoin criant de service public. Il faut œuvrer à son renforcement dans de nombreux secteurs. Cela permettra de relancer l’activité au service des besoins sociaux et pas de ceux du capitalisme financier. On le sent bien aujourd’hui, le service public est un bien commun. C’est le secours sur lequel chacun et chacune peut compter en toutes circonstances car il appartient à tout le monde. Se pose aussi, face à l’anarchie de crise du marché, la nécessité de travailler à des formes de planification permettant de décider des priorités économiques. Planifier, pour un pays, pour un territoire, c’est choisir un destin commun. Ce qui implique une large association de la population à une planification démocratique pour répondre aux besoins sociaux et en respectant les équilibres écologiques.

À l’heure où le gouvernement entend déployer une application de suivi de chaque individu en France, à l’heure où les déclarations de déplacement dérogatoire sont le prétexte à des contrôles discriminants voire des violences par la police dont les principales victimes sont une nouvelle fois les racisé-es des quartiers populaires, il nous faut travailler avec les organisations de défense des libertés numériques, individuelles et publiques et l’ensemble du mouvement antiraciste, en particulier dans les quartiers populaires.
Enfin, dans l’éducation, au-delà des lignes rouges sanitaires à affirmer pour pouvoir envisager un redémarrage des activités avec les élèves, il nous faut imposer le fait que l’école à la maison n’est pas l’école, et que la lutte contre les inégalités scolaires nécessite de reprendre l’école là où elle s’était arrêté avant le confinement. Là aussi, il faut concevoir une école avec le virus qui circule. Nous devons faire valoir notre corpus revendicatif pour redéfinir nos métiers, les contenus d’apprentissage (notamment les programmes de l’an prochain et peut-être de l’année suivante aussi) et la structure scolaire afin que soit prise au sérieux la lutte contre le poids des déterminismes sociaux dans la réussite scolaire, d’autant que Blanquer profite de la crise pour tester à grande échelle ses conceptions éducatives.

3) Pour une stratégie du choc à l’envers : quelles alliances et quelle stratégie ?

L’ampleur exceptionnelle de la crise exacerbe les contradictions d’un système fondé sur un régime général des inégalités et une exploitation mortifère de la planète. Les sociétés à travers le monde sont percutées de plein fouet. L’ordre social est bousculé. Des mécanismes sociaux et écologiques, bien connus dans nos rangs, sont dévoilés à une échelle rarement atteinte. Mais si tout cela est vrai, rien ne permet de présager de la façon dont nous sortirons de cette crise.

Un retour à un un renforcement du libéralisme autoritaire, offensif contre le monde du travail pour reconstituer le capital perdu dans la crise, poursuivant les politiques d’exacerbation des inégalités sans prise en compte de l’urgence climatique, profitant de la crise pour imposer ce qu’il n’a pas pu faire jusqu’à présent, est bien évidemment un des possibles. Il pourrait se combiner avec un repli sur soi nationaliste d’une extrême droite “muette” pour l’instant mais qui surfera sur la crise pour avancer sa politique nauséabonde.

Mais peut-être la situation est-elle plus ouverte que par le passé, d’autant que le gouvernement français a vécu avec le mouvement des Gilets jaunes, les mobilisations contre la réforme des retraites, dans l’éducation, à la SNCF, deux ans de luttes sociales qui l’ont passablement mis à mal et discrédité. Nous pouvons jouer une stratégie du choc à l’envers, permettant que le jour d’après ne soit justement pas le jour d’avant. Afin de permettre une bifurcation sociale et écologique de nos sociétés ébranlées par un virus qui a su stopper net la machine productiviste.

Cela dépend de l’histoire que nous serons capables de raconter et de rendre désirable par le plus grand nombre.

Considérons donc que dans ce que nous allons mener dans les jours et les semaines qui viennent, il y a possiblement les germes d’un après vivant.

L’intersyndicale qui a mené la lutte contre la réforme des retraites est bien évidemment le cadre pertinent de la réponse syndicale à la situation faite aux travailleuses et travailleurs, aux remises en cause du code du travail et des éléments correspondants dans le cadre de la fonction publique. L’élaboration d’une parole experte sur la santé au travail, sur les secteurs essentiels, sur la réorientation industrielle, les relocalisations ainsi que les mécanismes de redistribution des richesses et de soutien à toutes et tous doit y être menée.

L’appel des 18 « Plus jamais ça : construisons ensemble le jour d’après » ouvre un nouvel espace où peuvent être traitées de façon unitaire les problématiques sociales et écologiques, qui pourrait se traduire par la constitution de groupes locaux.

Toujours est-il que l’ampleur de la déflagration ouvre la voie à des agrégations nouvelles, entre syndicalisme, mouvements écologistes, mouvements de solidarité, mouvements féministes, antiracistes, politiques, mais aussi collectifs locaux de citoyens, de Gilets jaunes… L’idée d’États généraux de la vie avec le virus et du monde d’après, appuyée sur une démarche citoyenne « en bas » peut être une idée partagée. À nous d’être attentifs aux surgissements de ces possibles, de les cultiver, de les initier, pour que les plus riches ne soient pas encore les ordonnateurs du monde d’après.

Les élu-es Ecole émancipée du BDFN FSU. Le 27 avril 2020.