Big Brother is (not only) watching you !

Les technologies de l’information
et de la communication
se développent au cœur de la crise de la société. Sans réflexion
critique et mobilisations collectives,
elles deviennent des outils d’asservissement politiques,
sociaux ou marchands


Le concept de « contrôle social » est un mécanisme d’intériorisation de normes et un ensemble de dispositifs publics de surveillance et de répression. Il convient de faire la distinction entre ce qui relève de la délinquance, c’est-à-dire de la norme pénale, et ce qui relève de l’imposition d’une norme qui organise le conforme et le non conforme. Dans un système non démocratique, l’ensemble des normes collectives du contrôle social ne s’arrête pas à la seule délinquance pénale mais va bien au delà.

Depuis le milieu des années 1970, des mutations profondes et de nombreuses contraintes sociales, économiques et morales ont durci la norme sociale :
– l’insécurité sociale, conséquence directe du chômage de masse, de la paupérisation d’une fraction de la population et du développement supposé de la délinquance,
– le discours sécuritaire instrumentalisant le fantasme du risque zéro
– la défiance, surtout depuis septembre 2011, de l’Etat envers tout citoyen considéré comme potentiellement dangereux, inversant le principe de présomption d’innocence vers une présomption de culpabilité.

Les outils de la société de surveillance

Ce contexte a favorisé le développement massif et quasi incontrôlé des technologies de l’information et de la communication (TIC) qui ont multiplié de façon exponentielle les possibilités de surveillance, de fichage, de traçage et de profilage. D’ores et déjà, nous sommes entrés dans une société de surveillance généralisée, voire par la multiplication des fichiers de police, dans un Etat policier.

En effet, jamais il n’y a eu dans notre pays autant de fichiers, publics ou privés, couvrant les champs les plus divers, d’écoutes, de caméras de contrôle, jamais la surveillance des uns par les autres n’a été à ce point encouragée par les pouvoirs publics.

Depuis dix ans, le nombre de fichiers de police a été multiplié par trois, les fichiers administratifs ont suivi la même évolution et 42 lois sécuritaires(1) ont été promulguées. Malgré l’opposition du Sénat et la censure partielle du Conseil Constitutionnel, le gouvernement vient de décider la création d’une carte nationale d’identité électronique adossée à une base de données centralisée concernant aussi les passeports biométriques. N’apportant aucun avantage en matière de sécurité, cette flambée de systèmes liberticides est porteuse de dangers pour les libertés individuelles et collectives, dans l’espace public, dans l’entreprise, dans l’école, dans les relations privées, particulièrement en l’absence de contre-pouvoirs efficaces. Renommée officiellement « vidéoprotection » par la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi 2), alors qu’elle ne protège personne, la vidéosurveillance utilise des logiciels de reconnaissance faciale et de détection automatique des comportements anormaux et des machines vont remplacer les hommes en se chargeant du contrôle automatisé permanent de la voie publique.

Les outils de la marchandisation de nos vies

Enfin, les puces RFID(2), lisibles à distance et sans contact, sont utilisées dans des supports d’identification (passe Navigo, carte nationale d’identité électronique, passeport biométrique). Bientôt, elles seront fixées sur chacun des produits de consommation courante que nous achetons, permettant un traçage facile des façons de vivre des consommateurs et prochainement des actes de toute la vie quotidienne, collective ou individuelle.

Ce ne sont pas ces technologies elles-mêmes qui posent problème, mais leur mise en œuvre sous la double loi de la recherche du profit et du maintien de l’ordre social, sans réflexion, ni contrôle public. Les intérêts privés du système financier et les paranoïas, les tentations autoritaires des gouvernements se conjuguent. Cette société d’intérêt, dont le seul credo est la recherche de profits rapides et faciles représente un danger pour les libertés et les droits fondamentaux de la majorité de la population.
Alors qu’elles ont ouvert de nouvelles et immenses opportunités éducatives, culturelles ou simplement sociales en permettant de s’instruire, de s’informer et de communiquer avec facilité, la plupart de ces nouvelles technologies sont détournées d’une utilisation au service des citoyens au profit d’une exploitation mercantile et d’une fonction de surveillance.
L’Internet et sa progéniture (Facebook, Twitter, Google… et tant d’autres) récupèrent les numéros de téléphone et les adresses de nos contacts et analysent le contenu de nos e-mail pour nous profiler sans même nous en demander la permission ou nous en informer.

Pourtant, nous avons une responsabilité importante dans ce modèle économique selon lequel nous nous attendons à recevoir ces services gratuitement. La cause de cet état de fait est que, par nos données personnelles, nous sommes le produit, pas le client.
La plus-value provient des annonceurs qui achètent les données personnelles que nous fournissons gratuitement à ces entreprises au détriment de notre vie privée et de nos libertés.

Il est illusoire et particulièrement naïf de penser que, dans ces conditions, le service gratuit de ces réseaux est sans contrepartie et il serait peut-être temps d’accepter de payer pour préserver notre vie privée plutôt que de jeter à tous les vents mercantiles nos données personnelles.

Dans tous les cas, sans une remise en cause profonde de cette société et de sa logique, l’avenir est hypothétique, préoccupant et sombre car il est à craindre, comme le souligne le philosophe allemand, Hans Jonas(3), qu’à petite dose, mais inéluctablement, tous les composants d’une forme de totalitarisme mou se mettent en place.

Jean Claude Vitran ,
Ligue des Droits de l’Homme

1) http://owni.fr/2011/01/19/lois-securitaires-42-vla-les-flics/

2) RFID– Radio Frequency Identification – Identification par radiofréquence.

3) Le principe responsabilité :
Une éthique pour la civilisation technologique
de Hans Jonas et Jean Greisch (Poche – 2 avril 2008).