Les promesses oubliées de l’école

Face à la monstruosité des attentats des 7 et 9 janvier, l’École a été immédiatement convoquée dans les débats : le système éducatif serait à la fois l’une des causes et l’une des solutions.

Cette interpellation s’est focalisée sur plusieurs points : les valeurs républicaines, leur transmission, l’écart entre ces valeurs affichées et la réalité de l’École, les politiques ségrégatives, la laïcité et ses interprétations (voire instrumentalisations), les élèves et leurs réactions, leurs questionnements, comme les sanctions prises à l’encontre de certains élèves et les décisions adoptées en urgence – onze mesures – par la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem.

Ces mesures font-elles sens ? Posent-elles plus de problème que de solutions ? Tels sont les points et les ques­­tions qui sont abordés dans ce dossier.

L’incroyable fossé qui existe entre les discours officiels, les valeurs affichées et la réalité des politiques à l’œuvre n’est pas pour rien dans la perte de légitimité de toutes les institutions, y compris de l’École.

Les politiques de ces dernières décennies ont conduit à un abandon de territoires (les « quartiers »), y compris sur le plan scolaire. L’inégalité sociale des résultats scolaires est une particularité forte du système éducatif français.

Celui-ci a non seulement renoncé à son rôle d’ascenseur social, mais il ne parvient pas à réduire la fracture sociale constatée : il l’entérine souvent, allant même jusqu’à l’aggraver.

Comment, dès lors, porter les valeurs républicaines auprès des élèves ? Par l’enseignement civique et moral ? Le problème de l’école n’est pas celui de leur transmission, c’est celui de leur crédibilité.

**Silence dans les rangs !

« Même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves… Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs ».

Face aux questionnements, voire de la provocation, parfois, propre à la jeunesse, la réponse ne peut être moralisatrice et répressive. De plus, comme le souligne Bruno Robbes (Maître de conférences à l’Éspé de l’académie de Versailles) : « En affirmant que « tout comportement mettant en cause les valeurs de la République ou l’autorité du maître ou du professeur fera l’objet d’un signalement au chef d’établissement », qu’« aucun incident ne sera laissé sans suite », nos responsables politiques semblent d’une part, réduire l’autorité à l’exercice de la force et d’autre part, externaliser son traitement hors de la classe voire hors de l’établissement. »

Dans les onze mesures du programme du ministère de l’Éducation nationale, on trouve : « rétablir » et « valoriser » les « rites républicains », développer « la compréhension et la célébration des rites et symboles de la République : hymne national, drapeau, devise », « les projets d’école et d’établissement comportent des actions relatives à la formation du citoyen et à la promotion de ces valeurs ».

Ces mesures fleurent un peu trop la nostalgie d’un ordre scolaire fantasmé, accompagné de patriotisme.

Il ne saurait y avoir d’injonction à la citoyenneté, à la socialisation, à l’intégration, à l’appropriation des valeurs et des codes, dans une approche coercitive.

Il faudrait plutôt travailler à rendre concrètes les valeurs que nous entendons défendre, dans la réalité des conditions de vie de celles et ceux pour qui elles font peu ou insuffisamment sens.

**Le cheminement plutôt que l’arrachement

C’est aussi le recours à la réflexion pédagogique qui est nécessaire : « Une pédagogie de l’arrachement, qui s’accompagnerait d’une cécité volontaire sur les histoires singulières, au nom de « l’instruction pure » et d’une laïcité égalitariste, est de nier finalement l’entreprise éducative elle-même comme « cheminement » : on « décrète l’élève », d’un côté… mais on ignore l’enfant de l’autre… qui, lui, peut poursuivre son histoire, d’un autre côté, en toute indifférence au regard d’une « trajectoire scolaire » ainsi réduite à un jeu de rôle ».

Et Philippe Mérieux rappelle que les rituels ne valent que par ce qu’ils autorisent « et pour ce à quoi ils permettent d’accéder : la réflexion et la pensée, l’inscription dans un collectif solidaire qui brise la juxtaposition des individualismes… »

Ainsi, au lieu du retour de l’autorité du maître et autres injonctions profondément réactionnaires, ce sont plutôt les réflexions sur la démocratie au sein de cette institution qu’il faut mener : la place des élèves et leur rapport avec les enseignant-es, la promotion des pédagogies coopératives, le dialogue (la pratique du débat argumenté), la construction du collectif en lieu et place de la concurrence, la possibilité donnée à chacun-e d’y avoir une place et une responsabilité, la pratique de la solidarité en acte.

C’est aussi, plus profondément, la finalité de l’école qu’il faut renverser : rompre avec l’évaluation permanente, la sélection, la compétition comme modes de fonctionnement.

« À force d’individualisation systématique nous avons oublié la construction du commun. Certes, cette construction passe par des rituels scolaires que nous avons à réinventer, mais elle passe aussi par l’acquisition d’une culture commune et la fréquentation des « humanités »…

La littérature et l’art permettent, en effet, de développer la capacité d’empathie à l’égard de l’autre, d’entrer dans son référentiel sans s’y perdre ; ils nous aident à nous mettre à la place de l’autre pour penser avec lui ni pour lui, ni contre lui…

C’est ainsi que, dans une société laïque, nous pouvons ne pas toujours partager les mêmes réponses à des questions existentielles, mais devons nous reconnaître comme fils et filles des mêmes questions fondatrices. » (P. Mérieux)

**Malaise chez les enseignant-es

La crise sociale submerge la crise éducative et la résistance aux mesures libérales, « réac-publicaines » se fait de plus en plus difficile.

Comme institution, l’École est bien sûr un maillon de la reproduction de ce système… mais jusque-là, elle restait encore le maillon le plus indocile.

Cependant, des digues tombent. Le risque est réel que les enseignant-es soient séduit-es par un discours nostalgique simpliste qui se répand à mesure que recule l’aspiration à transformer la société et son école.

Les enseignant-es d’aujourd’hui sont malmené-es, en souffrance, et cela affaiblit leur capacité à résister aux injonctions de l’institution, et même à les décrypter. Non pas qu’ils ou elles y adhèrent, mais ils et elles « s’en servent plus ou moins commodément comme ferment de solidarité et d’identité professionnelles » (B. Mabilon-Bonfils).

L’engagement, la résistance doit et peut s’organiser. Le syndicalisme a une responsabilité particulière ici, celle d’organiser cette résistance et de porter un projet commun pour mettre à distance la montée des forces réactionnaires. ●

Véronique Ponvert

Sophie Zafari