Adrien Martinez: sortir le syndicalisme de la sidération et entrer avec les Gilets Jaunes dans l’action

Quand le réel surgit, ça bouscule. Le gouvernement. La société. Et nous.

Car c’est bien à un surgissement de réel auquel nous assistons depuis deux mois, comme on a pu déjà le voir lors de la première mobilisation contre la loi Travail, ses « nuit debout » et ses « on vaut mieux que ça ».

Oui. Depuis maintenant deux mois, le mouvement des gilets jaunes a montré notre société telle qu’elle est. Et il a mis en mots ce réel, en 9 actes, bientôt 10, 11, 12, affinant son propos en des dizaines de milliers de discussions sur les rond-points, sur les réseaux sociaux, maintenant dans des AG… Il a résisté à la volonté d’un gouvernement et d’une part non négligeable des médias de le requalifier, soit en saillie poujadiste et d’extrême-droite, soit en rassemblement antiécologique, soit en ramassis de casseurs. Et ce réel qu’il raconte, c’est celui d’une société structurellement marquée par l’injustice sociale renforcée par l’injustice fiscale, et par le déni de démocratie, de justice et de respect du bien commun.
Ainsi, les gilets jaunes ont mis le pouvoir à nu, participant de son discrédit déjà entamé les mois précédents.

Macron est le président des riches, c’est aujourd’hui entendu pour une grande majorité de la population. Nous en faisions l’analyse dès ses premiers mois d’exercice du pouvoir : pour rappel et exemple, les 10 % les plus riches ont capté 46 % des gains des mesures fiscales de l’année passée. En cumulant diminution des impôts et baisse des prestations sociales, on a assisté à une redistribution à l’envers. Et le plan austéritaire programmé pour le quinquennat conduit à une réduction de la sphère du public.

Macron mène une politique contre les intérêts du plus grand nombre, politique qui, quoiqu’il en pense, n’a pas été validée par une majorité de la population et connait de plus en plus d’adversaires. Il refuse toute opposition, notamment syndicale. Et aujourd’hui, il tire d’ors et déjà dans sa lettre aux Français les conclusions du grand débat, car rien ne pourra infléchir ses choix fondamentaux.

Nous, syndicalistes, faisons le constat du caractère inégalitaire de notre société aggravé par des choix politiques, faits au bénéfice exclusif des plus riches.

Pourtant, le syndicalisme est depuis deux mois resté en état de sidération. Sidération devant un mouvement qu’il n’a pas vu venir. Devant des formes d’action nouvelles ou qu’il a ces dernières années abandonnées. Devant une politisation accélérée de la population à laquelle il n’a pas ou pas assez participé.

Il nous faut sortir de notre état de sidération. Entrer dans l’action.

Mais nous ne pouvons pas le faire comme si la situation n’avait pas maturé depuis deux mois. Nous ne pouvons pas considérer que, parce que nous n’étions pas de façon claire et assumée avec les gens mobilisés tous les samedi de novembre, décembre et janvier, nous partons de zéro. Car ce n’est le cas. Et s’il en fallait une preuve dans notre champ de syndicalisation, l’émergence du mouvement des stylos rouges montre que des prises de conscience se sont réalisées largement, comme c’est toujours le cas dans des contextes de mobilisation.

Il nous faut rentrer au milieu de la situation. Participer d’un devenir large et massif de la mobilisation en cours contre l’injustice sociale.

Cela implique de prendre officiellement position en faveur de la mobilisation des gilets jaunes, d’appeler aux manifestations des samedis, de mener localement les discussions pour permettre la jonction entre ce mouvement et les forces syndicales. Cela implique aussi de lancer un appel solennel à la profession, de proposer des assemblées générales dans tous les départements, de mettre en débat les modes d’action dont la grève reconductible, afin de s’engager à mener la lutte pour des augmentations générales de salaire, pour la défense et l’extension des services publics, et contre toutes les injustices, qui, dans l’éducation comme ailleurs, sont devenues insupportables pour beaucoup.