Où en est-on de la loi Blanquer ?

Entre sa présentation au Conseil des ministres le 5 décembre 2018 et sa promulgation le 26 juillet 2019, sept mois et demi seulement se sont écoulés, le temps de la procédure accélérée engagée par le gouvernement. Où en est-on des différentes mesures ? Lesquelles ont été actées ? Retirées ? Les évolutions à la faveur de la navette parlementaire et de la forte mobilisation enseignante ont-elles permis des améliorations, ou au moins de limiter la casse ?
La loi Blanquer se présente ainsi : une soixantaine d’articles regroupés sous des intitulés orweliens, comme « l’évaluation au service de la communauté éducative » ou « simplifier le système éducatif ». Mais, disons-le d’emblée, la loi ne comporte qu’une seule mesure que l’on puisse apprécier positivement : le maintien d’un ajout du Sénat concernant la comptabilisation des élèves d’ULIS dans les effectifs. Rien ne pouvait sauver le texte initial, pas même les dispositions ayant l’air d’améliorations mais n’ayant de fonction que démagogique. En la matière, l’article le plus emblématique concerne l’obligation scolaire abaissée à 3 ans. Cette mesure a peu de portée réelle (98 % des enfants de 3 ans vont déjà à l’école), mais pour conséquence d’obliger le financement des maternelles privées. Coût pour les pouvoirs publics : 150 millions par an.

Fausse amélioration pour les AESH
D’autres mesures ajoutées à la faveur de la navette parlementaire ont cette même fonction cosmétique. Par exemple, celles visant le « renforcement de l’école inclusive » : les AESH ne seront plus recruté-es sur des contrats d’un an renouvelables 6 fois, mais de 3 ans renouvelables 2 fois. Un « progrès » sans doute jugé si grand par le pouvoir que le nombre des AESH sera réduit grâce aux économies d’échelle que permettront les Pôles Inclusifs d’Accompagnement Localisé. Rien n’est prévu pour renforcer la formation professionnelle de ces personnels ou pour augmenter leur temps de travail (celles et ceux-ci étant majoritairement à temps partiel) et donc leur salaire. Quant à « l’obligation de formation entre 16 et 18 ans », ce n’est pas une obligation scolaire, puisqu’elle est réputée remplie si le-la jeune occupe un emploi. Par ailleurs, confiée aux missions locales au budget amputé, cette obligation est purement formelle.

Le moins pire est l’ennemi du bien
Pour Blanquer, il est heureux que des mesures calamiteuses aient été introduites par les deux chambres puis retirées ensuite pour donner l’impression que la loi est moins pire que ce qu’elle aurait pu être. Pensons aux Établissements Publics des Savoirs Fondamentaux : introduits en commission par LREM, ils ont cristallisé l’opposition des enseignant-es et des parents d’élèves mobilisé-es jusqu’à ce que les sénateurs-trices la suppriment à l’unanimité en guise de concession. On peut également citer un amendement ministériel obligeant, dans le 2nd degré, les Conseils d’Administration à se défaire de la plupart de leurs compétences (budget, emploi de la DHG, expérimentation pédagogique…) au profit de la commission permanente.
Le Sénat n’est pas en reste, inscrivant lui-aussi dans la loi des dispositions particulièrement réactionnaires, retirées lors du compromis final entre les deux chambres : suppression des allocations familiales pour les parents d’élèves « absentéistes », interdiction du port de signes religieux pour les parents accompagnant les sorties scolaires, directeur-trices d’école érigé-es en hiérarques locaux, dérogations diverses aux règles d’affectation des enseignant-es, etc.
Ne soyons pas naïfs, la suppression de ces articles est une bonne chose, mais certains menacent de faire leur réapparition (les EPSF via deux rapports sur l’école du socle publiés cet été par le ministère) ou ont été réintroduits ailleurs (atteinte à l’expression démocratique dans les Conseils d’administration, dans la loi de transformation de la Fonction Publique promulguée en août). Le bilan est donc bien maigre, d’autant que de nombreuses dispositions sont aussi mauvaises voire dangereuses qu’initialement, quand d’autres ont été aggravées.

Dans le viseur du sniper
La loi, bien à l’inverse de la confiance, titre méprisant à l’égard de la communauté éducative et destiné uniquement à l’opinion publique, regorge de ressources pour mettre au pas les enseignant-es. La première série de mesures consiste à les museler. Que l’on en juge avec l’article 1 : l’étude d’impact du projet de loi1 éclaire singulièrement cet article qui peut avoir l’air de ne rappeler que des grands principes de bon aloi. Les dispositions qu’il contient pourront être invoquées « lorsque des personnels de la communauté éducative chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et de manière générale l’institution scolaire. ». La commission de l’Assemblée avait tenté d’introduire une référence à la loi de 1983 qui garantit la liberté d’opinion aux fonctionnaires, mais le Sénat l’a évincée. Pour ne pas s’encombrer des représentant-es des personnels, un article permettant de réformer par ordonnance la composition des Conseils de l’Éducation Nationale est présent depuis la version initiale du texte. En effet, selon Blanquer, les CAEN et CDEN sont des assemblées « fastidieuses où on cultive les jeux de rôle ».
Mais museler les enseignant-es n’est pas encore assez : il faut également les déqualifier. Pour ce faire, quoi de mieux que de s’attaquer à la formation ? Les Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation sont remplacées par des Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l’Éducation. Quelle différence ? Dans les INSPE, les contenus et l’organisation de la formation sont décidés par l’employeur donc le ministre, et non plus par l’Université. Pour cela et pour commencer, la personne en charge de la direction doit être nommée par le ministre. Les inspecteurs-trices, chef-fes d’établissement, et même des « professionnels issus des milieux économiques », font leur entrée dans les équipes pédagogiques. Quant au « plus beau dispositif » de cette loi, dixit le ministre, il instaure les contrats de pré-professionnalisation pour les AED, invité-es à prendre progressivement des classes en charge jusqu’à servir de remplaçant-es. Cette entrée dans le métier par la précarité placera ces étudiant-es face à trois urgences contradictoires : préparer et faire la classe, le concours et le master. La formation continue, quant à elle, est rendue obligatoire par un amendement du Sénat, qui avait également prévu qu’elle se déroulerait préférentiellement en dehors du temps scolaire. Cette dernière disposition retirée du compromis final a été imposée ensuite par le biais d’un décret ministériel. Le remplacement du Cnesco par un Conseil d’Évaluation de l’École sous dépendance de la majorité au pouvoir se veut également un instrument de cette mise au pas, puisque le CEE aura un pouvoir de préconisation, que nos inspectrices et inspecteurs ne se priveront pas d’utiliser pour imposer « les bonnes méthodes du ministère », limitant de fait notre liberté pédagogique.

Une loi clairement à droite
En bon néo-libéral, c’est aussi la mise en concurrence généralisée que vise Blanquer : concurrence public/privé, en obligeant les mairies à financer les écoles maternelles privées contre compensation financière ; concurrence entre établissements et entre enseignant-es en élargissant les dispositions relatives à l’expérimentation incluses dans la loi Fillon de 2005 à de nouveaux domaines, dont les définitions hebdomadaires de service ; concurrence entre les élèves et les familles, pour intégrer les Établissements Publics Locaux d’Enseignement International. Ces structures, regroupant école, collège et lycée, sélectionnent les élèves sur la base de leur niveau dans une langue étrangère. Elles pourront largement déroger aux programmes en vigueur et bénéficier de fonds privés.
Le ministre entretenant également une grande proximité idéologique avec la droite et l’extrême droite, sa loi comporte une série de mesures ciblant les élèves racisé-es issu-es des milieux populaires, et systématisant l’école à deux vitesses. Perçu-es comme des menaces, il faudrait protéger l’institution de ces élèves : contre les pauvres « mauvais payeurs », l’article 58, présent dès la version initiale de la loi, prévoit que les frais de cantine puissent être déduits des bourses. Pour imposer « l’emblème national de la République », les drapeaux français et européen, ainsi que les paroles de La Marseillaise, seront affichés dans toutes les classes. Nous avons échappé de peu au chant quotidien de l’hymne national et aux uniformes, malgré le soutien de Blanquer à ces dispositions proposées par la droite.
En cette rentrée, le ministre (qui avait déclaré « il n’y aura pas de loi Blanquer, j’en serai fier » à son arrivée en mai 2017) a beau jouer l’apaisement, il est évident qu’il s’agit d’une posture médiatique destinée à regagner le terrain perdu à l’occasion des mobilisations de l’an dernier. Les raisons de se (re)mobiliser sont là : dans la loi Blanquer, mais aussi dans les lycées, où la réforme se met en place à marche forcée, en éducation prioritaire, prochain chantier, et partout ailleurs en raison des effectifs, des salaires et de la gestion managériale.

Mathieu Frachon, Marie Haye et Céline Sierra