Ouverture à l’Est…

En termes sociaux et démocratiques l’intégration des ex-pays de l’Est à l’UE, à coups de subventions
et de dumping social, est un marché perdant-perdant pour les peuples

Avant l’entrée de la Pologne dans l’UE, la discussion se focalisa sur l’impact pour le monde agricole. Une politique agricole commune au rabais pouvait détruire une agriculture en difficulté. Une concurrence déloyale qu’il était juste de dénoncer.

Dix ans après, l’agriculture polonaise a survécu et a même profité de l’adhésion à l’UE. Les fonds européens ont largement compensé la faible contribution des aides à la production.

Les pays ayant rejoint l’UE en 2004 ont fondamentalement changé. Les milliards européens ont largement financé (60 à 90 % selon les pays) les investissements publics : autoroutes, écoles, universités, réseau ferroviaire, mais aussi un nombre colossal de trophées pour des élus locaux en mal de cérémonies d’inauguration : aquapark, stades, aéroports dont beaucoup restent fermés et dont les coûts de (non) fonctionnement pèsent au quotidien sur les finances locales.

**L’entrée dans l’UE
signal d’émigration

Dès l’entrée dans l’UE, de nombreux habitants ont émigrés dès 2004 vers le Royaume-Uni, l’Irlande, plus récemment vers l’Allemagne.

Plus de 1,2 million de Polonais ne sont toujours pas revenus de cette émigration et ne reviendront sûrement pas. Dans certains villages lettons, ne restent plus que les enfants et les grands-parents. Émigration et baisse du nombre des naissances posent les bases d’une puissante crise démographique.

Les émigrés ont fui le chômage, des emplois trop mal payés pour assurer autre chose que la survie, des conditions de travail précaires et des relations sociales féodales.

Très peu de Polonais ont quitté l’Irlande percutée par une crise d’une violence redoutable, un chômage de masse, une forte baisse des salaires pour rentrer dans leur pays ce qui en dit long sur la réalité des 10 ans d’appartenance à l’UE et sur le fameux miracle polonais, pays qui, sur le papier, n’a pas connu la crise, mais qui a plus de 13 % de chômeurs et a supprimé plus d’emplois dans la sidérurgie et l’automobile entre 2009 et 2012 que la France.

**Une croissance dopée
aux fonds européens

Cela masque une vraie difficulté en matière de stratégie de développement à long terme.

Le dumping social a atteint ses limites et les écarts de compétitivité se sont largement réduits notamment avec les pays du sud de l’Europe soumis à des plans d’austérité drastiques.

L’entrée dans l’Europe a soutenu une dynamique de délocalisations des emplois, dans l’industrie, et aujourd’hui dans les services. Mais il s’agit d’emplois à faible contenu en compétences, facilement substituables. Les travailleurs des nouveaux pays membres ont paradoxalement une inquiétude plus forte que leurs voisins allemands sur les risques de délocalisation.

Ils ont appris que le capital avait, non pas une nationalité, mais des relations spécifiques à certains États et qu’une entreprise comme Fiat peut rapatrier une production de Pologne vers l’Italie pour d’autres raisons que les coûts de production.

Aujourd’hui, les travailleurs des nouveaux États membres sont encore obligés de se taire et d’essayer d’attraper la petite cerise sur un gâteau toujours plus haut.

**Un élargissement
sans démocratie

La voix des nouveaux membres porte peu, et c’est peut-être mieux pour ceux qui défendent l’idée d’un modèle social européen. Le libéralisme des élites des pays de la vague de 2004 ferait passer les conservateurs anglais pour des enfants de chœur en matière de droit du travail, de relations sociales ou de dialogue social.

Le ver était dans la méthode. Il est difficile de définir comme une « négociation » le processus d’intégration. Il s’agissait de faire intégrer aux pays de l’Est le mode de régulation qui s’est peu à peu construit en Europe occidentale.

Pendant la phase de pré-accession, les grands problèmes traités furent ceux du secteur agricole, de l’harmonisation fiscale, de l’ouverture à la concurrence. Les enjeux sociaux furent toujours mis de côté.

Il est clair que si la plupart des pays membres étaient prêts à intégrer l’acquis communautaire, ils n’en partageaient pas l’inspiration sociale. Il ne s’agissait pas de définir un compromis, mais d’intégrer l’Europe aux conditions fixées par l’Union européenne.

La prise en compte des directives européennes sur le dialogue social, le travail à temps partiel, les CDD, fut une formalité au double sens du terme, formalité administrative et point de détail du processus d’intégration.

L’argent européen a coulé à flots, mais sur le fond le fossé des valeurs reste profond et aujourd’hui ces nouveaux pays membres sont souvent les principaux acteurs de la dénonciation de l’Europe sociale, comme par exemple sur la discussion d’un SMIC européen. ●

Stéphane Portet