Budget 2019 : austérité accrue – interview de Philippe Légé

ÉÉ : Peut-on faire le bilan du budget précédent ?

PL : Le budget 2018 était caractérisé par une baisse de l’impôt sur
les sociétés (IS) pour les PME et surtout par une forte baisse des
impôts pour les ménages les plus riches. Cela devait, selon le
gouvernement, favoriser l’investissement et la croissance. La
suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) et la création du
prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital (PFU)
représentaient une perte de 5 milliards d’euros pour les finances
publiques. Afin de respecter les contraintes européennes, ces cadeaux
ont été compensés par une hausse de la fiscalité indirecte sur le
tabac et les carburants et par de fortes ponctions sur les
retraité-es. Résultat : le pouvoir d’achat a reculé au premier
trimestre 2018 (- 0,5 %) et la croissance française a ralenti au
premier semestre 2018. La croissance 2018 prévue initialement à 2 % ne
sera finalement que de 1,7 %. Et les créations d’emploi ont nettement
ralenti, passant de 349 000 en 2017 à 120 000 en 2018.

ÉÉ : Le gouvernement tient-il compte de cet échec ?

PL : Non. Le budget 2019 est dans la droite ligne de celui de 2018. Il
est marqué par la poursuite de la baisse de l’IS (dont le taux sera de
31 % et non plus 33,3 %) et par la transformation du Crédit d’impôt
pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en une réduction de
cotisations sociales patronales. De plus, la bascule des cotisations
salariés/CSG jouera pleinement en 2019, ce qui va grever le pouvoir
d’achat des retraité-es et saper l’autonomie de l’UNEDIC. Les effets
cumulés des réformes budgétaires 2018-2019 sont violemment
inégalitaires: les 20 % les plus pauvres voient leur pouvoir d’achat
diminuer de 1 % (pour une personne gagnant 800 euros par mois, la
perte est de 100 euros par an). La plupart ne bénéficient pas de la
baisse de la taxe d’habitation, qu’ils ne payaient pas. De plus, le
gouvernement poursuit en 2019 la baisse du nombre des contrats aidés,
qui est déjà passée de 320 000 à 100 000 depuis l’élection de
Macron. Les quartiers pauvres et les associations vont en
souffrir. L’austérité budgétaire s’intensifie puisque le taux de
croissance des dépenses publiques (hors intérêt) passe de 1,7 % en
2017 à 0,9 % en 2018 et 0,5 % en 2019. Mais le gouvernement ne
parviendra probablement pas à tenir son objectif de 120000 postes de
fonctionnaires supprimés d’ici 2022, comme nous l’expliquons dans le
livre Macron, un mauvais tournant.

ÉÉ : Pouvez-vous donner des exemples de mesures nouvelles ?

PL: En septembre 2019 sera mise en place une exonération des
cotisations sociales salariées sur les heures supplémentaires et
complémentaires. Les travailleur-euses en emploi seront incité-es à
travailler davantage alors même qu’il y a 3,5 millions de
demandeur-euses d’emploi sans aucune activité, 1,5 million d’actif-ves
découragé-es et 1,6 million de personnes sous-employées. C’est
absurde : cela revient à subventionner des destructions d’emplois pour
des raisons purement démagogiques. Sarkozy avait fait de même en
pleine crise afin de faire croire qu’il soutenait le pouvoir
d’achat. Le résultat fut catastrophique. Mais ce gouvernement innove :
il ne compensera pas intégralement par des taxes affectées la perte de
recettes de cotisations sur les heures supplémentaires (et la
suppression du « forfait social »). Par conséquent, la Sécurité
sociale, un organisme paritaire, financera pour partie des décisions
gouvernementales. Il est donc clair qu’au moment où la Sécurité
sociale retrouve l’équilibre, la priorité du pouvoir en place est de
créer les conditions des futures difficultés de financement… qui
justifieront de nouvelles restrictions au niveau des prestations
sociales. La suppression des cotisations sociales se répercutera
inévitablement sur les dépenses sociales.

ÉÉ : Mais le gouvernement ne crée-t-il pas un panier de soins « 100
% santé » pour l’optique, l’audiologie et les soins dentaires? Et ne
supprime-t-il pas la tarification à l’activité (T2A) dans les hôpitaux
?

PL : Aucune ligne de financement de ce panier n’apparaît dans le
tableau de l’évolution de l’ONDAM (Objectif national de dépenses
d’assurance maladie). La prise en charge reposera donc sur les
assurances complémentaires, ce qui va entraîner une forte hausse des
primes que devront payer les ménages. Et le PLFSS ne remet pas
vraiment en cause la T2A : il ne prévoit la création de financement au
forfait que pour deux pathologies chroniques. Par ailleurs, les
dotations en faveur des établissements médico-sociaux ralentissent,
leur hausse passant de 2,6 % en 2018 à 2,2 % en 2019.

Propos recueillis par Denis Thomas