CONTRIBUTION AUX DEBATS DU CDFN de Janvier 2019

Les inégalités sociales, sous l’effet de politiques libérales répétées, n’en finissent pas de se creuser ; alors que les Gilets jaunes (GJ), soutenu-es par une majorité de la population, se soulèvent et réclament une réelle justice fiscale pour un autre partage des richesses, le gouvernement ne change rien à son orientation, et confirme les très importants cadeaux fiscaux faits aux plus riches (ISF, Flat tax, etc). Les dividendes versés aux actionnaires représentent 57,4 milliards, c’est à dire 60 % bénéfices des entreprises, ils ont augmenté de 13 % en 2017, alors que leur imposition baisse depuis 2010. Les patrons du CAC 40 quant à eux perçoivent un salaire de 5 millions d’€ par an en moyenne. Les 1 % les plus riches vont donc continuer à prospérer sur le dos de tous les autres… Carlos Ghosn est un des mieux payés, il touche près de 15 millions par an, et ne paie plus d’impôt en France depuis 2012. Quand E. Macron précise, en installant son « grand débat », qu’il n’entend pas revenir sur la suppression de l’ISF, on comprend bien que cette mesure, au-delà du symbole, devient l’emblème d’une politique qui sert les intérêts d’une oligarchie, au détriment de l’intérêt commun.


Dix-huit mois après son arrivée au pouvoir, ce gouvernement est totalement discrédité. Le feuilleton de l’affaire Benalla confine au scandale d’état, les démissions en série des membres du gouvernement en disent long sur les désaccords internes… Les témoignages de mépris répétés de la part d’E. Macron (de la « foule haineuse », « sens de l’effort », à ces gens en difficulté « qui déconnent », pour n’évoquer que les derniers en date) ont parachevé l’image d’un président impopulaire, qui cristallise à lui seul le rejet de la population et qui cherche la sortie de la crise par la droite. « Macron démission ! » : le slogan repris partout, à chaque manifestation, chaque rond-point, est symptomatique de la situation de blocage actuelle : rien n’est envisageable, pour les GJ, avec ce président. Le « grand débat national » est compris par les populations mobilisées, très en colère, comme une manœuvre de diversion de la part du pouvoir, une façon de contourner la mobilisation, sans répondre aux revendications. Personne n’est dupe : sujets tabous (rémunération du travail, ISF, doublement du CICE…), questions biaisées, E. Macron ne changera pas de cap, il l’a dit. Malgré la difficulté objective dans laquelle se trouve son gouvernement, il n’en poursuit pas moins ses réformes régressives qui visent à détruire nos acquis sociaux : le décret du 30 décembre qui renforce le contrôle des chômeurs, la poursuite de la réforme de l’état à travers AP22, la réforme des retraites en préparation. Pour mener à bien son entreprise de destruction, le pouvoir use donc de la répression : on ne compte plus les blessé-es graves lors des manifs, ni les arrestations préventives, les garde-à-vue, les humiliations (envers les lycéen-nes en décembre, notamment), les condamnations… E. Philippe annonce la préparation d’un projet de loi anti-casseurs, il criminalise le mouvement social et cherche à restreindre les libertés publiques (notamment privation du droit de manifester). Il ne reste plus à ce gouvernement que l’usage de la violence et de la répression pour pouvoir continuer à gouverner.

Un mouvement populaire inédit et déterminé

Le mouvement des GJ occupe la scène médiatique depuis deux mois et demi : c’est un mouvement ancré, et c’est cette détermination qui a permis de faire vaciller le pouvoir et obtenir quelques reculs bien insuffisants. Ce mouvement a mis en lumière les inégalités sociales intolérables de notre société, la paupérisation d’un grand nombre de citoyen-nes, l’ultra richesse d’une minorité. Les slogans vus en manif, parfois poétiques, « Fin de moi(s), début du nous », nous disent l’essentiel : c’est bien d’une lutte de classes qu’il s’agit. Ce mouvement est disparate, hétérogène, et nous ne partageons pas toutes ses revendications. En revanche, nous nous battons nous aussi pour davantage de justice sociale, et face à ce gouvernement totalement discrédité, le mouvement des GJ, en revanche, est légitime. C’est d’ailleurs ce qu’ont révélé durant des semaines les sondages d’opinion : un président toujours plus impopulaire face à une mobilisation qui, malgré l’inconfort des blocages sur les ronds-points, des manifs le samedi, emportait adhésion et soutien d’une large partie de la population. Ce mouvement a permis de mettre au centre du débat, depuis 10 semaines, les questions sociales : pour les GJ comme pour le reste de la population, la discussion, l’échange, la nécessité du collectif ont donné lieu à une très forte politisation, au point que les revendications liées au fonctionnement de la démocratie ont rapidement fait irruption, remettant en cause tout un système, et les fondements de la Vème République. Ce mouvement a interpellé le gouvernement par sa forme, sa ténacité, par l’absence de porte-parole officiel ; les organisations syndicales aussi ont été « bousculées » par cette forme inédite, par la désorganisation apparente. L’auto-organisation du mouvement, l’usage des réseaux sociaux lui ont pourtant permis de durer et d’avancer en créant un véritable rapport de forces. Alors que les OS peinent à mobiliser, cela les interroge inévitablement sur les modalités d’action à mettre en œuvre. Aujourd’hui, le mouvement (AG de Commercy) tente de se structurer. Pour autant, les organisations syndicales sont toujours absentes de cette mobilisation sociale à quelques exceptions près. La responsabilité du mouvement syndical est engagée : il faut se saisir de cette situation, prendre appui sur ce rapport de forces pour le conforter. Le temps est à l’action, ni à l’attente, ni à l’observation. La réflexion qu’il convient de mener, c’est comment rallier les forces syndicales à celles des GJ ? Comment faire grossir le nombre de personnes mobilisées en rassemblant dans nos champs professionnels ? Comment articuler les actions sectorielles et cette mobilisation plus globale ? Comment faire la jonction entre les collectifs (Stylos rouges, coordinations de lycées), les syndicats, les mouvements citoyens ? Rassembler les colères est l’objectif central pour accroître le rapport de forces.

Une colère sociale qui peut se généraliser

De nombreux secteurs sont mobilisés, pour s’opposer aux projets de loi (dans la justice, notamment), pour défendre les conditions de travail (dans la fonction publique, le travail social en particulier), pour défendre le pouvoir d’achat (mobilisation des retraités notamment, le 31 janvier) … Dans l’éducation également, les raisons de la colère sont nombreuses : dans les lycées, la jeunesse s’est mobilisée en décembre déjà pour exprimer son rejet de la réforme des lycées, du bac et contre Parcoursup : les universités se sont indignées du comportement autoritaire de l’État imposant une hausse des frais d’inscription fulgurante pour les étudiants extra-communautaires, prémisse d’une hausse généralisée pour tous les étudiants. Ces mobilisations, réprimées de façon extrêmement violente, n’ont pas remis en question la ligne des ministres J.M Blanquer et F. Vidal. J.M Blanquer a cependant répondu à la colère en muselant les personnels, avec l’article 1 de la loi Ecole de la confiance (sic) qui renforce le devoir de réserve en limitant la liberté d’expression. Cependant, la colère s’étend parmi les personnels : des collectifs émergent comme ceux des stylos rouges, des coordinations de lycées se mettent en place.
Les personnels sont mobilisés dans les ESPE pour protester contre la mise en place des ISPE et la réforme de la FDE, dans le second degré pour dénoncer les réformes, mais aussi les 2650 suppressions de postes et le recours accru (et imposé) aux heures supplémentaires, dans le premier degré pour s’opposer aux évaluations et à l’autoritarisme Blanquer. Face à une politique éducative globale, qui met en place un système fondé sur la sélection des élèves, par le biais de la mise au pas des personnels, et qui concerne tous les échelons du système éducatif, on ne peut que regretter que l’appel à la grève du 24 janvier n’ait pas concerné l’ensemble de la communauté éducative, de la maternelle à l’université. Néanmoins, il faut tout faire pour que cette mobilisation soit la plus massive possible, chercher à rallier les personnels (comme les SR) qui tentent de s’organiser en parallèle (et non en opposition) aux OS ; il faudra lui donner des suites en cherchant à élargir la mobilisation au premier degré et au supérieur, et y associer les parents d’élèves.

Élections professionnelles et responsabilité syndicale

Les élections professionnelles n’ont pas totalement bouleversé le paysage syndical : elles ont néanmoins permis à la CFDT de gagner la première place, et ce n’est pas une bonne nouvelle. Les équilibres restent globalement inchangés dans la FP, avec un bilan mitigé pour la FSU : elle n’a pas atteint les objectifs qu’elle s’était fixés (reconquérir la première place dans la FPE et gagner la représentativité dans la FPT), néanmoins, elle a progressé en voix, et a gagné un siège au CCFP. (Cf analyse détaillée dans la note EE consacrée au bilan des élections).
Cependant, la légitimité des OS se joue aussi et surtout dans leur capacité à créer un rapport de forces, notamment dans leur capacité de mobilisation et dans les mouvements sociaux.
Alors que la FP est attaquée frontalement, au niveau des salaires, des retraites, des conditions de travail, du statut des agents, alors que l’avenir même de la FP est sur la sellette, les OS sont dans l’incapacité de proposer une riposte unitaire et d’enclencher une mobilisation à la hauteur.
L’intersyndicale FP a fonctionné l’an dernier dans l’unité, mais ce n’est plus le cas actuellement. Les divergences d’orientation des différentes OS sont inconciliables, et les logiques d’appareil ne permettent pas de construire de façon concertée un plan d’action. Malheureusement, l’absence d’unité se traduit par la paralysie, l’empêchement d’impulser une mobilisation dans la FP. Il faut sortir de cette inertie et trouver un moyen de relancer la machine, avec les OS qui le veulent. Le syndicalisme de transformation sociale peut être moteur, et la FSU, plutôt que de participer à des rencontres officielles (lancement du grand débat le 11 janvier, par exemple) qui ne présentent aucun intérêt, doit chercher à avancer avec Solidaires et la CGT.
Il ne faut rien exclure dans la période, et envisager des modalités d’action variées : pourquoi pas des cortèges syndicaux dans les manifs le samedi pour la défense des SP ? Des meetings qui associent les usagers ? Des diffusions de tracts auprès de la population ?

Au-delà de la fonction publique, la situation nécessite une mobilisation de tou-tes les salarié-es : alors que le gouvernement est en difficulté, qu’il refuse de répondre aux revendications légitimes qui se font jour et que nous partageons, alors que le mouvement populaire des GJ se poursuit avec une grande détermination, les organisations syndicales ne peuvent rester en retrait et regarder les choses se passer sans elles ; au contraire, il est de leur responsabilité de se saisir de la période pour accroître le rapport de forces existant, pour y adjoindre ses forces, c’est-à-dire la mobilisation des salarié-es : la grève interpro du 5 février est aujourd’hui dans le paysage. Une fois encore, elle n’a pas fait l’objet d’une élaboration et d’une construction commune aux OS en amont, on ne peut que déplorer la méthode, alors qu’une action de convergence interpro est nécessaire. La CGT appelle seule le 5, la FSU doit œuvrer à en faire un rendez-vous unitaire de mobilisation pour l’inscrire dans un processus de mobilisation qu’il nous faut construire sur la durée, en n’excluant aucune modalité d’action, en cherchant à articuler les actions sectorielles aux mouvements plus globaux, en mobilisant les agents sur les questions spécifiques de la fonction publique, en alertant les usagers aussi sur les conséquences des projets gouvernementaux sur les services publics, en menant campagne tous azimuts pour défendre notre projet de société solidaire. C’est à ce compte que nous pourrons espérer contrer les projets du gouvernement, ses réformes des retraites et de la protection sociale, et toutes les autres régressions libérales.
Nous devons également nous engager dans le soutien aux mobilisations pour la justice climatique, en articulant à travers nos revendications lutte contre les inégalités sociales et nécessité d’engager dès maintenant une transition écologique financée par une juste répartition des richesses.

Un an après #MeToo, la journée mondiale de lutte contre les violences a été l’occasion de mobilisations importantes, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté partout en France. C’est sur cette dynamique de mobilisation pour l’égalité femmes/hommes qu’il faut s’appuyer pour faire du 8 mars, journée internationale pour les droits des femmes, une journée de luttes et de grève féministe.

A l’échelle internationale, l’investiture de Bolsonaro confirme s’il était besoin les dangers qu’il représente : attaques contre la culture, l’éducation, et menaces contre les opposants politiques. Les syndicalistes et animateurs/trices des mouvements sociaux brésiliens ont besoin de toute notre solidarité. Les mobilisations populaires et syndicales en Hongrie sont des raisons d’espérer dans la capacité des mouvements sociaux à s’opposer aux gouvernements autoritaires et ultralibéraux. Là encore, ils ont besoin de tout notre soutien tant l’issue de leur lutte, si elle est positive, peut être un point d’appui en Europe.

Depuis 2018, selon le HCR, 2275 personnes sont mortes en tentant de rejoindre l’Europe par la Méditerranée. En France, malgré la décision du Conseil Constitutionnel de juillet dernier, nombre de militant-es solidaires qui protestent contre les politiques de rejet des migrants aux effets meurtriers continuent d’être poursuivi-es et condamné-es : en janvier, 2 mois de prison avec sursis pour Raphaël Faye à Aix, 3 pour Pierre Mumber et 4 pour Kevin Lucas à Gap, après la condamnation en décembre dans le même tribunal des 7 de Briançon (jusqu’à 4 mois de prison ferme). Suite au succès de la Journée Internationale des migrants à laquelle elle a contribué, la FSU doit poursuivre son engagement dans les collectifs et initiatives pour un accueil digne et l’abrogation du délit de solidarité.

[**Violences policières

Sur France Culture, David Dufresne, journaliste spécialisé dans les questions de maintien de l’ordre, résume la situation en ces termes : « la benalisation, c’est l’idée que l’on peut faire du maintien de l’ordre en toute illégalité. Et c’est ce qui se passe samedi après samedi. ». Tir de flashballs à bout portant et dans la tête, lancers directs de grenades explosives sur des manifestant-es, gazages en plein visage, matraquages de personnes au sol, tabassages de manifestant-es pacifiques ou déjà appréhendé-es… Ces pratiques violentes illégales et illégitimes de la part de policiers, documentées par des vidéos et des photos diffusées sur les réseaux sociaux, sont devenues monnaie courante ces dernières semaines. Pourtant, le déni politique s’avère explicite quand le ministre de l’intérieur sort du silence pour affirmer n’avoir « jamais vu un policier ou gendarme attaquer un manifestant ». 6500 garde-à-vue, un coût humain très lourd et inédit avec 2000 blessé-es, dont 94 blessé-es graves (14 éborgné-es), plus de 1000 condamné-es, 78 plaintes IGPN… Alors que le mouvement des GJ ne s’est pas arrêté suite aux annonces du président, le gouvernement affaibli et sous pression qui vient d’augmenter les salaires des policiers et prépare en urgence une nouvelle loi sécuritaire compte sans doute davantage sur la répression que sur le Grand Débat National pour mettre un terme à cette mobilisation.

Ce n’est qu’à la lumière de ce contexte d’extrême tension politique et de fuite en avant liberticide d’un pouvoir exécutif qui met en péril l’État de droit que la question de « la violence des Gilets Jaunes » peut être analysée sans confondre ce mouvement avec les éléments marginaux en son sein qui défendent ouvertement la violence contre les biens et les personnes comme une stratégie de lutte consciente. Car c’est bien une politique de maintien de l’ordre provocatrice, disproportionnée et irresponsable, plaçant nombre de forces de l’ordre non formées à cette mission sur le terrain face à des manifestant-es inexpérimenté-es et dépourvu-es de services d’ordre, qui porte la plus grande part de responsabilité dans le recours en retour à des formes de violence défensive chez un certain nombre de Gilets Jaunes qui réprouvaient jusque-là ces pratiques. Au lieu de l’option de la désescalade, traditionnelle en Allemagne ou en Angleterre, c’est celle de l’affrontement systématique et de la banalisation assumée des violences policières qui a prévalu et nourri un climat délétère entre police et manifestant-es.

C’est pourquoi la FSU doit réclamer l’ouverture d’une enquête parlementaire sur les violences policières, exiger l’interdiction de l’usage des LBD et des grenades explosives, et demander l’amnistie des personnes condamnées dans le cadre de ce mouvement pour que l’escalade de violence cesse enfin et que les réponses politiques et sociales à ses revendications se substituent aux réponses judiciaires. Elle doit par ailleurs contribuer pleinement à la réussite du cadre collectif initié par la LDH pour empêcher l’adoption du projet de loi « anti casseurs ».*]