L’irruption des possibles

Lourdes de la force d’inertie et de la division syndicales, lourdes
aussi de combats sans victoire, face à un libéralisme qui sévit depuis
des décennies, les équipes militantes étaient à la peine. On pensait
que la population était découragée : les salarié-es, résigné-es,
étaient sidéré-es par un pouvoir indétrônable aux logiques
capitalistes indépassables.

Mais un mouvement social a tout balayé : une partie de la population
s’est soulevée et le gouvernement a marqué le pas. En cela, la
séquence est déjà historique.

Évidemment, les Gilets jaunes n’ont pas tout inventé : ils ont repris
des revendications que nous, syndicalistes, portions depuis longtemps,
car nous partageons la nécessité de justice sociale et d’intérêt
commun. Évidemment, nous ne nous retrouvons pas forcément dans tous
les aspects de ce mouvement, mais là n’est pas la question. Il est
remarquable car il est inédit : ancré profondément dans les
territoires, il s’inscrit dans la durée, il renouvelle les modalités
d’actions (de l’occupation jour et nuit de ronds-points aux
manifestations le samedi, sans grève), il concerne des populations
jusque-là invisibilisées, et pour certain-es, il s’agit de leur
première « entrée en protestation ». C’est un mouvement inédit aussi
par sa force de diffusion. L’utilisation efficace des réseaux sociaux
permet de s’organiser mais aussi de diffuser largement, au-delà des
frontières, un message simple et percutant : le gilet de survie pour
les populations qu’on ne voit pas, qui ne comptent pas, anonymées et
rassemblées derrière cet uniforme d’égalité.

La force de diffusion, c’est aussi la contagion : la détermination des
GJ transmet un regain d’énergie, le mouvement social essaime. Petit à
petit, les mobilisations se succèdent : certaines sectorielles,
syndicales ou non (comme les Stylos rouges), des collectifs ou autres
coordinations voient le jour. Les lycéen-nes aussi, dans la rue en
décembre, et qui sont violemment réprimé-es par la police : humiliée,
tabassée, cette jeunesse n’oubliera pas la façon dont ce pouvoir a
cherché à faire taire la contestation.

Toute la séquence sociale est ainsi marquée par la répression
inqualifiable dont elle fait l’objet : ce gouvernement rejeté et ce
président haï n’ont plus que la répression pour gouverner
: blessé-es graves, mutilé-es, condamné-es, la violence d’État
aura marqué le quinquennat Macron, sans réussir à bâillonner la
contestation.

Une contestation qui dure, mais ne s’étend pas suffisamment. Le
gouvernement vacille, gagner le bras de fer et imposer une autre ligne
politique serait donc possible ? Peut-être, s’il s’agissait d’un élan
général. Mais la généralisation de la contestation nécessite
l’implication des organisations syndicales dans le mouvement. Or elles
n’en sont pas : elles observent, scrutent, hésitent, analysent, mais
n’en sont pas réellement. Qu’attendent-elles ? Maintenant, le
mouvement ouvrier organisé a la responsabilité de s’adresser au
mouvement des GJ, de faire converger toutes les forces pour gagner.

Mais les syndicats sont pour l’instant absents. Ce mouvement social
populaire a déjà permis des reculs du gouvernement, mais cela s’est
fait « sans eux ». Si la bascule ne se fait pas et que la
généralisation du mouvement ne se réalise pas, il sera dit que c’est «
à cause d’eux », du moins faute d’avoir essayé.

Les syndicats jouent gros, ils risquent de laisser passer l’occasion
d’une victoire sociale et de faire la démonstration de leur
inefficacité. Se penseraient-ils immortels ?

Véronique Ponvert

le 25 janvier 2019