Retraites : partie remise ?

Après la promulgation de la loi le 9 novembre, le temps des analyses et bilans est déjà venu car nous passons maintenant dans une nouvelle phase d’un mouvement social inédit à bien des égards.
Du point de vue du texte voté, c’est bien le projet initial du gouvernement et du MEDEF qui, maquillé de concessions mineures, est imposé aux salariés. Pour le coup, le pouvoir a gagné et les salariés, comme leurs organisations syndicales, ont perdu. Une nouvelle dégradation donc, dans le rapport salariés-patronat après celles sur les retraites de 1993 et 2003, un point de plus pour la politique sarkozienne de transformation libérale de la société française.
Pourtant, la bataille des retraites, car bataille il y a eu comme jamais sans doute depuis 1968, va marquer les rapports sociaux sur le long terme. Le mouvement social exceptionnel de ces dernières semaines a plutôt renforcé le sentiment de potentiels collectifs de résistance et d’exigences alternatives, loin de l’anéantissement recherché par le gouvernement qui s’est retrouvé très isolé.

Un mouvement inédit

Nul n’imaginait à la veille du 24 juin que l’appel à la grève lancé de façon unitaire aurait un tel écho à quelques jours des vacances d’été. Nul ne croyait (même si chacun l’espérait) qu’à la rentrée scolaire correspondrait une rentrée et une mobilisation sociales d’une telle ampleur.
Huit journées nationales de mobilisation en deux mois, des centaines de cortèges partout en France, des millions de salariés, de jeunes, de citoyens dans des manifestations de plus en plus massives.
Les actions de blocages par secteurs professionnels ou géographiques, les grèves reconductibles dans les transports publics (cheminots), dans le secteur de la pétrochimie et chez les territoriaux (principalement les éboueurs) ont fortement marqué la mobilisation.
C’est la mobilisation de la « base », le nombre toujours plus grand de manifestants, leur détermination affirmée qui ont amené l’intersyndicale à poursuivre et amplifier la mobilisation, à consolider l’unité.
Manifestations monstres partout, contacts et actions interprofessionnelles sur le terrain, solidarité intergénérationnelle des lycéens aux retraités, sondages en hausse continue….la lame de fond populaire était très forte !
Ayant le soutien massif de l’opinion, ce mouvement a montré des potentialités d’élargissement et de rebonds qui ont souvent surpris ainsi qu’une colère profondément installée contre la politique gouvernementale et le locataire de l’Elysée. Même la phase de reflux après les votes a été encore marquée par des journées de grande ampleur (28/10 et 6/11).
La montée en puissance puis l’accélération à partir du 12 octobre, entrant en connexion avec les secteurs en grève reconductibles, l’entrée même limitée des étudiants et lycéens dans la bataille ont permis ancrage en profondeur et élargissement.
Le pays a été en crise sociale et politique profonde mais le mouvement n’a pas réussi à gagner….

Nous avions estimé dès le départ, avec beaucoup d’autres, que pour gagner face au blocage gouvernemental, il fallait une réponse à hauteur d’une grève générale se donnant les moyens de paralyser l’activité économique.
On a vu la fébrilité du gouvernement et du MEDEF quand les blocages « économiques » se sont renforcés, la volonté de « casser » la mobilisation en utilisant la force. Face à un tel gouvernement, c’est bien un blocage du pays qui pouvait contraindre au recul.

Ça n’a pas suffi…

L’unité syndicale, forte exigence des salariés, qui s’est maintenue tout au long de la séquence, a fait la force du mouvement rythmé par les appels de l’intersyndicale nationale. Pour autant, l’alignement de celle-ci sur l’axe privilégié CFDT/CGT a montré aussi clairement ses limites : il n’a pas permis l’extension de la grève débouchant sur sa généralisation , les deux confédérations ne le voulant pas.
Il est clair pourtant, avec un réel travail préparatoire en amont, qu’au moment le plus fort, entre le 12 et le 19 octobre, quand tout le monde sentait que cela pouvait « basculer », un appel de l’intersyndicale à la généralisation des grèves pour faire céder le gouvernement aurait largement aider à implanter celles-ci sur le terrain.
Cette volonté était portée par des fédérations de la CGT. Elle était également partagée au sein de la FSU et de Solidaires, comme chez de nombreuses équipes syndicales de base y compris d’autres organisations. Et alors que l’attitude inflexible de Sarkozy fermant la porte à toute sortie négociée du mouvement et la force de la mobilisation ne laissaient d’autres choix à la CFDT que l’unité, on n’a pu que constater l’impuissance actuelle du syndicalisme de transformation sociale, incapable de peser de façon déterminante dans ce conflit, remettant ainsi au tout premier plan la question de son renforcement.

La FSU, dans le cadre de l’intersyndicale nationale, a eu un positionnement indiscutablement positif. Elle a largement participé aux mobilisations de rue, aux grèves lors des journées nationales avec une participation de plus de 80% des enseignants des écoles à au moins une journée de grève depuis la rentrée.
Les tentatives de reconduction à l’appel du SNUipp (et/ou de la FSU) dans près de la moitié des sections départementales, généralement à partir du 12 ou du 18 octobre, n’ont pas été suffisamment relayées au niveau national. Contrairement à 2003 où il y avait une claire impulsion nationale, elles n’ont pas entraîné une partie significative des personnels, généralement moins de 5% de collègues. Le volontarisme des équipes militantes n’aura pas suffit à mobiliser la profession.
La participation aux AG a été faible, un peu plus importante dans les 15 derniers jours avant les vacances, avec sans doute le sentiment qu’elles n’étaient pas déterminantes pour la suite du mouvement

Mais d’autres facteurs ont pesé lourdement dans cette absence de réussite.
Les restructurations du salariat (petites unités, précarité, sous syndicalisation…), le poids actuel des conséquences de la crise (en terme de garantie d’emplois, de pouvoir d’achat…) ont joué sur la difficulté à faire grève, notamment dans le privé mais aussi sans doute dans le public.
La croyance dans une partie du salariat en une absence de véritable alternative sur les financements et les déficits publics a dû jouer aussi. « Oui, cette réforme est injuste mais où y en a-t-il une autre ? »…
Mais l’élément sans doute le plus important a été le sentiment que pour gagner sur les retraites, il fallait faire chuter Sarkozy ! Une barre trop haute pour beaucoup. Cela a donc renforcé la nécessité des dynamiques interprofessionnelles nationales, le fait que personne ne voulait partir « sans les autres » et a fortement limité les possibilités d’extension aux autres secteurs.

Et maintenant ?

Le mouvement que nous avons vécu est exceptionnel à bien des égards. Il s’inscrit dans une séquence débutée avec la crise économique de 2008 qui a mis à jour les ressorts réels du système capitaliste et son injustice. Le rejet grandissant de la politique d’une droite aussi arrogante que brutale, éclaboussée par des scandales politico-financiers, n’a fait que croître. Derrière le dossier emblématique des retraites, ce sont bien des questions globales de projet de société, de partage des richesses, de droit de vivre, de travailler et de vieillir dignement qui sont posées. C’est en ce sens que le mouvement que nous connaissons à l’heure actuelle est politique et qu’il est difficile d’imaginer qu’il n’aura pas de suites. D’autant plus, que l’envie de se battre, de la lutte collective a été là et laissera des traces, dans un contexte de crise sociale, pour les suites nécessaires sur des questions sensibles (chômage, budget, sécu…) sur lesquelles nous devons travailler sans attendre.