Marcel Valière : redécouvrir une grande figure de l’Ecole Emancipée

Il y a quarante ans disparaissait Marcel Valière. Instituteur, à la tête
de la Fédération unitaire
de l’enseignement dans
les années 1930 puis principal responsable
de l’Ecole Emancipée
à la Libération,
il est à ce titre co-fondateur de la Fédération
de l’éducation nationale (FEN) en 1948. Belle figure un peu oubliée, Valière mérite de sortir de l’ombre.

Né à Sète en 1905 dans une famille ouvrière, il réussit le concours d’entrée à l’Ecole normale. Comme des milliers d’enfants du peuple, devenir instituteur est alors l’une des principales formes d’ascension sociale. Loin de basculer dans la petite bourgeoisie, il fait, à la manière de ses collègues syndicalistes de l’époque, du « refus de parvenir » un viatique constant. Très jeune il est déjà un rebelle : à vingt ans, il refuse de suivre la préparation militaire lors de son service national. Devenu instituteur dans l’Hérault, il adhère à la Fédération unitaire de l’enseignement (FUE). Membre de la CGTU, la FUE est dirigée par des syndicalistes révolutionnaires qui luttent à la fois contre les pratiques staliniennes de leur direction confédérale et contre la concurrence du puissant Syndicat national des instituteurs qui est membre de la CGT réformiste. Refusant l’alignement inconditionnel sur le PC mais maintenant une ligne révolutionnaire, les militants de la FUE font preuve d’une abnégation remarquable.

Avant la guerre…

Marcel Valière publie ses premiers articles dans l’école Emancipée qui est la revue de la Fédération. En 1932, il entre dans les instances nationales de la Fédération avant d’en prendre la direction en août 1935 lors du congrès d’Angers. Il va devoir négocier un tournant majeur dans l’histoire syndicale : la réunification CGT-CGTU dans le domaine de l’enseignement. Répondant au tournant stratégique de l’Internationale communiste qui, en quelques semaines, passe d’un sectarisme stérile à un opportunisme sans principe, et à la poussée unitaire des masses contre le fascisme, les deux confédérations entament un processus de fusion. Vidée de sa substance par ses pratiques staliniennes, la CGTU est largement minoritaire face aux réformistes de la CGT. Invité à venir s’exprimer en septembre 1935 au congrès des enseignants de la CGT, Valière y défend l’unité mais y pose quelques préalables comme le droit de tendances, la lutte immédiate contre la crise et le fascisme, et la perspective d’une société socialiste. La fusion des deux syndicats de l’enseignement se déroule en décembre et fait naître une nouvelle Fédération de l’éducation nationale.

Comment peser dans cette nouvelle organisation dominée par les réformistes ? En avril 1936, Valière et ses camarades décident de maintenir la revue école Emancipée et d’en faire un organe défendant une ligne de rupture avec le stalinisme et le réformisme. Responsable de la revue, il tente de coordonner l’activité des instituteurs voulant faire vivre cet héritage, cela d’autant plus que de jeunes instituteurs du SNI regardent cette publication avec sympathie. En 1936, il encourage les grèves avec occupations d’usines et dit, avec constance, sa méfiance devant le Front populaire, auquel participe le parti radical, parti bourgeois qui n’a rien à voir avec le mouvement ouvrier. Il dénonce la trahison des dirigeants de la CGT réunifiée et du PCF, qui appellent les travailleurs à « savoir terminer une grève » à l’été 1936. Il prend également position contre les procès de Moscou et dénonce, dans les colonnes de l’Ecole Emancipée, l’élimination des militants espagnols du POUM et de leur leader Andrés Nin en 1937.

Face aux menaces de guerre, Valière défend jusqu’au bout une stratégie de classe qui se résume au slogan : « si tu veux la paix, fais la révolution » ! Il est l’un des rares instituteurs de l’Hérault à répondre à l’appel à la grève du 30 novembre 1938. Cet échec marque le deuil des espoirs nés de la grève générale de 1936. En septembre 1939, Valière est mobilisé. Fait prisonnier en 1940, il parvient à s’évader avant son transfert en Allemagne. Il reprend un poste dans une école rurale de l’Hérault, mais rattrapé par son passé, il est sanctionné par Vichy en 1941. Il entre en résistance aussitôt, abandonne l’enseignement et participe aux combats du groupe l’Insurgé ainsi qu’à la reconstruction du SNI clandestin. Il échappe de peu aux arrestations de la Gestapo à Montpellier à l’été 1943.

La FEN et la relance
de l’école Emancipée

La Libération venue, il reprend sa place au sein du SNI dont il dirige la section de l’Hérault. A la tribune même du congrès de la CGT de 1946, il combat l’orientation qui accompagne la reconstruction du capitalisme en France. Fort de ses quatre millions de membres, la CGT devrait plutôt, selon lui, combattre le gel des salaires et le rationnement. Désormais contrôlée par les communistes auréolés du prestige de la Résistance, la confédération est en voie de devenir une courroie de transmission de l’appareil stalinien.

Dans la fédération de l’éducation, la majorité est solidement détenue par les réformistes du SNI dont Valière va se rapprocher contre les staliniens. En 1947, la logique de guerre froide s’installe : le PCF est expulsé du gouvernement Ramadier et la CGT se lance dans une série de grèves insurrectionnelles violentes mais minoritaires. La logique de division l’emporte et la scission est consommée en décembre 1947, avec la création de la CGT-FO par les minoritaires refusant l’alignement inconditionnel derrière la bureaucratie soviétique. Immédiatement, les rédacteurs de l’école Emancipée refusent cette division qui fait le jeu du patronat ; au Conseil national de la FEN du 29 décembre 1947, Valière déclare : « Nous renvoyons dos à dos Jouhaux (FO) et Frachon (CGT) qui étaient d’accord en 1946 pour une politique qui est à l’origine de la condition misérable des travailleurs ». Dès janvier-février 1948, l’autonomie apparaît comme la seule manière d’éviter l’éclatement de la FEN entre les partisans de la CGT et le courant réformiste tenté de rejoindre FO.

En avril 1948, le congrès de la FEN choisit la voie de l’autonomie et c’est Marcel Valière qui co-rédige avec René Bonnisel, militant majoritaire du SNI, son acte de naissance. Cette motion fondatrice reconnaît le droit démocratique de s’organiser en tendances, prévoit l’élection des responsables à la proportionnelle à tous les niveaux de la Fédération, l’indépendance totale à l’égard des partis et des Eglises, et se prononce pour la réunification à terme du mouvement syndical dans une grande confédération unitaire. Les trois composantes de la FEN sont alors en place pour quarante-cinq ans : le courant majoritaire proche de la SFIO (plus tard UID) qui dirige la FEN et le SNI, le courant dit cégétiste (plus tard UA) dirigés par des militants du PC et l’Ecole Emancipée, héritière du syndicalisme révolutionnaire et qui accueille en son sein des socialistes de gauche, des libertaires et des trotskystes.

Marcel Valière fait vivre cette nouvelle FEN autonome en siégeant au bureau national du SNI pour l’EE avant de laisser sa place au début des années 1950, au nom de la rotation des mandats. Il prend aussi toute sa part à la mise en place de la MGEN, mutuelle construite par et pour tous les enseignants. Il suit toujours de près l’orientation de l’école Emancipée, continue d’écrire régulièrement dans la revue et prend part à la rédaction du manifeste de la tendance en 1954. Ce texte rappelle les fondamentaux du courant dont nous sommes les héritiers : la lutte des classes, la nécessité de construire un outil syndical unitaire et démocratique, le refus de s’aligner sur une bureaucratie politique ou un quelconque impérialisme, une laïcité intransigeante, la rotation des mandats syndicaux, une pédagogie libératrice, un combat sans faille contre la hiérarchie, la nationalisation laïque du système scolaire et l’unification du statut enseignant autour d’un corps unique syndiqué dans une fédération d’industrie.

Valière prend peu à peu du champ avec le militantisme actif mais se positionne fermement dans la scission qui traverse l’école Emancipée en 1968-1969. Aux côtés d’anciens dirigeants de la FUE des années 30, il prend parti en faveur des camarades réaffirmant les principes fondateurs de la tendance contre d’autres militants, proches de l’OCI, qui créent une EE-FUO, avant de rejoindre FO quelques années plus tard.

Marcel Valière s’éteint en août 1973, au terme d’une vie de lutte toute entière consacrée au combat pour la victoire des exploités. Révolutionnaire, internationaliste, anti stalinien et partisan d’un socialisme démocratique et autogestionnaire : les combats de notre camarade Valière n’ont pas pris une ride. En 2013, c’est cet héritage que nous voulons faire fructifier dans la FSU en continuant la construction d’une tendance offensive, unitaire et prête à la lutte aux côtés des personnels. ●

Julien Guérin (77)