Austérité : impasse sociale et politique

Alors que la conjoncture économique dans la zone euro est marquée par la récession et la déflation, la politique d’austérité des gouvernements de la zone euro rapproche le risque de cette récession.

La baisse des prix « sortie usine » constatée pour les biens industriels est en elle-même l’indicateur de la surproduction.

La politique d’austérité accentue la contraction du marché final et conduit à une baisse des investissements, à la montée du chômage et à une nouvelle crise financière et économique.

La politique budgétaire oriente l’action sur les dépenses publi­ques dans le sens d’une énorme baisse de 21 milliards d’euros. Du jamais vu. Elle se décompose en :

  • Moins 7,7 milliards pour l’État via la baisse du pouvoir d’achat des fonctionnaires et la réduction de leur nombre sauf pour l’Éducation nationale (+ 9 400 postes) et, dans une moindre mesure, pour la Justice et l’Intérieur ; et une diminution du service de la dette (amortissement + intérêts) permise par la faiblesse des taux de l’intérêt. Les marchés financiers prêtent à des taux d’intérêt « réels » – grosso modo la différence entre le taux nominal et le taux d’inflation – négatifs.
  • Moins 3,7 milliards pour les collectivités territoriales, baisse qui aura un impact récessif sur les investissements publics, se traduira par la dégradation des conditions de vie des populations et alimentera leur colère sourde. Les jacqueries sont probables. Dans le même temps, le Bâtiment-Travaux Publics s’installe dans la récession.
  • Moins 9,6 milliards pour la Sécurité sociale dont 3,2 milliards pour la branche maladie.

    Il est prévu d’économiser 890 millions sur les dépenses hospitalières alors que les hôpitaux sont déjà dans une situation difficile. Des fermetures, des regroupements sont envisagés au détriment du droit fondamental à la santé.

    Là encore, le gouvernement alimente le ressentiment. Le vote des députés sur la modulation des allocations familiales devrait permettre de rapporter 700 millions.

    Il est vrai que cette branche de la Sécurité sociale est une branche rapportée. Elle fait plutôt partie de la politique familiale. Mais remettre en cause son caractère universel peut permettre d’élargir cette décision aux autres allocations.

**Le coût social de l’austérité

Du côté de la politique fiscale, les recettes sont espérées à la hausse, de 5,6 milliards, malgré une baisse de l’impôt sur les sociétés, de 2,3 milliards, résultat à la fois de la baisse des marges des entreprises et du CICE (Crédit d’impôt compétitivité emploi).

Autant dire que cette baisse de l’imposition des entreprises ne profitera ni à l’emploi, ni à l’investissement. Le destin du Pacte de Responsabilité suivra le même chemin. Les « cadeaux aux entreprises » ne font pas partie de la solution pour sortir de la crise actuelle.

Il faut souligner, pour montrer l’inanité de telles mesures, que les rentrées de cet impôt auront baissé, entre 2013 et 2015, de 14 milliards d’euros. Le CICE comme le Pacte sont des purs produits de l’idéologie libérale mêlée aux intérêts à court terme du patronat.

Sur quoi compte le gouvernement pour augmenter les rentrées fiscales ? Sur l’impôt sur le revenu des ménages d’abord. Malgré la suppression de la première tranche qui devrait coûter 3,5 milliards, la hausse devrait être de 570 millions. Une mesure démagogique que cette suppression.

Elle conduira à un approfondissement des inégalités faute d’une réforme fiscale de grande ampleur.

Ensuite et surtout sur la TVA, soit 4,8 milliards prévus. Si les ménages continuent de consommer. Sinon, il faut s’attendre à une hausse du taux de cet impôt injuste.

**Quels moteurs de la croissance ?

L’hypothèse de croissance du gouvernement, socle des prévisions budgétaires, est de 1 % pour 2015. Un objectif qui apparaît ambitieux alors que l’économie française connaît un taux d’augmentation du PIB qui ne décolle pas du zéro, pour les trois premiers trimestres 2014. Les moteurs de la croissance sont tous grippés.

L’investissement des entreprises continue de diminuer faute d’incitation. Les enquêtes de l’INSEE montrent que l’entreprise est sensible à l’évolution de son marché.

Si ce dernier n’est pas orienté à la hausse, il n’est pas question d’augmenter le nombre de machines. La hausse doit être importante pour déclencher la décision d’investir.

Des capacités de production restent inemployées. Les machines ne tournent pas à 100 % de leur possibilité.

La consommation des ménages, qui a tiré la très faible croissance jusqu’ici, devrait stagner au mieux. Seule l’industrie du luxe connaît une augmentation de ses marchés, un révélateur de l’approfondissement des inégalités.

Ce système inégalitaire est un facteur désormais structurel de la crise actuelle. Le chômage qui touche tous les secteurs et la baisse du pouvoir d’achat programmée expliquent la possible stagnation de la consommation des ménages.

L’INSEE a aussi constaté que la pauvreté s’enracine et que les pauvres deviennent encore plus pauvres. Leur nombre a diminué en 2012 (dernier chiffre connu) passant de 8,7 à 8,5 millions représentant 14 % de la population.

La mesure de cette pauvreté monétaire est fixée, par convention, à 60 % du revenu médian. Or, entre 2011 et 2012 ce revenu médian a diminué de 1 662 euros par mois à 1 645. Cette baisse provoque une « intensification de la pauvreté » pour reprendre les termes de l’INSEE.

L’économie française peut-elle compter sur le dernier moteur, les exportations ? Que nenni ! Les prévisions de hausse des échanges mondiaux ont été revues à la baisse, et la désindustrialisation ne peut pas permettre d’envisager une place plus importante sur le marché mondial pour les entreprises françaises.

Au total, et au mieux, c’est une croissance zéro qui est la plus vraisemblable pour 2015. L’environnement de la zone euro n’est, quant à lui, pas porteur.

L’économie allemande vient de s’apercevoir qu’elle dépendait, pour sa croissance, des autres pays de la zone et de l’Union Européenne. Les marchés en dehors de l’Union sont en train de se raréfier. Les sanctions contre Poutine et la baisse (relative) de la croissance en Chine provoquent la diminution des exportations allemandes.

Il apparaît, en plus, que l’économie allemande a vu l’accumulation du capital ralentir, son avenir dépend de sa capacité à innover.

Les politiques mises en œuvre ne changent pas pour autant. Elles restent inscrites dans l’idéologie libérale. L’OCDE qui a apporté un satisfecit au gouvernement français pour sa politique « qui va dans le bon sens » propose d’aller encore plus loin dans la « libération du marché du travail » et dans les « réformes structurelles ».

Traduction : suppression du droit du travail et du droit de la Sécurité sociale pour permettre plus de croissance en diminuant le coût du travail. Une politique qui a déjà fait la preuves de sa nocivité dans les pays de l’Europe du Sud en instaurant une récession profonde sans réussir ni à baisser les déficits ni la dette.

La compétitivité dont on nous rebat les oreilles est un facteur supplémentaire de possible éclatement de la zone euro. Elle oppose les pays les uns aux autres pour que chacun gagne des parts de marché sur les autres. Elle ne permet pas la définition de politiques communes. Or, le problème de l’Europe est d’abord un problème politique.

**Comment lutter contre la déflation ?

Même la BCE a pris conscience de ce nouveau contexte. Mario Draghi a changé de politique monétaire, contournant tous les traités. Ironiquement, il s’abrite derrière l’objectif fixé du taux d’inflation soit 2 %.

Or la zone euro en est loin. Il en a conclu que la BCE devait mener une politique monétaire expansive en ouvrant les vannes du crédit et en diminuant le taux directeur à 0,15 % soit un taux jamais vu.

Il prête massivement aux banques mais cette création monétaire n’alimente pas le circuit économique. Les capitaux restent confinés dans la sphère financière. Pour deux raisons. Du côté des banques, la crainte du risque de faillite des entreprises et du côté des capitalistes, la volonté de se désendetter.

**Pour sortir de la crise, il faut changer de politique

La crise financière menace. Les « stress tests » des banques et leur résultat positif sauf pour les banques italiennes, espagnoles, grecques, n’ont aucun sens.

Même si les capitaux propres ont augmenté, elles sont à la merci d’un retournement sur les marchés financiers. La semonce de la semaine du 20 octobre où les Bourses ont décroché devrait faire réfléchir.

De même que la chute – mis à part le cacao – des cours de toutes les matières premières, au plus bas depuis 2009, devrait susciter des réactions au lieu de se voiler la face et croire que tout s’arrangera par on ne sait quelle grâce.

La déflation se poursuivra si aucune politique économique ne vient la contrecarrer. La récession sera plus profonde que celle de 2008-2009. La crise de l’euro pourrait mener à son éclatement.

Une politique de relance, de justice fiscale, de renouveau des services publics mettant à l’ordre du jour la lutte contre la mutation climatique et la crise écologique est nécessaire…

Pour permettre la sortie de la récession et combattre tous les éclatements sociaux et enfin pour construire des alternatives redonnant une légitimité à l’action politique. Cette crise est alimentée par le démantèlement de la forme sociale de l’État mais aussi par l’incapacité du capitalisme de dessiner une sortie de sa crise, de renouer avec la croissance.

C’est un signe de faillite de ce mode de production. Le signe que ce monde est en train de basculer… ●

Nicolas Béniès