Raphaël Giromini : comprendre la réforme du bac et « parcoursSup »

Cet article a été rédigé par Raphaël Giromini, professeur de mathématiques au lycée Le Corbusier d’Aubervilliers et membre de la CAN du SNES pour l’ÉÉ. Il partage ici une analyse pour contribuer à la mobilisation contre la réforme du gouvernement nommée “parcourSup” qui met en place une sélection à l’entrée de l’Université.


18 décembre 2017

Pour bien comprendre les changements induits par ParcourSup, il faut saisir le projet de bac et la réforme du lycée voulus par le gouvernement et la commission Mathiot. D’un certain côté, ParcourSup anticipe la réforme du bac.

Bine que séparées dans le temps, les réformes Blanquer s’articulent entre-elles, comme une fusée à trois étages : le lycée, modulaire, qui facilite l’orientation dans le supérieur et qui implique une réduction horaire globale, donc des économies de postes.

Un lycée modulaire

Le lycée Blanquer enterre les trimestres pour se concentrer sur un fonctionnement semestriel [source : APMEP, APSMS]. Il y a une division entre la classe de seconde et le cycle terminal (classes de 1ere et terminale).

Les élèves en seconde suivront un tronc commun de 20h par semaine (contre 25,5h actuellement) [source IG HG]. Ce à quoi s’ajouteront des enseignements de détermination et des enseignements optionnels (un peu à l’image des enseignements d’exploration aujourd’hui).

  • Il faut supprimer 5,5h par semaine. On peut imaginer une diminution d’heures en maths, en français et ou en histoire géo et un enseignement de « sciences expérimentales » qui regroupera les enseignements de physique-chimie et SVT.
  • Les enseignements de détermination seront a priori plus large que les actuels enseignements d’exploration

Les enseignements de détermination seront a priori semestriels. Et ils faciliteront l’orientation en cycle terminal, comme c’est le cas actuellement (statistiquement, l’option MPS est une propédeutique à la première S).

Les options facultatives et les enseignements d’exploration actuels seraient supprimés pour être (partiellement) remplacés par des enseignements modulaires [source AE-EPS].

Le cycle terminal se décompose en 4 semestres. Il y aura une division entre tronc commun et un choix (par l’élève) de deux disciplines majeures et deux disciplines mineures [source : APMEP].

  • Il y aurait un menu de 9 combinaisons possibles pour les disciplines majeures : Maths/PC, Maths/Informatique, Maths/SVT, Maths/SES, Histoire-Géo/SES, SI/PC, Art/Langues, Lettre(s)/Langues et lettre(s)/philo [sources : APMEP, APSES, APLV, SMF].
  • Rien n’est précisé sur les disciplines mineures.
  • Dans le cadre de l’autonomie, les établissements pourraient ouvrir d’autres combinaisons de majeures, à condition de réunir suffisamment d’élèves.

Le volume horaire du cycle terminal est réparti de la façon suivante [sources APMEP, SMF] :

  • 15 heures de tronc commun en Première et 10 heures d’unité de spécialisation (dont 3h+3h pour les deux disciplines majeures).
  • 10 heures de tronc commun en Terminale et 15 heures d’unité de spécialisation (dont 6h + 6h pour les deux disciplines majeures).

La définition du « tronc commun » n’est pas complètement arrêtée. En classe de première, il serait constitué des mathématiques, du français, de l’histoire-géographie, d’une langue vivante et de l’EPS [source : UPBM]. Cependant, il est possible que les mathématiques disparaitront du tronc commun en fin de 1ere [source : APMEP]. Seule l’EPS a eu la garanti d’être présente toute l’année, sur l’ensemble du lycée. [source AE-EPS]

  • Il y aura une évolution du tronc commun au fur et à mesure des années et sans doute des « voies » (générales ou technologiques).

Le nouveau bac sera constitué de 4 épreuves terminales et d’une série d’épreuves en contrôle continu.

  • Les deux disciplines majeures seront évaluées en contrôle terminal à la fin du 3e semestre (mars/avril de l’année de terminale), à l’image des bacs blancs actuellement.
  • Les deux disciplines mineures seront évaluées en contrôle continu à la fin du 3e semestre de l’année de terminale.
    Ainsi, les majeures/mineures pourront être prises en compte dans l’orientation via ParcourSup.
  • Les élèves passeront la philosophie à la fin du 4e semestre (en juin) en contrôle terminal
  • Les élèves passeront un « grand oral » (ou « coloquio »), sorte de super TPE, interdisciplinaire entre leurs deux disciplines majeures à la fin du 4e semestre (juin). Les TPE disparaissent de la classe de 1e.

Le tronc commun serait évalué en contrôle continu (jusqu’en juin) et le poids des épreuves serait de 60% pour les épreuves terminales et 40% pour les épreuves mineures et tronc commun. [source : APMEP, AE-EPS]

  • Il pourrait y avoir une épreuve anticipée de français en fin de 2e semestre (fin de classe de 1e). Mais il n’est pas arrêté si ce serait une épreuve écrite ou orale [source AE-EPS, UPBM]

La commission s’est posée la question de la pérennité de la voie technologique, mais à l’issue de cinq semaines et d’environ soixante-dix rendez-vous d’entretiens il lui semblait que la voie technologique avait trouvé son équilibre, son public, et ses débouchés, et qu’elle justifiait donc son existence [source UPBM].

Les filières technologiques (STMG, STI2D, ST2A, ST2S) ne seraient pas fusionnées avec les filières générales (L, ES, S). Elles auraient aussi le droit à une modularisation et un système de majeure/mineure [source : APSMS].

Le « tronc commun » dans la voie technologique ne sera pas le même que dans la voie générale. Les majeures/mineures associerait des enseignements technologiques et généraux (par exemple STMS et SVT ou biotechnologie et mathématiques) [sources APSMS et UPBM].

  • Pour l’enseignement de l’actuelle filière ST2S, la réflexion va dans le sens d’un assemblage des STSS comme « majeure » avec une autre discipline issue de l’enseignement général, telle que SVT mais cela est encore à confirmer.
    Il pourrait être envisageable qu’au moins l’une des mineures soit associée de façon obligatoire pour les élèves ayant opté pour une combinaison de « majeure » incluant les STSS [source APSMS, UPBM].
  • Le grand oral pour les filières technologiques s’appuie sur l’oral de  projet actuel. Le jury de ce grand oral pourrait ressembler à un jury de BTS [source UPBM].

Les voies professionnelles vont être transférées progressivement aux chambres de commerce régionales, pour y développer l’apprentissage (donc l’éducation en alternance). On ne sait pas si la commission Mathiot souhaite voir une évolution nationale des bacs pros. Il est vraisemblable qu’ils n’évolueront pas cette année.

ParcourSup

L’actuel ParcourSup est vraiment mal ficelé. Le ministère a publié les attendus nationaux pour s’inscrire dans les filières universitaires [source : Ministere]. L’élément essentiel à retenir est qu’il n’y a plus de filières non sélectives dans l’enseignement supérieur. Le baccalauréat reste le premier diplôme de l’enseignement supérieur, mais il n’est plus suffisant pour prétendre à une inscription.

Entre le 22 janvier et le 13 mars, les élèves font 10 vœux d’orientation dans le supérieur sur ParcourSup (contre 26 avec APB). En moyenne, les élèves faisaient 7 vœux sur APB. Mais en réalité, soit ils faisaient 5 vœux ou moins, soit ils en faisaient plus de 10.

  • Les vœux ne sont pas ordonnés (ils sont tous équivalent).
  • Il y aura la possibilité de « vœux larges » comme c’est déjà le cas en PACES en Ile de France. On ne sait pas la nature précise de ces vœux larges : est-ce que cela concernera tous les vœux, y compris les anciennes filières sélectives (par exemple « BTS MUC Toulouse ») ou bien uniquement les filières universitaires ? Et dans ce cas est-ce que cela concernera toutes les filières (par exemple « L1 Administration Publique Haut-de-France ») ?

Les attendus nationaux des 46 mentions de licence du ministère pourront être complétés par des attendus de chaque université (libellés en 3500 signes maximum).

  • On peut imaginer qu’une fois le nouveau bac mis en place, ces attendus seront simplifiés de fait : ils correspondront aux disciplines majeures/mineures prises par les élèves.
  • La lecture de ces attendus montre que les filières universitaires sont faites pour décourager les élèves des voies technologiques. Par exemple, la mention science et technologie » (où pourraient se retrouver des élèves de STI2D), précise « [il] est préconisé à la fin de la classe de terminale une bonne maîtrise des compétences attendues dans l’une au moins des disciplines suivantes : Mathématiques, Physique-Chimie, Sciences de la vie et de la Terre ou Sciences de l’ingénieur. » C’est à dire des disciplines de la terminale S.

Du 14 mars au 31 mars auront lieu les conseils de classe du 2e trimestre de terminale. A cette occasion, le conseil de classe aidera le chef d’établissement en donnant un avis sur chacun des vœux des élèves [source : vade-mecum]. Ces avis seront, a priori à l’image des avis actuels sur les ex-filières sélectives : très favorable, favorable, réservé).

  • Chaque vœu sera accompagné d’une fiche avenir, remplie par les enseignants et une synthèse sera faite par le PP. Ces fiches seront transmises à l’établissement supérieur correspondant aux vœux de l’élève.
  • On ne sait rien de précis sur ces fiches. Est-ce qu’elles ressembleront à ce qu’on remplissait déjà dans APB pour les filières sélectives (moyennes de l’élève et appréciation globale) ou bien seront-elles plus détaillées (points forts / points faibles de l’élève ? Nationalité ? souhaits professionnels ?) ?
  • On suppose que c’est pour remplir ces fiches avenir que sont nommés dans tous les lycées un 2e PP en terminale. Mais rien de précis n’est sûr. On ne connaît pas le mode de rémunération du 2e PP (si ce n’est que le montant sera une « modularisation de l’ISOE »).

Dans les faits, le ministère souhaite que les enseignants changent de paradigme vis à vis de l’orientation de leurs élèves. Ils passent du rôle de conseillers à celui de censeur. Le chef d’établissement (éclairé par le conseil de classe) a la possibilité de mettre un avis réservé à l’ensemble des vœux d’un élève. Ce qui revient, dans la pratique, à l’empêcher de poursuivre des études supérieures.

Entre le 22 mai et le début des épreuves du bac, les élèves recevront les réponses à leurs vœux. Le serveur de réponses sera fermé au début des épreuves du bac. Pour les ex-filières sélectives (CPGE, BTS, IUT), les résultats ne changent pas : « oui», « non» ou « en liste d’attente ». Pour les filières universitaires, les résultats possibles sont « oui », « oui, si » ou « en attente ». Objectivement, un élève ne se voit jamais refuser une filière universitaire. Ceci dit, chaque licence a fait voter une « capacité d’accueil maximum, » une fois celle-ci atteinte (par des « oui »), les « en attente » seront refusés de fait.

Que veut dire « oui, si » ? Suivant le niveau de l’élève, l’université a la possibilité de l’accepter, s’il suit des cours supplémentaires. Soit des MOOC pendant l’été, soit une sorte de L0 de remise à niveau à l’université.

  • Par exemple, les attendus nationaux de la licence mention droit exigent « [d’]avoir suivi un module ‘Découverte du Droit’. Le suivi de ce module constitue une condition de recevabilité du dossier » A l’heure actuelle, un tel module n’existe nulle part.
  • Le financement des L0 par les universités entraine que cette année sera commune à plusieurs mentions de licence. Il ne pourra s’agir que de cours généraux et en aucun cas d’un accompagnement pédagogique.
  • D’un point de vue financier, un étudiant « oui, si » pourra s’inscrire administrativement (donc payer les frais d’inscription), mais l’inscription pédagogique (donc suivre les cours) ne se fera que s’il valide ce qui lui est demandé.

Pendant la période des résultats, si un élève reçoit plusieurs « oui », il ne pourra pas garder plus d’un seul « oui » à ses vœux pendant plus de 7 jours (sinon, il perd tout ses « oui »). Il devra donc choisir entre les « oui » qu’il a déjà reçus pour n’en garder qu’un seul. Ceci permettra de faire remonter des élèves « en attente »

  • A la fermeture du serveur, chaque élève aura donc un seul « oui » et il sera accepté dans cette filière, sous réserve qu’il ait le bac.
  • Les élèves devront donc consulter les résultats de ParcourSup quotidiennement dans cette période (habituellement consacré aux révisions du bac).

Et pour les élèves qui n’ont pas eu de « oui » (ou qui les ont tous perdus), début juillet, il y aura une phase complémentaire, présidée par le recteur de région qui « te permettra de découvrir d’autres affectations qui pourraient t’intéresser et d’être inscrit dans l’enseignement supérieur » (sic) [Source : quandjepasselebac.ducation.fr]

  • On comprend que les élèves « sur le carreau » se verront proposer des filières où il reste de la place.

Réductions de postes d’enseignants

Bien que le lycée modulaire semble attrayant pour les enseignants des disciplines majeures (un horaire de 6h en terminale, qui n’en rêve pas ?), il faut voir que globalement, les horaires vont diminuer (notamment par la diminution du volume du tronc commun).

**Est-ce la fin du groupe classe ?

Même si le lycée modulaire le permet, il est vraisemblable que non (ou alors pas tout de suite). Les dotations horaires globales (DHG/DGH) continueront à être proposées aux CA des établissements en février et la structure (nombre de classe de secondes, enseignements de déterminations ; nombres et type de majeures) sera décidée à ce moment là. Exactement comme c’est le cas actuellement pour les enseignements d’exploration en seconde. Le nombre d’élève par discipline majeure sera globalement décidé à l’avance.

On peut imaginer deux modèles :

  • Des classes constituées sur la base des disciplines majeures, comme cela se fait souvent en dans les voies technologiques (par exemple, « terminale STMG-RH »)
  • Des classes où certaines disciplines majeures sont alignées, à l’image de la spécialité en terminale (alignement et regroupement des élèves pour les spécialités maths/Eco app./Science Po pour toutes les terminales ES par exemple).
    Ce choix sera laissé à l’appréciation de la direction de l’établissement, comme c’est le cas aujourd’hui.

**Des postes supprimés en lycée ?

La réduction du tronc commun au lycée, avec quelques classes spécialisés entrainera nécessairement une diminution des DHG.

  • Imaginons un exemple théorique, d’un lycée qui compte 10 classes de seconde et 2 classes de terminales S, spécialité physique-chimie. La possible réduction dans le tronc commun des enseignements de sciences expérimentales (Physique-chimie et SVT) de 4,5h (actuellement) à 3h, entraine une économie globale de 15h. Même si en terminale, la physique chimie en enseignement majeure passe de 7h (5h-prof de cours et 2h de spé) à 9h, cela ne coûte que 4h par classe. Ainsi le gain sur la DHG est de 11h. Sans compter une probable disparition de l’enseignement de sciences expérimentales dans ce qui correspondra à la 1e ES (majeure SES/maths ou SES/HG).

La politique des établissements de ces dernières années de maintenir un volume conséquent de BMP dans toutes les disciplines fera que vraisemblablement aucun collègue en poste fixe ne subira de carte scolaire (ou alors à la marge), à l’image de ce qui s’est passé lors de la réforme du collège.

Ce n’est pas pour rien que le gouvernement a déjà acté la suppression de 20% des postes aux concours dans le budget 2018. Ces postes seront remplis par des contractuels pour la période 2018-2021, et ils disparaitront ensuite.

Sources

Voici les comptes-rendus connus des audiences avec la commission Mathiot

  • Accompagner les lycéens vers l’enseignement supérieur. Vade-mecum à destination des acteurs de la communauté éducative. Ministère de l’éducation nationale.
  • Eléments de cadrage national des attendus pour les mentions de licence. Ministère de l’éducation nationale.
  • Note sur la saisie des caractéristiques des formations sur le site de gestion de la plateforme nationale de préinscription ParcourSup. Ministère de l’éducation nationale et ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
  • Décret n°2017-1637 du 30 novembre 2017 modifiant le décret n° 93-55 du 15 janvier 1993 instituant une indemnité de suivi et d’orientation des élèves en faveur des personnels enseignants du second degré
    https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000036121232