Des livres pour les petits et les grands

Tant que nous sommes vivants

C’est une fable épique que nous livre Anne-Laure Bondoux avec son dernier livre.

Une fable qui porte la trace de son époque et contient par conséquent une bonne dose de noirceur.

C’est aussi un formidable message d’espoir qui vient couronner la description la moins complaisante d’un monde qui s’apparente de manière troublante au nôtre.

Le monde dans lequel nous transporte ce roman est d’apparence bien étrange, un « entre-deux » approximatif où des éléments épars de modernité se mêlent à une société qui semble à peine entrée dans l’ère industrielle.

Il y a du steampunk [[Le steampunk est une « sorte de science-fiction à rebours délaissant les lieux chronologiques et topologiques de ce genre de récits au profit d’un XIXe siècle victorien ».

(Daniel Riche, Préface à Futurs antérieurs 15 récits de littérature steampunk, Fleuve noir, 1999, p. 12)]] dans cet univers. Les personnages qui le peuplent ne jouissent guère du confort contemporain, les communications semblent encore très rudimentaires et pourtant les gens travaillent à l’usine et on y croise des bateaux de guerre à la puissance de destruction terrifiante. La crise que traverse cette société est aussi très actuelle.

La désindustrialisation qui voit le chômage gagner les hommes à mesure que les usines ferment fait écho à des circonstances là encore bien contemporaines.

La montée insidieuse des intolérances et la guerre civile, si elles ne sont pas spécifiques à notre temps, renvoient aussi à l’actualité la plus brûlante.

**Un long voyage initiatique

Il s’agit d’abord d’une histoire d’amour entre deux ouvriers, Bo et Hama, de la seule usine encore ouverte dans le coin.

Si Hama est une fille du pays, ce n’est pas le cas de Bo qui a fui sa région d’origine et le chômage de masse. Leur amour est une lueur d’espoir dans un paysage social morne, pour ne pas dire désespérant.

Il est assez fort en tout cas pour insuffler un peu de vie dans le quartier autour du cabaret du Castor blaqueur dirigé par une ancienne trapéziste
handicapée.

Hélas un accident industriel aura raison de ce fragile rayon de soleil et les deux amants, meurtris et en proie à l’intolérance renaissante sont contraints de fuir. Leur long voyage et l’histoire de leur fille, née au cours de ce périple, est la matière du roman comme une suite d’épisodes tous initiatiques.

Les personnages y connaîtront plusieurs vies, toutes plus fascinantes les unes que les autres, dans des lieux reculés où la nature garde ses prérogatives impérieuses.

L’atmosphère reste celle du conte où les personnages affrontent des épreuves successives dans des paysages parfois enchanteurs mais où l’on sent l’ombre menaçante de la guerre qui gagne le pays.

On grandit à surmonter les épreuves. Mais elles ne laissent jamais indemnes ceux qui les subissent. Une sagesse mélancolique finit par sourdre de cette belle fable poétique et inspirée.

Publiée dans une collection de jeunesse destinée aux ados, le livre s’adresse en fait aux plus grands d’entre eux et tout autant aux adultes. ●

✓ Anne-Laure Bondoux,

Tant que nous sommes vivants,

Gallimard Jeunesse, 15 euros.

Maïa qui aime les chiffres

Depuis tout bébé, Maïa aime les chiffres. Elle a un lapin qui s’appelle Pythagore et elle essaie de tout compter : les grains de riz, les lettres, les pois de sa robe, les graines, les feuilles, les pierres, les fourmis, les gouttes d’eau de la mer…

Évidemment, elle en viendra à essayer de compter les étoiles. Là, elle a quand même un problème… Et puis il faut essayer de lutter contre le sommeil en même temps.

Un bel album venu d’Ukraine aux illustrations riches, pleines d’un symbolisme inventif et rieur. Il vient rappeler à point nommé que les maths et les sciences ne sont pas réservées aux seuls garçons. ●

✓ Romana Romanyshyn et Andriy Lesiv,

Maïa qui aime les chiffres,

Rue du Monde, 15 euros.

**Scarabée noir

L’histoire est simple et efficace : un scarabée doré à tête noire est accusé d’être responsable de tous les maux d’une forêt. Il est devenu « la bête noire »…

Tant et si bien qu’il finit par partir, amer et désabusé, chercher un ailleurs plus accueillant. Et là on s’aperçoit, mais un peu tard, que le scarabée noir apportait en fait de la lumière dans les sous-bois par son dos doré et réfléchissant.

La conclusion est joliment dite : « il y a parfois plus noir que la plus noire des bêtes noires ». Face à cette obscurité qui nous guette, ce petit album est bienvenu.

Dénoncer l’esprit de meute qui peut conduire à décrier le plus injustement tel ou tel d’entre nous parce qu’il est différent est bien évidemment salutaire.

L’histoire est portée magnifiquement par les images lumineuses, chatoyantes et pour tout dire somptueuses d’Aurélia Fronty. Celles-ci font beaucoup dans l’attrait de l’album. ●

✓ Alain Serres et Aurélia Fronty,

Les bêtes noires ont bon dos,

Rue du Monde, 14 euros.

Stéphane Moulain