Grèce : extension des domaines des luttes

Chaque jour, la situation en Grèce empire… On assiste en ce moment à un chantage intense du FMI et de l’Union Européenne pour accorder leur nouvelle tranche du prêt de 110 milliards et les conditions encore plus draconiennes d’un nouveau mémorandum sont dans l’air.

On pourrait consacrer un article entier aux effets terribles des mesures mises sur pied pour obtenir ce que la presse bien-pensante ose qualifier “d’aide” : le chômage grimpe en flèche (9,2 % en mars 2009, 11,6 % en 2010, 16,2 % en mars 2011) ; de très nombreux commerces ferment, y compris en plein centre d’Athènes ; des fermetures d’écoles fusionnées avec d’autres ; des menaces sur les hôpitaux…

En prime, les dirigeants du FMI et de l’UE multiplient désormais les pressions pour que les mesures soient assurées du vote unanime de l’Assemblée nationale, et souhaitent carrément un gouvernement d’union nationale. Comme d’habitude, Giorgos Papandreou, le très socialiste 1er ministre (par ailleurs président de l’Internationale socialiste), se soumet à ces exigences, et il n’est pas un jour sans entendre de sa bouche l’importance de l’unité de la nation face à l’épreuve, unité indispensable puisque, selon lui, les mesures de mai 2010 sont la seule voie…

Or, comme le disent depuis un an les centaines de milliers de manifestants qui ont battu le pavé dans toutes les villes du pays, ce n’est justement pas la seule voie ! Les mots d’ordre principaux, même dans des syndicats dirigés par des bureaucrates du PASOK, sont très clairs : ce n’est pas aux travailleurs de payer “leur” crise, la crise du capitalisme ! Alors, quand les principaux partis, PASOK, droite et extrême-droite avant tout, envisagent à des degrés divers la possibilité d’une politique d’union nationale, on comprend ce qu’exprime le “mouvement des indignés”, qui a vu depuis 3 semaines travailleurs de tous les secteurs, retraités et surtout des centaines de milliers de jeunes envahir toutes les places du pays.

Un mouvement en phase
avec les luttes ouvrières ?

Le mouvement est parti bien sûr de l’initiative espagnole et semble avoir été lancé par un groupe informel à travers mails, blogs et autres moyens. Ce qui est sûr, c’est que le soir du 22 mai commençait son installation au centre d’Athènes, sur la place Syntagma, face au Parlement. Et très vite la dynamique a pris, jusqu’à l’immense rassemblement du dimanche 5 juin, dans le cadre de la journée européenne, où des centaines de milliers de personnes ont manifesté dans Athènes et aussi dans de très nombreuses villes du pays. Quelles sont les caractéristiques de ce mouvement ? A première vue, on voit surtout des drapeaux grecs et des cris – “voleurs !” – répétés contre le Parlement. Ce n’est pas forcément ce qui rassure sur la nature du mouvement, et la présence de l’extrême droite, même masquée, est évidente : elle voudrait bien entraîner au moins un courant sur sa ligne : « la patrie en danger devant l’étranger, qu’il soit le FMI ou les immigrés ». Mais à ce jour, ce sont heureusement les mots d’ordre de la mouvance radicale et anticapitaliste qui dominent et sont repris par des dizaines de milliers de personnes. Les stands sur la place, l’organisation matérielle montrent la très forte présence de la gauche antiraciste, des mouvements contre les mesures, de la gauche syndicale. Les débats du soir (assemblée populaire dans laquelle s’expriment des centaines de personnes), même s’ils sont parfois tendus, se concentrent sur la question pratique : comment refuser les mesures antipopulaires ?

Dans le sillage de l’occupation des places, ont lieu de nombreuses actions : blocage des députés au Parlement, de ministres ou députés en visites locales, initiatives comme les rassemblements à Athènes et à Salonique autour du chanteur symbole que reste (malgré des accents nationalistes) Mikis Theodorakis, débat économique à Syntagma sur la dette…

La caractéristique principale, c’est l’accent mis sur la démocratie directe, avec en contrepartie une condamnation qui pourrait devenir contreproductive de la forme “parti politique”. Par contre, les grèves et mobilisations ouvrières sont saluées et invitées à passer par la place. Ceci est capital : si l’on peut penser que l’une des raisons du succès de l’actuel mouvement est le dégoût par rapport aux politiques syndicales nationales (grèves de 24 heures assez espacées pour éviter une reconduction), il faut rappeler que chaque jour, des secteurs sont en grève ! Jeudi 8 juin, la grève des entreprises publiques contre la privatisation a été très suivie, la manif athénienne importante. Et le 15 juin doit avoir lieu une nouvelle grève générale, qui pourrait faire le lien avec le mouvement des indignés.

L’avenir de ce mouvement semble donc lié à deux conditions : clarifier ses perspectives politiques, sur fond de mobilisations ouvrières, mais aussi peser dans le sens de l’unité d’action de la gauche radicale et anticapitaliste, qui ne peut offrir la moindre alternative politique telle qu’elle est aujourd’hui.

Correspondant EE,
Athènes, le 11 juin 2011.