Histoire de la CGT : des origines à 1914 (I)

Cible privilégiée de la répression policière et des attaques gouvernementales lors du récent mouvement social contre la loi travail au printemps 2016,
le Confédération générale du travail (CGT) est la plus ancienne
et la plus puissante organisation syndicale française.

Elle fut, au cours de sa longue et tumultueuse histoire, souvent en prise avec le pouvoir politique et patronal. En tête des grandes luttes sociales et ouvrières du XXè siècle, à l’origine de bien des grandes conquêtes des salariés, la CGT plonge ses racines dans une tradition révolutionnaire vivace en même temps qu’elle s’est trouvée aux prises avec les grandes débats idéologiques du siècle dernier. Cette histoire ne fut jamais rectiligne mais ponctuée de ruptures et de débats qui ont concerné l’ensemble du mouvement ouvrier.

Aux sources

En France, la première révolution industrielle est moins spectaculaire qu’en Angleterre ou en Allemagne. Le décollage de l’industrie y est plus poussif, le pays reste encore largement rural jusqu’aux dernières années du XIXème siècle. Une classe ouvrière émerge néanmoins dans quelques grands centres industriels qui se concentrent autour des bassins miniers et houillers. Ces travailleurs, dépourvus de droits, vivent dans des conditions exécrables et sont vécus, par la bourgeoisie en plein essor, comme une menace constante. Depuis la Révolution Française , une méfiance persiste envers les tentatives d’organisation professionnelles des salariés. La loi le Chapelier de 1791 qui interdit toute association de travailleurs fait sentir ses effets tout au long du XIXème siècle. Des sociétés de secours et d’entraide naissent et rassemblent néanmoins les ouvriers en construisant un début de conscience de classe. C’est sur la base des métiers que se mettent en place ces premières organisations ouvrières influencées par l’idéologie de Proudhon. En 1864, alors à son apogée et souhaitant élargir les bases populaires de son régime, l’empereur Napoléon III édicte une loi qui tolère de fait les grèves et les syndicats dans les usines. C’est aussi un moyen, pour le pouvoir politique de les contrôler plus étroitement. En parallèle, l’Association internationale des travailleurs a vu le jour à Londres et s’implante dans toute la région parisienne. La grève commence à devenir un moyen d’action privilégié pour obtenir de meilleurs conditions de travail.

Les premières fragiles tentatives d’organisations syndicales sont cependant brisées nettes par la terrible répression de la Commune de Paris en 1871. Les vainqueurs mettent à bas les quelques avancées obtenues : dès 1872 la grève devient à nouveau illégale. Les leaders du mouvement ouvrier et syndical sont tués, emprisonnés ou exilés. Quelques militants reprennent obstinément l’effort d’organisation mais sur une ligne très modérée. Des chambres syndicales de métier parviennent à émerger après 1875 lorsque s’estompe la pesante ambiance d’Ordre moral qui régnait après la défaite des Communards. En 1876, se tient à Paris le premier congrès ouvrier où se retrouvent 350 délégués. Ils se prononcent pour des assurances sociales mais la dimension revendicative reste très limitée. On ne dénombre pas plus de 32 000 adhérents aux chambres syndicales. La volonté des républicains d’élargir les libertés démocratiques pour asseoir la légitimité du régime, l’amnistie des Communards en 1880 et la diffusion de l’idéologie marxiste changent la donne. La loi Waldeck Rousseau de 1884 légalisent officiellement les organisations syndicales. Les partisans du marxiste Jules Guesde créent en 1886 une fédération nationale des syndicats et groupes corporatifs de France (FNS). Malgré la méfiance des militants envers l’État et la peur de la répression, l’idée syndicale fait son chemin et, en 1888, on retrouve pour la première fois l’idée de la grève générale dans un congrès de la FNS.

La difficile
unification de 1895

Si les luttes entre courants socialistes s’exportent dans le mouvement syndical, il en est de même de la rivalité entre marxistes et anarchistes. Très implantée en région parisienne, la sensibilité libertaire refuse la conception d’un syndicat aligné sur le parti politique telle que l’incarnent les guesdistes. Trois grandes tendances cohabitent alors dans le syndicalisme français : les réformistes qui luttent pour des améliorations de la condition ouvrière dans le cadre du régime républicain bourgeois dont ils acceptent le cadre, les marxistes qui se divisent eux-même entre diverses branches et dont l’objectif est la destruction de l’ordre capitaliste et les anarchistes très méfiants à l’égard de toute institutionnalisation et de toute récupération politique, fut-elle socialiste.

En parallèle à ce mouvement se développent dans tout le pays les Bourses du travail qui constituent une originalité du mouvement ouvrier français. Elles se multiplient dans toutes les grandes villes ouvrières (Paris 1887, Saint-Etienne 1889, Toulouse 1890…). Souvent crées par des syndicats, ce sont des lieux d’entraide à la croisée du mouvement mutualiste et revendicatif. Elles aident les travailleurs dans leur démarche, organisent des collectes pour venir en aide aux grévistes, diffusent la littérature socialiste et organisent des cours du soir pour les ouvrier-es. Les Bourses s’organisent en 1892 en une fédération nationale bientôt dirigée par le militant libertaire Fernand Pelloutier. Les anarchistes agissent exclusivement dans ce cadre où il promeuvent avant tout l’autonomie ouvrière contre la conception guesdiste du syndicat.

Néanmoins, des militants unitaires de deux fédérations (FNS et FNB) commencent à faire bouger les lignes. Le congrès de Nantes de la FNS se prononce pour la fusion de deux organisations en septembre 1894. L’idée fait son chemin et, du 23 au 29 septembre 1895, se tient à Limoges un congrès qui aboutit à la création de la Confédération générale du travail (CGT), qui rassemble une trentaine de fédérations départementales, vingt Bourses du travail et plusieurs syndicats locaux autonomes.

Lutte sociale, affirmation
et indépendance de classe

Ce congrès constitutif marque une défaite des guesdistes et la prééminence du syndicalisme révolutionnaire. L’objectif de la nouvelle centrale est clair : « La CGT a exclusivement pour objet d’unir sur le terrain économique et dans des liens d’étroite solidarité, les travailleurs en lutte pour leur émancipation intégrale ». Lors du même congrès, les délégués font de l’indépendance syndicale un principe fondateur : « Les éléments constituants de la CGT devront se tenir en dehors de toutes les écoles politiques ». La confédération naissante est néanmoins fragile et doit faire face, pour quelques années encore, à la concurrence de la Fédération des Bourses du travail qui ne s’est pas dissoute.

La montée en puissance de la CGT se fait avec l’arrivée à sa tête d’une nouvelle génération moins marquée par les débats du passé et tournée vers les nouvelles réalités du monde du travail du XXè siècle. Incarnés par Émile Pouget ou Victor Griffuelhes, ces nouveaux cadres font évoluer les structures de la CGT vers une union de fédérations d’industrie supplantant la vieille organisation en syndicats de métiers. Ce nouvel élan syndical se fait sur des bases anarcho-syndicalistes que matérialisent la fameuse charte d’Amiens. Adoptée en octobre 1906, elle réaffirme l’indépendance de la CGT qui se construit sur la base de la reconnaissance de la lutte des classes, mais n’oppose jamais le combat pour les revendications immédiates à l’objectif final qui reste l’abolition du salariat par l’expropriation du capital.

Les années précédant 1914 sont riches en luttes sociales, à commencer par la bataille pour la journée de travail de 8 heures dont le principe a été acté par le CGT à son congrès de Bourges en 1904. Elle affirme que cette conquête se fera par la grève générale, prélude à la révolution sociale. Le 1er mai 1906 en sera le déclencheur. Survenant moins de deux mois après la tragédie minière de Courrière qui a fait plus de 1 000 victimes, le mouvement inquiète le gouvernement qui fait procéder à l’arrestation préventive du secrétaire général de la CGT. Les manifestations sont importantes à Paris et en Province mais la grève moins puissante que ne l’espéraient les dirigeants confédéraux. Durant les trois années suivantes, la CGT trouve en Clémenceau un adversaire coriace et constant. Premier flic de France autoproclamé, l’ancien sympathisant de la Commune s’est mué en homme d’ordre brutal. Lors des grèves cheminotes de Draveil et Villeneuve St Georges en juin 1908, il n’hésite pas à faire tirer sur les manifestants et à faire arrêter les membres du bureau confédéral de la CGT.
Cet activisme anarcho-syndicaliste trouve néanmoins ses limites et les coups portés par Clémenceau obligent l’organisation à évoluer. La marginalisation progressive de Jules Guesde au sein du parti socialiste SFIO conduit à un certain rapprochement avec le syndicat dont Auguste Vaillant est l’un des plus constants avocats. La méfiance à l’égard de l’État reste mais la CGT accepte de s’associer en 1913 à la campagne lancée par les socialistes contre la loi qui prolonge d’un an le service militaire.

La CGT fait alors de l’antimilitarisme l’un de ses combats prioritaires et une importante minorité de l’organisation défend la grève générale pour empêcher une éventuelle mobilisation contre les travailleurs allemands. Cependant, en août 1914 le secrétaire général Léon Jouhaux proclame la ralliement de la CGT à l’Union sacrée… A suivre…●

Julien GUERIN (77)