L’unité syndicale en débat

La question unitaire fait partie des « gènes » de la FSU, depuis sa
création en 1994. Son nom, ses statuts, ses textes de congrès, ses
pratiques passées montrent toute l’importance qu’elle accorde à ce pan
de son orientation. Pourtant, notamment depuis quelques années,
l’unité syndicale, la façon de la mettre en œuvre, sont au cœur de ses
débats internes.

Lors de l’écriture des textes de congrès FSU (le fameux « thème 4
»…), il est de tradition, et à juste raison, de distinguer en
matière d’unité, ce qui relève de « l’unité d’action » pour et dans
les mobilisations, et une unité plus « structurelle » (avec une
organisation syndicale commune à construire).

Le syndicalisme français est divisé en termes d’organisations (au
moins sept à vocation interprofessionnelle et confé- dérale, la FSU à
vocation Fonction publique…) mais surtout, il est traversé par deux
grandes orientations difficile- ment conciliables : un syndicalisme
assez fidèle à ses origines, de « transformation sociale » (qui situe
sa démarche syndicale dans une optique de sortie des règles du
capitalisme, vers une autre société plus éga- litaire, plus juste
socialement, avec une tout autre répartition des richesses
existantes), et un syndicalisme dit « d’accompagnement» du
fonctionnement capitaliste de la société (qui cherche à améliorer les
choses « à la marge », celle-ci étant très faible à l’heure du néo
libéralisme triom- phant). Jusqu’ici, on trouve la CGT, Soli- daires
et la FSU parmi les premiers, tenants d’un syndicalisme qui sait qu’il
doit instaurer des rapports de force par la mobilisation. Parmi les
seconds, on trouve la CFDT, l’UNSA, la CFTC, qui pensent d’abord «
négociation ». Dans son histoire, FO a plutôt cheminé des seconds vers
les premiers.

Comme l’a dit le texte adopté par le dernier congrès FSU, s’il n’y a
pas deux « camps » figés :

« Les convergences entre CFDT et UNSA s’appuient sur une orientation
syn- dicale d’accompagnement des « réformes » sans remises en cause de
leur caractère libéral. Elles justifient ainsi leur non engagement
dans l’action avec le syndi- calisme de transformation sociale. »

Même si CFDT et UNSA peuvent ne pas être d’accord en tout point avec
la « méthode Macron », elles en partagent largement le fond, pensant
qu’il n’y a pas d’alternative possible au capitalisme.

Ce qui sépare les deux orientations en présence, ce n’est pas une
question de degré dans la radicalité des formes d’action, c’est une
question stratégique de fond : combattre ou accompagner le libéra-
lisme. De ce point de vue, la FSU ne saurait être dans un entre-deux,
elle a toujours été clairement sur une orientation de transformation
sociale et non d’accom- pagnement. Même si elle doit œuvrer à l’unité
la plus large, elle ne se situe pas « à mi-chemin » des uns et des
autres. Elle est résolument du côté de la lutte et de la
transformation sociale.

Il est clair qu’une coexistence durable dans un même cadre syndical
est impossible entre ces deux orientations, tant les analyses, les
revendications et les pratiques syndicales sont différentes. Pour
autant, incarnées par leurs différents syndicats, peuvent-elles
cheminer ensemble à l’occasion d’une mobilisation ?

Ce n’est pas facile, mais pas impossible, car comme le libéralisme
balaye tout, il ne laisse parfois pas d’autre choix au syndicalisme
d’accompagnement que de s’opposer aussi (plus facile parfois sur des
questions « sociétales »)… Il est même nécessaire de chercher à
rassembler toutes les forces pour donner un signal fort de
mobilisation, cela peut être un stimulant décisif pour entraîner une
majorité de salarié-es dans l’action. L’aspiration à l’unité est
forte chez ceux-ci et il est légitime de chercher à y répondre. Cela
ne signifie nullement que les désaccords d’orientation ont disparu,
ils seront même présents tout au long du processus de mobilisation
avec une volonté d’aller au compromis le plus « bas » et le plus
rapidement possible pour le syndicalisme d’accompagnement. Mais le
fait d’avoir démarré ensemble la mobilisation sur une revendication
juste (souvent un refus) est une contrainte dont celui-ci peinera à
s’extirper aux yeux des salarié-es en action. C’est le syndicalisme de
transformation sociale, le plus souvent à l’initiative, qui devrait en
tirer bénéfice (le sentiment est plus compliqué si la lutte se termine
par une grosse défaite…). L’unité syndicale la plus large dans
l’action n’est certes pas une précondition à celle-ci (il est
nécessaire que le syndicalisme de transformation sociale prenne ses
responsabilités même en cas de refus du syndicalisme d’accom-
pagnement…) mais elle peut lui être sacrément utile. C’est la raison
pour laquelle il est légitime que le syndicalisme de lutte cherche,
pour être un levier en direction des salarié-es, à agir ensemble tout
en proposant à tous les syndicats une participation commune à
l’action.

Rassembler le syndicalisme de transformation sociale

L’année scolaire écoulée n’a pas révélé de « vérité absolue » entre
une « unité large » et une unité plus réduite (au syndicalisme de
transformation sociale…). La grève FP du 10 octobre était appelée
par tout le monde sur les salaires, elle fut une réussite mais sans
plus (et surtout sans faire bouger le gouvernement !). Celle du 22
mars (sans CFDT et UNSA) fut d’un cru légèrement supérieur, mais sans
pour autant plus de réussite en termes de résultats. Celle du 22 mai
(à nouveau appelée par tout le monde) fut plus faible. On a vu que
tous les syndicats étaient impliqués dans la grève particulière de la
SNCF, avec un fort taux de grévistes au départ, mais que l’unité s’est
effilochée au bout de deux mois de lutte (avec des désac- cords sur
les objectifs revendicatifs et les formes de lutte). Au plan
interprofessionnel, après les mobilisations sur la loi El Khomri avec
un spectre syndical limité au syndicalisme de lutte (la CFDT appuyant
la loi), la petite lutte contre les ordonnances Macron a suivi la même
voie avec un syndicalisme interprofessionnel divisé (la CFDT et l’UNSA
limitant leurs critiques à l’insuffisance de leur association au «
dialogue social »). À ce niveau, la seule unité « totale » date de la
bagarre (perdue) sur les retraites en… 2010 !

Le succès d’une initiative d’action, quel que soit son degré d’unité,
dépend avant tout de la perception qu’ont les salarié-es des enjeux de
la bagarre : nature de l’attaque, rapport de force dans la société
(idéologique, politique, économique…), attitude du pouvoir, hauteur
du sentiment d’exaspération, détermination des syndicats, état de la
force collective de « lancement »…C’est en partant de ces paramètres
que les salarié-es se lancent, en se saisissant de l’instrument mis
entre leurs mains par les syndicats, quel que soit leur nombre.

Notre congrès du Mans avait dit « la nécessité de réunir les
conditions d’un rassemblement du syndicalisme de transformation
sociale ». Cette unité avait réussi à exister durant ces dernières
années et elle avait été souvent un point d’appui pour une unité plus
large et des mobilisations construites ensemble (faut-il rappeler le
22 mars ?). Force est de constater qu’aujourd’hui, elle a du mal à
exister et la FSU n’est pas exempte de responsabilités là-dessus
(relativisant souvent l’intérêt d’une unité qui ne soit
totale…). L’attitude de la CGT de prendre les décisions avant
d’échanger avec ses partenaires potentiels n’aide pas non plus. Ni
unité la plus large, ni même unité plus « restreinte » du syndicalisme
de transformation sociale. Et ce alors que le gouvernement multiplie
les offensives pour remettre en cause le statut des fonctionnaires
comme jamais cela n’avait été le cas auparavant !

La FSU doit tenir bon sur une orientation syndicale qui ne cède rien
aux projets de destruction des conquis sociaux. L’enjeu est de
(re)gagner l’hégémonie idéologique dans le monde du travail face à un
libéralisme qui a brouillé les repères (le « ni gauche, ni droite »
cher à Macron).

Nous devons renforcer les synergies avec la CGT et Solidaires car ce
sont les syndicats avec lesquels nous partageons une orientation de
fond contre les politiques libérales. Ce qui ne veut pas dire être
acritiques entre partenaires, nous avons avec eux des débats sur les
mandats, sur l’action, sur la façon de mener la lutte (l’unité
notamment…), qui sont des débats fraternels précisément parce que
notre horizon est commun.

Cette orientation devrait être celle de notre fédération, elle fait
partie des mandats de notre dernier congrès du Mans en 2016 concernant
le travail que nous avons à faire pour participer au rassemblement du
syndicalisme de transformation sociale, mandats que nous avons toutes
et tous votés.

Les éléments d’analyse y étaient clairs, loin de toute interprétation
« d’entre deux », et poussaient, à partir d’une dyna- mique commune, à
la construction d’un nouveau cadre syndical unitaire : « La FSU
s’engage dans cette dynamique sur la base d’objectifs clairs : il
s’agit de contribuer, dans le respect de l’indépendance syndicale, au
développement d’un syndicalisme de lutte et de transformation sociale
progressiste, à vocation majoritaire, porteur de propositions
offensives et novatrices, attaché à construire les mobilisations et
les rapports de force nécessaires pour faire aboutir ses
revendications.

À cet effet, la FSU entend poursuivre et accentuer son travail avec
la CGT et Solidaires, sans mettre de limites sur les forces qui
pourront participer à cette construction. » Dans un cadre politique et
social nouveau depuis plus d’un an, nous pensons que loin d’être remis
en cause, ces éléments d’analyse et d’orientation s’en trouvent
renforcés. Une réponse syndicale est nécessaire, et cela passe par la
recherche d’une réponse déterminée, la plus unitaire possible avec nos
partenaires qui s’opposent au libéralisme et veulent la transformation
sociale.

LAURENT ZAPPI