Invisibles détenues

À l’heure d’une surpopulation carcérale record (1 er août 2018, 70 710
personnes incarcérées, 53 prisons en surpopulation extrême, 1 667
matelas au sol, source OIP), la question de la place des femmes en
détention et de la spécificité de leur condition liée à leur sexe
restent encore des impensés tant sociaux qu’institutionnels.

Une note de la direction de la maison d’arrêt de Rennes sur les
tenues vestimentaires des détenues à l’été 2017 est significative de
la persistance des stéréotypes : « Les vêtements laissant paraître
des parties du corps dénudées doivent être interdits au-delà de la
cellule. Il en est ainsi des vêtements suivants : short court (en deçà
du genou), débardeur (laissant paraître la poitrine et les bras nus),
…». Au 1 er janvier 2018, 2 975 femmes étaient détenues sur un
total de 68 974 personnes incarcérées, soit 3,7 % des détenu-es.

Un centre pénitentiaire (Rennes) et une maison d’arrêt (Versailles)
réservés aux femmes existent sur le territoire national. Seulement 56
quartiers pour femmes sont intégrés aux 184 établissements péniten-
tiaires restant et seuls six établissements en France peuvent
accueillir des femmes condamnées à de longues peines dont 5 dans le
Nord de la France.

Si la surpopulation carcérale féminine n’est pas effective en
chiffrage « brut », certains quartiers peuvent frôler les 200 % de
taux d’occupation. Cela entretient l’éloignement des détenues de
leur famille et les plonge dans un isolement familial parfois
profond ; les visites sont plus coûteuses et plus difficiles à
effectuer. Les 36 Unités de Vie Familiale ne sont pas toutes dans des
établissements accueillant des femmes.

« Aucun homme ne vient les voir, alors que les mecs détenus ont
souvent une femme qui les attend. Les détenues, elles ne sont
soutenues que par leurs mères et leurs sœurs. Elles sont encore plus
montrées du doigt pour leur affaire, à cause de l’image de la femme.
Alors qu’en fait, elles ont très souvent été victimes de violence à la
base », Sylvie, témoignage recueilli par l’OIP.

L’obligation faite de la surveillance des femmes par du personnel
exclusivement féminin limite notamment leur circulation dans les
établissements pour les promenades, les visites, l’accès à des
activités et des projets tels que les reprises d’études. Si les
activités mixtes sont encouragées dans les textes, elles sont plus
que limitées. Les femmes se retrouvent dans un double enfermement,
celui de la prison mais aussi celui de la limitation de leur activité
intracarcérale.

« Le corps se transforme en prison. Presque toutes les femmes détenues
affirment qu’elles doivent lutter contre la prise de poids. »
(I. Rome) Les « effets maladifs de la prison » tels que les troubles
alimentaires ou les dysfonctionnements hormonaux sont spécifiques aux
détenues : « Certaines d’entre elles ne sont plus réglées, d’autres
souffrent de pertes de sang en permanence. » (I. Rome) Quant aux
protections hygiéniques (déjà onéreuses « en dehors »), elles
deviennent un luxe dans les murs. Si les femmes conservent générale-
ment leur autorité parentale, son exercice,

notamment à cause de l’éloignement géographique est limité. Pour
60 accouchements par an en prison, 29 établissements seulement ont
des nurseries, ce qui conduit à des transferts qui éloignent encore du
cercle familial et l’obligation de 15 m 2 pour les cellules
mères-enfants n’est pas systématiquement respectée. La contrôleure
générale des prisons signifiait en 2016 : « il y a un mois, une
femme a accouché en présence d’une surveillante au motif que la salle
n’était pas suffisamment sécurisée parce qu’elle avait une fenêtre ».

Si tout-e mineur-e incarcéré-e ne doit pas être mélangé-e avec des
détenu-es majeur-es, cette condition n’est pas respecté pour les
mineures. Par manque de places d’accueil, elles sont souvent en
quartiers pour femmes et l’obligation de cellule individuelle pour les
mineur-es crée des tensions avec les détenues majeures dont le
traitement est dégradé.

Dans son rapport de 2016, Adeline Hazan préconisait l’introduction
d’une forme de mixité pour permettre aux femmes d’accéder à des
activités plus nombreuses, sans effet.

La condition des femmes détenues continue aujourd’hui de se dégrader
dangereusement.

« En prison, on oublie jamais qu’on est une femme .» (I. Rome).

INGRID DARROMAN