À droite toute – le projet pour l’école de Blanquer et Macron

Jean-Michel Blanquer, ancien chef de la DGESCO sous Sarkozy, a publié en octobre 2016 un livre « L’école de demain – propositions pour une éducation nationale rénovée », qui a inspiré nombre de préconisations et la conception générale du programme éducatif du candidat Macron. Certes, les deux mesures phares de la période – les CP à 12 en REP+ et liberté laissée aux maires de revenir sur l’organisation des rythmes, n’y sont pas présentées de façon explicite, mais la trame idéologique y est


Le projet éducatif de Blanquer repose sur les axes suivants :
-l’ individualisation des apprentissages et des parcours scolaires
– la externalisation du traitement de la difficulté scolaire
– la sélection inhérente au système scolaire
– la logique de territorialisation, développement de l’autonomie
– la diminution du pouvoir d’agir des enseignant-es, prescriptions pédagogiques
– le pilotage du système éducatif par les résultats

Les orientations libérales pour l’école sont déjà à l’oeuvre depuis près de 20 vingt ans, avec les conséquences dramatiques que l’on connaît : le nombre d’élèves en grande difficulté a augmenté ; les inégalités scolaires se sont aggravées ; les conditions d’étude et de travail se sont dégradées. Et ce sont les élèves des classes populaires qui payent le prix fort d’un système scolaire parmi les plus inégalitaires des pays de l’OCDE. Ce constat se trouvera encore dégradé par les orientations annoncées.

Pragmatique? Non. Idéologique

Idéologique, Blanquer l’est sans détour puisque ses orientations alimentent les propositions de l’Institut Montaigne, Think tank libéral qui a largement inspiré le programme Macron. Il tente, dans ses interventions comme dans son livre, de se situer au-dessus des oppositions qui, selon lui, sont autant de freins à la progression de notre système éducatif. Il s’appuie sur trois piliers qui permettraient prétendument de tendre à l’objectivité et, ainsi, de le protéger de toute critique : l’expérience, les comparaisons internationales, les apports de la recherche. Mais les propos de Blanquer sont profondément idéologiques : il n’étaye pas un nombre important de ses choix d’orientation éducative (resserrement sur les fondamentaux, accent mis sur la répétition, l’exercice, la récitation, l’acquisition d’automatismes,…). Il fait appel au « bon sens », ou il n’appuie son argumentaire qu’autour d’un nombre restreint d’études. De fait, Blanquer tranche et ne retient des recherches sur l’école que celles qui vont dans son sens. Ainsi ont disparu les apports de la sociologie de l’éducation, des didactiques disciplinaires, de la psychologie et de la sociologie du travail enseignant, de la psychologie du développement… autant de savoirs apportant des contradictions importantes à ses choix éducatifs.

Contenus d’enseignement tronqués, pratiques pédagogiques réductrices

Blanquer préconise de resserrer les contenus sur les apprentissages jugés fondamentaux. La maternelle est définie uniquement comme préparant au mieux les apprentissages fondamentaux visés à partir du CP. Pour l’élémentaire, Blanquer souhaite consacrer 20 heures sur les 26 heures de classe au français et aux mathématiques. Il regrette par ailleurs l’abandon des programmes de 2008, qui avaient été unanimement décriés par la recherche et les enseignant-es. De fait, ce sont des pans entiers de savoirs qui risquent de ne plus avoir leur place à l’école, alors qu’ils sont indispensables aux élèves issus des classes populaires et que les degrés de maîtrise de ces savoirs expliquent les écarts de réussite en fonction de l’origine sociale des élèves.

À cela s’ajoutent les pratiques pédagogiques : Blanquer défend une conception de l’acte d’apprendre fondé uniquement sur la répétition et l’acquisition d’automatismes.
Pour lutter contre l’échec scolaire, il défend des dispositifs se situant hors du temps scolaire, comme les stages de remise à niveau pendant les vacances. Mais s’agit-il réellement de lutter contre l’échec, ou d’un tout autre objectif ?
Tout cela fait système : la vision libérale de l’école réduit les savoirs pour tous, promeut la sélection, et au passage détériore le métier enseignant. Prenons une autre mesure très médiatisée en ce mois de juin : « devoirs faits ». Blanquer met en place dès la rentrée des « études » après la classe, prises en charge par des professeurs volontaires, des bénévoles, des jeunes en service civique…mais surtout par des aed. Blanquer a pour projet ainsi de faire évoluer les missions des aed, de leur confier des tâches d’enseignement (remplacement) et de procéder à ce qu’il nomme des « prérecrutements » (ce qui permet, au passage de s’attaquer au statut des personnels). Autre sujet, il a annoncé vouloir « muscler » le Bac, c’est-à-dire résumer l’examen terminal à quatre épreuves : le risque évident de déboucher alors sur des diplômes « maison » (poids important laissé au contrôle continu) serait compensé par la mise en place de la sélection à l’entrée de l’université. Là encore, des stages de remise à niveau sont prévus pendant les vacances…

Sélection, délitement des missions et des statuts des personnels sont parmi les faces cachées du projet.

Poursuivre la territorialisation du système éducatif, l’autonomie des établissements

La territorialisation se poursuit au sujet des rythmes scolaires, comme prévu par le projet Macron visant à « laisser aux communes (en lien étroit avec les écoles de leur territoire) le soin d’organiser le temps périscolaire sans contrainte ». Le poids des collectivités locales sur l’école va se renforcer et les inégalités territoriales s’accroître. Macron entend réduire les financements de l’État vis-à-vis des collectivités locales et supprimer quelques 70 000 postes dans la Fonction publique territoriale, ce qui ne sera pas sans influer sur les choix des communes sur le dossier.

Dans le second degré, l’autonomie est maître mot des orientations annoncées : autonomie relative, puisque contrainte par l’absence de moyens ; relative puisqu’il ne s’agit en aucun cas de celle des équipes pédagogiques ! Autonomie néanmoins, dont l’objectif n’est autre que l’explosion du cadre national de l’éducation. Le recrutement des équipes en Education prioritaire pourrait se faire de façon locale, par le seul chef d’établissement (CE)(procédé déjà éprouvé en ECLAIR, sous Sarkozy, qui présente l’intérêt de « mettre sous le joug » des CE les personnels recrutés). Autonomie des collèges qui peuvent revenir sur la réforme 2016 en s’affranchissant des EPI, en restaurant les bilangues et une partie de l’horaire de latin… A moyens constants, il faudra donc arbitrer à l’interne d’un collège pour « prendre » ici et redonner des heures là. Ambiance d’équipe garantie ! Concurrence entre établissements exacerbée ! Et pouvoir renforcé des hiérarchies locales… Cette autonomie « surveillée », car liée à une évaluation triennale des établissements, va accroître les inégalités territoriales et dégrader encore le métier enseignants.

Un restriction du pouvoir d’agir des collectifs enseignants

La dernière conclusion à tirer du projet porté par Macron et Blanquer, c’est que les enseignant-es verront leur liberté pédagogique restreinte et ce, par deux types de mécanismes. D’abord le renforcement de la fonction hiérarchique des CE et éventuellement des directeurs-trices d’école, mettront les enseignant-es sous la domination de supérieurs présents sur le lieu de travail. Outre le pouvoir d’organiser leur travail, il pourront infléchir aussi sur leur service et leur carrière (notation, recrutement…).

Mais il y a aussi la mise en avant obstinée des « bonnes pratiques » pédagogiques. Ainsi Blanquer entend « accompagner les programmes existants d’un cadre pédagogique très précis afin de privilégier les pédagogies efficaces », qu’il définit par ailleurs comme celles relevant exclusivement de la répétition et de l’automatisation. Le projet éducatif de Macron stipule que seront développés des outils numériques permettant l’individualisation des apprentissages, auxquels les enseignant-es seront formé-es. On assiste à un renforcement du prescrit pédagogique qui va conduire à une prolétarisation du métier d’enseignant. Les pratiques pédagogiques seront définies par des experts, les enseignant-es seront tenu-es de les appliquer. La multiplication des évaluations avec notamment une évaluation annuelle pour l’ensemble de la scolarité obligatoire sera là pour justifier cet assujettissement.

Pris dans son ensemble, le projet de Macron, pensé par Jean-Michel Blanquer, est porteur de régressions importantes pour notre système éducatif. Loin des propos de notre nouveau ministre qui se veulent rassurants, se dessine une école encore plus libérale où la mise sous tutelle des collectifs d’enseignants sera renforcée et où les inégalités scolaires et le poids des déterminismes sociaux dans la réussite scolaire seront décuplés. Il y a urgence à engager la profession dans une lutte pied à pied contre cette politique, en montrant en quoi il y a une cohérence idéologique forte entre les choix pédagogiques et les modes de gestion de l’école prônés. Ils dessinent les contours d’une école libérale assumée, l’école dite de l’égalité des chances. D’autres choix sont nécessaires, ceux de l’égalité réelle entre tou-tes les élèves.

[/Véronique Ponvert et Adrien Martinez/]