Un quart en moins !

Questions à… Rachel Silvera

Rachel Silvera, est économiste et enseignante à l’université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense.

Elle est chercheuse associée au Centre d’Économie de la Sorbonne
et membre du réseau de recherche « Marché du travail et genre » (Mage).

◗ Votre dernier livre s’intitule « Un quart en moins » : pourquoi avoir choisi ce titre ?

Les statistiques indiquent que les écarts de salaires entre les femmes et les hommes se maintiennent autour d’un quart. Pierre Hamp (1876-1962), inspecteur du travail, avait écrit un article intitulé « Le régime du quart en moins », régime appliqué en 1918 dans les usines d’armement.

Le principe en était qu’à poste égal, le salaire des femmes devait être inférieur d’un quart, parce qu’elles n’étaient pas censées toucher aux machines, ni pour l’approvisionnement ni pour la maintenance, interdiction présentée comme une mesure de protection.

Considérées comme des mineures, les femmes auraient seulement besoin d’un salaire d’appoint, étant donné qu’il y a toujours un homme, père ou compagnon, derrière elles.

De nombreux textes viennent justifier ce quart en moins, preuve de la mauvaise foi des acteurs de l’époque, des économistes mais aussi, en partie, des syndicalistes. Le salaire des femmes est déterminé par leurs besoins, qui seraient moindres (par exemple « les femmes mangent moins » !), et non en fonction de leur travail.

L’homme, lui, touche un salaire en référence à la valeur de son travail et aux besoins de sa famille. Il faut rappeler que l’abattement sur les salaires féminins a persisté jusqu’en 1946.

Et même en 1936, où d’énormes avancées sociales ont lieu, les femmes sont les oubliées des conventions collectives ! Certes aujourd’hui, le quart en moins est une moyenne (tous postes confondus), ce qui inclut le temps partiel (très féminisé) et la ségrégation professionnelle (les femmes sont cantonnées dans les emplois qui paient moins).

Quand on neutralise ces variables, il reste encore des écarts de 10 % qui sont de l’ordre de la discrimination pure. On perçoit la trace du salaire d’appoint au sujet des temps partiels, avec l’idée sous-jacente que « monsieur est là ».

◗ Quelle conception du travail des femmes se cache derrière les inégalités de salaires persistantes ?

Les emplois à prédominance féminine sont sous-valorisés, sur le plan symbolique et financier ; ils sont moins bien reconnus dans les classifications parce qu’ils correspondent à des compétences traditionnellement attribuées aux femmes et que l’on juge « naturelles », en leur déniant leur technicité.

C’est le cas des soins à la personne, du ménage, de l’éducation des enfants… Par exemple, les diplômes, les années d’étude sont moins bien considérés, ce que dénoncent actuellement les sages-femmes : leurs études (bac + 5) ne vaudraient pas celles des ingénieurs ?

La reconnaissance de la pénibilité privilégie aussi les métiers à prédominance masculine, alors que porter des malades relève bien de l’effort physique.

Quant aux décibels d’une cour de récréation, ils dépassent les seuils tolérés dans l’industrie !
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◗ Quels leviers actionner, en 2014, pour en finir avec ces inégalités ?

Il faut bien évidemment continuer à faire appliquer les lois, si nombreuses, et sanctionner les entreprises qui ne les respectent pas.

Le gouvernement a-t-il la volonté de donner à l’inspection du travail les moyens de remplir cette mission ?

L’urgence est aussi de mobiliser les syndicats, qui doivent s’emparer de ces questions afin que leurs délégué-es puissent, par exemple, analyser les RSC (rapports de situations comparées) et être vraiment force de dénonciation et de proposition. Ils ont fait des progrès, mais il en reste à faire !

Enfin, il faut accompagner les femmes dans leurs démarches, et pour réparer les injustices, et pour accélérer les prises de conscience en médiatisant ces actions.

Deux pistes sont possibles : on peut axer sur la valeur du travail, comme ces assistantes de direction qui ont gagné leur repositionnement dans l’entreprise en se comparant aux techniciens.

Cette reconnaissance (égalité de valeur entre diplôme tertiaire et diplôme technique) se traduit ensuite dans des accords égalité (Schneider électric, CEA).

Ou bien déposer des dossiers individuels de plainte en démontrant les discriminations subies et en évaluant le préjudice sur l’ensemble de la carrière selon la méthode de François Clerc [[http://www.cgt.fr/Discriminations-un-documentaire.html]].

Une autre bataille à mener est celle pour obtenir la possibilité juridique d’actions collectives (à l’instar des associations de consommateurs), ce qui permettrait que toutes les femmes concernées par la discrimination puissent bénéficier de la décision de justice même si elles n’ont pas entamé une démarche individuelle. ●

Propos recueillis
par Cécile Ropiteaux