Chic c’est la rentrée !

La rentrée littéraire, comme à l’habitude, se remplit de romans,
d’essais, de BD et de polars pourtant, paraîtil, un peu moins
nombreux que l’an dernier. Plus de 530 romans tout de même. Et on dit
le livre en recul…

Personne ne peut être exhaustif. Les critères de choix ne sont pas
toujours évidents. Il faudrait tout lire… Comme ce n’est humainement
pas possible, nous nous contenterons d’un roman, d’une BD et d’un
polar.

Histoire de liberté

Andrée A. Michaud est classée dans la littérature noire par ses
intrigues qui font intervenir une enquête policière. Dans Rivière
tremblante, c’est encore le cas. La scène se passe dans un petit
village du Canada, « Rivière-aux-Trembles ». Un enfant disparaît
avalé par la rivière et les bois sous les yeux de son « amoureuse »
Marnie (la relation avec Hitchcock, Pas de printemps pour Marnie, est
expliquée). Le village n’en revient pas et accuse la petite fille
ostracisée. Dans une autre ville, une petite fille, Billie (à cause de
Billie Holiday bien sûr) disparaît en rentrant de l’école. Qu’est-il
arrivé ? Comment vivre avec ce sentiment de culpabilité qui ronge
toute velléité de vie, installe la mort comme seule compagne ? Bill,
le père, se retrouve, par une succession de hasards, dans ce même
village dans lequel est revenue Marnie à la mort de son père. Ils
seront réunis dans une enquête policière à charge lors de la mort d’un
autre enfant des années plus tard.

L’enquête en elle-même n’est pas le fil conducteur (elle se résout par
le témoignage d’un autre enfant). C’est plutôt l’affrontement des
personnages pris dans les mailles du filet des souvenirs, des
rancœurs, de la recherche de responsables pour exorciser le passé, lui
faire rendre gorge. Peine perdue. Il y faudra la prise de conscience
que la mort fait partie de la liberté, du risque de cette liberté. Un
roman qui interroge notre manière de vivre. L’impératif de la sécurité
peut être un enfermement, une mort avant la mort. .

Histoire d’asservissement

En 1905, un scandale au Congo arrive aux oreilles de l’Assemblée
Nationale. Jaurès propose une commission d’enquête pour montrer au
monde ébahi – et au Congo belge en particulier – que la colonisation
française est un bienfait civilisateur pour les populations. Il ne
sait pas, Jaurès, que la surexploitation de Congolais fait partie du
contrat. Ils sont quasi réduits en esclavage et les femmes servent
d’otages parquées dans des camps insalubres. Femmes et enfants meurent
en grand nombre sans émouvoir l’administration, et encore moins les
capitalistes à la recherche de surprofit.

Pour mener cette enquête, Savorgnan de Brazza est sollicité. Il y
laissera la vie et le rapport – honnête – sera enterré. Quelques
lampistes donneront leur nom à « l’affaire », Gaud et Toqué en
l’occurrence, et seront condamnés pour permettre à tous les autres de
continuer à piller ces territoires. Congo 1905, le Rapport Brazza,
écrit et dessiné par Vincent Bailly et Tristan Thil relatent à la fois
la réalité du colonialisme (un système décrit par Brazza qui prend
conscience de la réalité), celle de la France de 1905 et « le premier
secret d’État de la Françafrique » comme l’indique le sous-titre.

Histoire de barbarie

« Meurtrier un jour, meurtrier toujours » ? C’est un peu la thèse de
Bruno DeSilva, dans Dura Lex. Si elle se mâtine de folie meurtrière
due à l’abus de substances illicites et d’un complexe de supériorité,
il est facile de penser à Trump. D’autant que le dénommé Kwame Diggs –
inspiré par deux meurtriers réels selon l’auteur – a commencé à tuer
dès l’âge de 14 ans. Il doit sortir de prison une dizaine d’années
après les faits. Mulligan (le héros récurrent de l’auteur, journaliste
d’investigation comme lui) et ses compagnes et compagnons, craignant
pour leurs vies, essaient de convaincre la justice de le laisser
derrière les barreaux, au détriment de l’éthique. Ils enquêtent pour
trouver de justes raisons à sa mise en détention. Une plongée dans les
méandres de la justice américaine et dans les États-Unis d’au-
jourd’hui, gangrenés par une violence qui vient d’en haut et qui ne
sait plus conjuguer la démocratie. Que reste-t-il lorsque même le
désespoir est impossible ? Kwame sait utiliser des citations de
Malcom X et de Martin Luther King, en dehors de leur contexte, pour
justifier ses propres actions visant, comme il se doit, d’abord les
femmes. Le « fake » peut se construire avec du vrai, une mise en garde
de journaliste.

Nicolas Béniès

LIVRES SOUS REVUE :
– Rivière tremblante, Andrée A. Michaud, Rivages/Noir, 21 euros ;
– Congo 1905, le rapport Brazza, le premier scandale de la Françafrique, Vincent Bailly & Tristan Thil, Futuropolis, 20 euros ;
– Dura Lex, Bruce DeSilva, traduit par Laure Manceau, actes noirs/Actes Sud, 23 euros.