A l’Intérieur, on valse sur des airs trop connus

A droite il passerait inaperçu, à gauche la place centrale qu’il accorde à la « Sécurité » et l’idée qu’il se fait
d’une « gauche rénovée » lui assurent d’être toujours bien visible, ce qui, pour lui, semble au moins aussi important que ses convictions. Manuel Valls a endossé un costume de « premier flic de France». La politique qu’il met en œuvre rappelle bien trop celle de son prédécesseur et illustre ce qu’il prétend régulièrement : les frontières entre la gauche et la droite se sont estompées, en particulier autour des questions de sécurité.

En février, dans une allocution à Bruxelles, le ministre, en exposant sa conception de la sécurité, a cherché à l’inscrire dans l’histoire de la gauche. Il y porte aussi une affirmation, tirée de Saint-Augustin, qui lui sert de fil à plomb : « il y a pire qu’un ordre injuste : le désordre ! ». En dehors du fait que la définition du désordre selon Valls -mêlant délinquance, grand banditisme, terrorisme et action syndicale ou politique- n’est pas la nôtre, voilà qui explique sa politique et ses priorités.

Le nouveau Clémenceau…

Quand il dit que la violence fait mal d’abord aux plus faibles d’entre nous, difficile de le contredire. Quand il dit que son boulot c’est de faire en sorte que cette violence ne s’ajoute pas à l’insécurité sociale dont sont victimes les personnes les plus fragilisées cela pourrait être entendable si, par ailleurs, il était un ardent défenseur d’une société égalitaire et solidaire. Le problème c’est que Valls fait partie de ces personnalités de gauche qui œuvrent à la « réconciliation de la Gauche et du
Libéral ». Cela fait de lui un ministre de l’intérieur qui lutte contre le « désordre » mais aussi pour l’ordre établi aussi violent et cynique soit-il. Les propos et les poursuites engagées contre des syndicalistes d’Arcelor en témoignent. Valls condamne leur action alors qu’ils se battent pour leur emploi, les accuse de violence sans tenir compte, ni de la justesse de leur combat, ni de la violence sociale que l’Etat et le patronat leur font subir.

Quand on renonce à faire le lien entre injustice sociale, délitement du lien social, perte de légitimité de l’Etat et de ses acteurs -du Président au simple fonctionnaire- alors ce qui différencie de la droite se résume effectivement à pas grand-chose. Et on nous ressert la crise de l’autorité, la peur des ennemis de l’extérieur comme de l’intérieur, la nécessité de frapper vite et fort. On désigne les mêmes boucs émissaires, on piétine au passage Christine Taubira, qui affirme vouloir rompre avec une politique judiciaire totalement inféodée aux préoccupations d’ordre public depuis 2002, année de l’arrivée de Sarkozy place Beauvau.

Et les Roms, encore…

Si Manuel Valls n’utilise pas le même vocabulaire que ses prédécesseurs, personne n’est plus dupe de l’option « tout sécuritaire » au lieu de l’éducatif qui est mise en place. La liste des sujets qui fâchent s’allonge : récépissé de contrôle d’identité où il décide de ménager les policiers et leurs syndicats, droit de vote des résidents étrangers repoussé aux calendes grecques pour ne pas donner de signal d’un pays ouvert à l’accueil, loi décriminalisant le délit de solidarité vidée de sa substance, des opinions sur la délinquance des mineurs qui renvoient au débat sur les centres fermés. Et puis, dernière en date, ses propos discriminants et ethnicisants sur les Roms devraient lui valoir, comme ce fut le cas pour Brice Hortefeux, une plainte de la part d’associations de Roms et, espérons-le, une condamnation. Il poursuit les expulsions et les démantèlements de
terrains de Roms, préférés à l’intégration, sans aucun respect des personnes et de leur droits.

Le durcissement des politiques migratoires, sous couvert de crise, montre que rien n’a changé. La mise en place d’une loi d’exception concernant la garde à vue en est une des images fortes. Il s’agit d’une mesure de contrainte expressément destinée à faciliter la mise en œuvre des mesures d’éloignement. En parallèle, les différentes circulaires en direction des préfets montrent bien la continuité, même si la notion de chiffrage a disparu du vocabulaire. L’ambiance est bien la même.

Et pourtant, des résistances s’organisent encore faibles, encore étouffées. Car les luttes s’étaient mises en semi-sommeil à l’arrivée de Hollande, espérant le changement… Il est urgent de reprendre le chemin de la mobilisation unitaire sur ces terrains. ●

Brigitte Cerf et Edwige Friso