ESR. Fusion strasbourgeoise

Pascal Maillard est secrétaire académique du SNESUP et militant EE-PSO (Pour un Syndicalisme Offensif).

[**◗ École Émancipée : Quelles ont été les raisons officielles invoquées pour engager la fusion des 3 universités de Strasbourg ?*] Pascal Maillard : Il s’agissait à l’origine d’une initiative et d’une volonté propres des présidents des trois universités, au tout début des années 2000. L’objectif était d’abord de mutualiser les moyens, de favoriser la pluridisciplinarité et d’offrir l’image d’une université unique et rassemblée, pour une meilleure lisibilité de la recherche et de l’offre de formation au plan européen. L’idée était surtout d’arriver à une taille « critique » acceptable au plan des standards européens : les deux plus petites (SHS et Droit) devaient bénéficier d’une meilleure attractivité. Deux ans après la fusion, cet objectif de départ est loin d’être atteint : l’ex-ULP (sciences), dominante dans le processus de fusion, reste la grande bénéficiaire avec peu d’effet d’entraînement sur les deux autres. On le voit bien avec les premiers résultats Equipex : le périmètre de l’excellence sera à 80 % en sciences dites « dures ». [**◗ ÉÉ : Comment s’est déroulé ce processus? Les personnels ont-ils été associés ?*] P.M. : Le processus a duré le temps du contrat quadriennal 2005-2008. 2005 est l’année charnière avec la mise en place du LMD qui a incité les conseils des trois universités à voter une même disposition en faveur de la création d’une université unique. L’élaboration du projet par de multiples réunions se fait entre 2006 et 2008 à un rythme soutenu, sous l’impulsion des équipes de direction. L’accélération a été forte la dernière année, avec le recours au Cabinet Deloitte qui a conseillé pour une petite fortune l’essentiel de la restructuration des services centraux. Les personnels en ont fait les frais. Quant à leur association, elle s’est bornée à des élus choisis par les présidents, qui ont participé aux groupes de travail. [**◗ ÉÉ : Quelles sont les conséquences pratiques de cette fusion que l’on peut observer sur le terrain?*] P.M. : La restructuration la plus lourde et la plus mal gérée a été la création des services centraux : charges de travail énormes, déplacement de personnels des composantes vers le central, démission de plusieurs directeurs, tentatives de suicide, congés maladie en grand nombre et in fine mise en place d’une enquête « Bien-être au travail » pour traiter dans l’urgence le gros malaise. Ce sont donc les BIATOS qui ont le plus souffert. Le problème de la précarité est apparu au grand jour. Des collectifs spontanés de BIATOS et de vacataires ont été appuyés par les organisations syndicales pour arracher des mesures sociales et salariales. L’autre point noir est le fonctionnement démocratique de l’université : pilotage resserré, opaque et autoritaire des projets, conseils centraux réduits à de simples chambres d’enregistrement, mise en place de structures de conseil et de pilotage avec des extérieurs issus des milieux d’affaire et des entreprises… [**◗ ÉÉ : Certains effets de cette fusion sont-ils positifs ?*] P.M. : Il faut reconnaître qu’il y a quelques acquis. Mais chaque élément positif a son revers. Par exemple, les moyens en recherche ont augmenté pour les Sciences Humaines et Sociales, mais ce domaine sera exclu du périmètre de l’excellence. Je crains que la situation ne se retourne très vite. On a gagné un alignement vers le haut des conditions salariales pour les BIATOS, mais les conditions d’attribution des primes restent opaques. Il y a bien eu un décloisonnement avec des projets interdisciplinaires, mais le poids de l’ex-ULP en a limité les effets (les deux tiers de l’équipe des vice-présidents sont des ex-ULP). L’IDEX apportera des moyens, mais c’est une arme de restructuration massive avec des conséquences délétères. C’est la politique nationale qui est en cause… [**◗ ÉÉ : Quelles conséquences dans le SNESup à Strasbourg et pour les luttes ?*] P.M. : Les quatre sections du SNESup (des trois ex-universités et de l’IUFM) se sont regroupées dans un Conseil Syndical d’Etablissement, mais en maintenant les quatre sections. Vu le gigantisme de l’université et le nombre de dossiers à suivre, l’essentiel du travail se fait dans le cadre d’une intersyndicale avec les trois FSU (SNESup, SNCS, SNASUB), les deux CGT (SES et SNTRS), FO et SUD. L’intersyndicale “Agir ensemble pour une université démocratique” dispose d’une vingtaine d’élus et de représentants, ce qui nous permet de conduire les débats dans les conseils et de gagner quelques batailles. On mène la vie dure à la direction, même si on n’arrête pas le rouleau compresseur. Côté SNESup, le militantisme repose principalement sur l’engagement de quelques EE-PSO, mais trois ou quatre vraiment offensifs abattent plus de travail qu’une section qui ronronne. Nous manquons de juristes locaux pour nous seconder dans les recours en TA. Et bien sûr de militants engagés pour renforcer les troupes. Entretien réalisé par Claire Bornais.

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