Comment faire contre Dieudonné ?

Le succès de Dieudonné doit inquiéter tous les progressistes.
Comment agir contre la haine qu’il déverse ?

En 2005, nous écrivions dans notre revue, alors que Dieudonné venait de parler de « pornographie mémorielle » à propos de la Shoah : « Parti de l’antisionisme et du combat anti – Le Pen, il en arrive aujourd’hui aux mêmes conclusions que le Front National ». A l’automne 2006, l’humoriste se rendait à la fête « Bleu, blanc, rouge » et pactisait avec Le Pen.

Depuis, il n’a cessé d’évoluer vers des positions le plaçant à l’extrême-extrême droite. Son antisionisme est devenu un antisémitisme obsessionnel. Lorsqu’il dirigea la liste antisioniste aux Européennes de 2009, un des porte-parole expliquait que, derrière chaque divorce, il y a un sioniste ! Dieudonné considère que les sionistes (il faut entendre « juifs ») sont derrière le mariage pour tous, qu’il réprouve. Sa dernière sortie, regrettant à propos du journaliste Patrick Cohen qu’il ne soit pas allé dans une chambre à gaz, a fait, à juste titre, scandale. Ses derniers vœux sur internet confirment son évolution ; citons ici ces quelques phrases : « Je n’ai pas à choisir entre les juifs et les nazis. Je suis neutre dans cette affaire. Je suis né en 1966. C’est passé ! Qui a provoqué qui ? Qui a volé qui ? J’ai ma petite idée… » On comprend aisément que, pour lui, les Juifs sont les responsables de leur propre destruction ! Cela renvoie au discours d’Hitler du 30 janvier 1939, où il accuse les Juifs de provoquer la guerre qui vient et annonce qu’elle se terminera par leur extermination. Il a tenu parole !

Si l’évolution de l’ « humoriste » ne souffre plus aucune discussion, le phénomène qui se développe autour de lui et de sa « quenelle » demande réflexion. Dieudonné a eu depuis plusieurs années un certain succès dans les banlieues sur la base de la révolte de jeunes, laissés pour compte par le système soucieux de la question mémorielle de l’esclavage ou de la situation du peuple palestinien, qui reportaient sur les Juifs leurs insatisfactions. Aujourd’hui, l’audience du personnage semble s’élargir, comme en témoigne le fait que plus de 5000 places ont été vendues pour le spectacle de Nantes. Evidemment, tous ceux qui font la quenelle (des hommes en général), ne sont pas des apprentis nazis, mais certains le font devant des lieux comme Auschwitz ou le Mémorial de la Shoah, qui ne laissent aucun doute sur leurs intentions.

Que faire ?

Valls, qui n’a pas donné de gages aux antiracistes, a fourni une réponse très politicienne et contreproductive : la demande d’interdiction. Cette action pose des problèmes : celui de la liberté d’expression, pas tellement celle de Dieudonné (diffuser le racisme ou l’antisémitisme n’est pas une liberté, mais une atteinte à celle des autres), mais parce que cela peut créer un précédent. Surtout, par sa demande d’interdiction, Valls fait de Dieudonné une victime et renforce sa popularité soit – disant « anti – système ». Il fera d’autres spectacles, dans lesquels sa haine des Juifs sera moins apparente. Il continuera à déverser son venin sur internet, comme son ami Soral. On ne supprimera pas l’attrait pour l’antisémitisme par la voie juridique, mais par l’action politique.

C’est là où la responsabilité de la gauche et des antifascistes est essentielle. Par l’action contre les discriminations qui minent notre société, mais aussi par la mobilisation contre les initiatives de Dieudonné : divers collectifs anti – fascistes ont annoncé des manifestations dans les villes où l’antisémite se produit. Il faut montrer que celles et ceux qui luttent vraiment contre les injustices sont contre Dieudonné, parce que ses propos n’aident en rien les opprimés, mais les divisent.
La responsabilité des enseignant-es est également importante. En termes d’action sur les programmes scolaires, pour obtenir que l’histoire de l’esclavage, par exemple, soit effectivement traitée en tant que telle dans les programmes scolaires et non pas comme un fragment de l’histoire de l’Europe au travers du commerce triangulaire. Mais aussi en montrant aux jeunes que la Shoah appartient à tous comme symbole de l’oppression et de la négation de l’autre. La nier ou vouloir réduire l’importance de sa mémoire, c’est s’attaquer à toutes les victimes des discriminations sur
cette terre. ●

Robert Hirsch (Paris)