Classe virtuelle, le dilemme du prof: j’y vais ou j’y vais pas ?

Témoignage

Depuis le confinement, nous sommes sans interaction avec nos élèves. Or une des questions posée par la classe, au moment où je distribuais des devoirs était : « mais, comment on saura si on a juste sur ce travail si vous ne pouvez pas nous dire ?». Car nous avons affaire à des enfants… qui ont besoin de notre étayage disciplinaire – souvent – et humain – presque toujours. Alors je me suis dit que la classe virtuelle était une bonne façon d’exercer ce soutien et de maintenir un lien avec elles et eux, et entre elles et eux aussi. Garder un semblant de collectif. Donc allons-y. Au bout d’une semaine, voici mon constat.

Sur le principe d’abord, j’ai bien fait de tenter. Car la fracture est avant tout entre ceux et celles qui sont équipé-es en numérique, ceux et celles qui en sont dépourvu-es, fracture que je peux difficilement combler seule. Même si le collège a déjà fait sa part, les moyens ne suffisent pas, il a distribué les 15 tablettes en sa possession et n’en a plus. Mais pour ceux qui sont équipés, le risque de fracture « scolaire » existe aussi : ils peuvent décrocher car leur travail scolaire dépendra de leur entourage et de leurs stimulations. Alors autant leur proposer la classe virtuelle car son caractère interactif permettra peut-être de repêcher ceux qui ne supportent pas le cahier de texte numérique, le silence du numérique ou le silence tout court dans les familles où on ne parle pas.

Côté pratique, grosse déception : la classe virtuelle est en fait une interface américaine (BlackBoard)  mal traduite, version basique. C’est celle proposée par le CNED, qui respecterait la RGPD à condition qu’on n’enregistre pas le cours (mais je n’ai pas été vérifier).

Cependant, je peux quand même discuter avec mes élèves, pour peu qu’ils aient et sachent se débrouiller avec un micro, ou par le chat pour ceux qui n’ont pas de micro. Je leur commente des documents, les interrogent, ils et elles répondent, posent des questions, complètent les documents, je fais des sondages, et je fais même des commentaires sur ce qu’ils et elles m’ont remis via le cahier de texte numérique, car là aussi, impossible pour moi de corriger individuellement le travail hebdomadaire de 280 élèves (je n’ai pas de logiciel approprié). Les élèves semblent apprécier : ils et elles reviennent. Mais, premier commentaire négatif d’une élève en fin de semaine : le cours avait été pollué par des élèves anonymes, qui insultaient les autres par chat, crayonnaient sur le tableau… depuis, je cherche une solution pour « fermer la porte de la salle virtuelle » une fois les élèves réuni-es. Car cette interface Blackboard est faite… pour les adultes. Je précise que je me suis auto-formée : peut-être que je ne maîtrise pas cette version basique.

La charge de travail est énorme : préparation du cours, des documents au bon format, gestion des intrusions, réponses au chat, parfois souci technique qui nécessite une reconnexion… j’ai dû réduire le temps d’échange. Pour toutes les séances, documents et corrigés sont mis sur le cahier de texte numérique, le travail est donc double. Je dois aussi me créer mon emploi du temps (j’ai 7 classes virtuelles). J’ai laissé de côté 4 classes, gérées uniquement via le cahier de texte numérique et messagerie, car le thème de la reproduction humaine (en SVT) ne se prête pas à ce genre de dispositif.

Au final, je suis bien dans une classe, avec des élèves, mais à quel prix ? Tous les élèves ne sont pas présent-es. J’ai mal au dos, aux doigts, crispés sur la souris, et rien de ce que j’utilise en matériel et connexion n’est financé par mon employeur. Il n’est pas adapté à mon travail actuel. La concertation avec les collègues semble implicite, mais là aussi, avec quel outil ? Quant au conseil de classe, il s’est fait à deux (chef d’établissement + prof principale), une heure et plus au téléphone. Système D, comme d’habitude.

Aujourd’hui, il apparait défaillant, plus que jamais. Ah ! J’aurais aimé que mes collègues participent à ce conseil, chacun.e dans un grand bureau, avec un grand écran, où on puisse tous et toutes se voir en direct… idem pour les élèves. J’ai vu ça au journal télévisé, hier, ce grand écran, ce grand bureau dans lequel était assis un célèbre personnage, qui gère cette crise. Comme moi. Comme d’autres enseignant.es. Comme beaucoup d’autres.

Réactualisation :

Au bout de quelques semaines de confinement et d’un certain nombre de classes virtuelles, mon idée n’a pas vraiment changé, mais je continue car les élèves restent demandeur-euses : ils et elles veulent être nourri-es de paroles, de récits, de remarques, de dialogues et de réponses à leur questions. Pour ceux et celles qui la suivent.

J’opte le plus souvent pour ce scénario : on découvre les notions ensemble, de façon la plus tonique et interactive possible. Pas ou peu de trace écrite. Et de façon individuelle, dans la semaine, ils et elles reprennent les documents, les complètent et les organisent dans leur cahier, ce qui me permet de faire passer le cours aussi à celles et ceux qui n’y ont pas assisté. Finalement, ne serait ce pas l’anti-classe inversée ?