Critiques de livres jeunesse (revue n°33)

Filles d’album

Plusieurs études ont montré à quel point la littérature jeunesse, tout comme d’ailleurs les manuels scolaires, laissent aux représentations féminines une place limitée et le plus souvent empreinte de préjugés confinant à la caricature.

Soucieuse de voir ce qu’il en est aujourd’hui, Nelly Chabrol Gagne nous livre les résultats de sa vaste enquête portant sur plus de trois cents albums parus en français au cours du troisième millénaire. Centré sur les seules représentations des filles de tous âges, à l’exclusion des personnage animalisés ainsi que des personnages de contes qui nécessiteraient selon elle des études spécifiques, le corpus retenu, assez vaste on le voit, rassemble des albums choisis en fonction de critiques favorables lues dans la presse spécialisée ou que l’auteure a elle-même sélectionnés. Bref c’est bien la production que l’on pourrait dire de qualité qui est ici questionnée. La portée de l’enquête n’en est que plus forte.

Divisé en chapitres correspondant aux différents âges de la vie des personnages représentés, l’ouvrage se présente donc comme une réflexion s’appuyant successivement sur les différents albums du corpus qui font à chaque fois l’objet d’une critique développée, approfondie et illustrée. Il convient à ce propos de souligner la qualité magnifique de l’édition de ce livre dont l’iconographie abondante – plusieurs pages de chaque album critiqué sont systématiquement reproduites en contrepoint du texte – est absolument impeccable et rend sa lecture extrêmement plaisante.

Que retenir à l’issue de la lecture des pages denses et stimulantes de cet essai ? Certes la représentation des filles évolue et il est évident que de très nombreux-ses auteur-es cherchent à remettre en cause, avec audace et talent, préjugés et surdétermination. Il n’en reste pas moins que le plus souvent, le genre n’en est que très modérément troublé, pour reprendre l’expression de Judith Butler dont les travaux ont été mobilisés par l’auteure. Les critiques rigoureuses de Nelly Chabrol Gagne montrent que, trop souvent, derrière les meilleures intentions subsistent de manière insidieuse et discrète certains clichés sexistes et, au final, le constat des études précédentes demeure.

Pour autant, la sévérité de l’auteure pour son objet d’étude est contrebalancée par sa propension à souligner les audaces et les richesses que recèle aussi la littérature d’albums contemporaine. Pour les lecteurs d’albums (qui ne sont pas, comme le souligne l’auteure, que les enfants à qui ils sont à priori destinés), cet essai est une invitation stimulante à une nécessaire et salutaire prise de conscience critique et, pour les auteurs et éditeurs, à davantage d’audace : « N’est-il pas temps d’oser les filles, toutes les filles, et pas seulement celles qui s’enferment et que l’on enferme dans le cercle vicieux des attentes sociales ? » ●

Stéphane Moulain

Nelly Chabrol Gagne, Filles d’album. Les représentations
du féminin dans l’album (L’atelier du poisson soluble)

Et pourquoi pas toi ?

Drôle d’album que celui-ci publié récemment par les éditions suisses Notari. Dépourvue de texte, chacune de ses pages représente un personnage. Mais elles sont toutes découpées dans le sens de la largeur de sorte que l’on peut associer à sa guise les différentes demi-pages pour composer les personnages les plus divers.

A droite, ils sont systématiquement habillés en bleu tandis que ceux de gauche sont en rouge, un rouge un peu écarlate, proche du rose.

Mais ils peuvent être homme ou femme et s’adonner aux tâches les plus variées : faire du surf, donner à manger à un enfant malade, bricoler, étendre le linge, s’adresser à un public derrière un pupitre, pousser un caddie, lire une histoire à des enfants, pousser le fauteuil roulant d’une dame âgée, composer un bouquet de fleurs, conduire un tracteur, observer quelque chose au microscope…

Quel que soit leur positionnement initial, les personnages s’adaptent tous parfaitement aux diverses activités qui leur sont attribuées arbitrairement par le lecteur au fur et à mesure qu’il feuillette l’album, montrant par là-même qu’il n’y a nulle activité prédestinée à un type de personnage. Ainsi pour chaque activité présentée et ce quel que soit son sexe ou sa couleur de peau, le (jeune) lecteur peut se dire répondant à l’injonction du titre : et pourquoi pas moi ? ●

SM

Madalena Matoso, Et pourquoi pas toi ?
(éditions Notari).