L’Italie dans la crise

Niée par Berlusconni jusqu’au moment où, face aux attaques du système italien
par les pouvoirs financiers, il a fallu se rendre à l’évidence, la crise est bien là et fait de sérieux dégâts.
La mise en place d’un nouveau gouvernement dit « technique » ne change pas fondamentalement la donne. Le prétexte de l’austérité sert à justifier une politique anti-sociale et anti-salariés
qui vise des acquis fondamentaux des travailleurs.

L’année 2011 a été marquée en Italie par une brutale et dramatique accélération de la crise économique. Et parallèlement, par une brusque accélération de l’action anti-ouvrière du gouvernement et du front patronal, dirigé par la Confindustria et sa présidente, Emma Marceaglia.

Primo, la dévastatrice explosion de la « bulle financière » des subprimes s’est combinée à l’effet récessif de la politique de déflation salariale qui a fortement amputé, ces vingt dernières années, les revenus des salarié-es, que ce soit les revenus directs (salaires nets), les revenus indirects (prestations sociales) ou différés (pensions). Les rétributions réelles des travailleurs italiens, qui se plaçaient au début des années 80 au 7ème rang international, ont dégringolé à l’avant-dernier rang de l’Union européenne. Face à cela, le marché intérieur s’est réduit et l’international n’est plus en situation d’absorber la production italienne. Licenciements, chômage partiel et mobilité se développent de manière exponentielle et les prévisions pour les prochains mois sont encore plus sombres.

Secondo, pour diminuer encore plus le coût du travail et rendre plus « compétitive » la production italienne, pour tuer dans l’oeuf toute tentative de résistance ouvrière, patrons et gouvernement profitent de la crise et des mille chantages sociaux qu’elle déchaîne. Ils veulent en finir avec ce qui reste de la force et des conquêtes ouvrières des dernières décennies, en particulier avec quelques unes des « rigidités » contractuelles restantes, et surtout avec la cohésion et les garanties assurées par les contrats nationaux, les tutelles du Statut des travailleurs de 1970.

Des erreurs
de stratégies syndicales

Les principales confédérations syndicales (la CGIL, d’origine « eurocommuniste », la CISL, d’origine démocrate-chrétienne, et UIL, liée à la droite du Parti socialiste) portent de lourdes responsabilités dans cette situation, ayant partagé pendant des décennies la politique de restriction salariale (en particulier après la disparition de l’échelle mobile des salaires et la signature du « pacte de concertation » de 1992-1993), les choix de privatisation et/ou libéralisation d’une grande partie des services publics (transports, énergie, télécommunications, banques, assurances, etc.) et la coupe dans les pensions publiques avec introduction d’une part « intégrative » privée. La CGIL, sans parler des autres confédérations, a même accepté que le monde du travail se fragmente toujours plus, en ne s’opposant pas aux mesures de précarisation contractuelle, surtout celles adoptées par le gouvernement de centre-gauche (voir le paquet Treu), en laissant proliférer les externalisations, en consentant à ce que le patronat réduise le coût moyen du travail et fasse porter la charge la plus lourde sur les secteurs les plus fragiles et les moins organisés comme les jeunes, les femmes et les immigrés.

Berlusconi lâché par ses amis

Mais, ces derniers mois, le gouvernement Berlusconi, qui avait, pourtant pendant des années, rendu d’importants services aux classes dominantes et qui avait bénéficié en conséquence d’un appui enthousiaste de la part du groupe dirigeant de la Confindustria, a vu l’organisation patronale passer progressivement, puis, de plus en plus nettement, à l’opposition.

La caractéristique de Berlusconi a toujours été de nier l’objectivité matérielle de la crise qui, d’après lui, loin d’être l’effet de mécanismes économiques réels, était plutôt causée par le « pessimisme » de la gauche. Pour prouver l’inexistence de la crise, le président du Conseil, à un Sommet européen en novembre, en était arrivé à déclarer que « les restaurants étaient pleins » et que donc l’argent ne manquait pas ! De plus, ces derniers mois, le gouvernement de droite se révélait toujours plus paralysé par ses crises internes et toujours plus discrédité au niveau international par de nombreux scandales. En somme, un gouvernement source de conflictualité politique permanente et largement incapable de gérer une phase aussi complexe et difficile.

En même temps, la crise de la dette a explosé en Italie. La BCE a imposé au pays l’adoption rapide de lourdes mesures d’austérité, de coupes budgétaires, vécues comme une politique de « boucherie sociale ». Ainsi, le président de la République Giorgio Napolitano, ex-dirigeant de l’aile la plus modérée du parti communiste italien, a obtenu la démission du gouvernement et a prévu de lui substituer un nouveau gouvernement qui a, sans difficulté, reçu l’appui de 90 % du Parlement (à l’exception de l’extrême droite de la Ligue Du Nord).

Le gouvernement Monti

Ce gouvernement apparaît au patronat et aux pouvoirs financiers beaucoup plus adapté que celui de Berlusconi face à la crise économique, en raison de l’orthodoxie libérale du premier ministre Mario Monti et de tous les autres principaux ministres. L’absence de toute vocation populiste, les liens organiques que quelques-uns d’entre eux ont avec le monde des banques (le numéro deux du gouvernement, Corrado Passera, était encore récemment l’administrateur délégué d’un des plus grands groupes bancaires italiens) mais également la continuité revendiquée avec le précédent gouvernement sur tous les choix les plus appréciés par le patronat (comme la réforme de l’université et celle des contrats de travail) confortent la confiance de celui-ci.

De plus, ce gouvernement, composé à 100 % de ministres et vice-ministres «techniques» (terme utilisé pour souligner leur extériorité à la politique professionnelle), apparaît comme moins frappé par le discrédit que le monde politique de droite ou de gauche s’est attiré dans l’opinion publique et, surtout, moins intéressé à cultiver et à conserver un consensus social. Il apparaît ainsi comme le gouvernement le plus adapté à prendre des mesures lourdement anti-populaires et à les faire passer au Parlement et dans le pays, en utilisant le chantage de la catastrophe qui arrive.

Des premières mesures
dramatiques

Ainsi, le 4 décembre, après trois autres mesures financières prises par le précédent gouvernement au printemps et en été (70 milliards de coupes budgétaires), le gouvernement a approuvé un décret-loi qui prévoit 25 autres milliards de coupes et qui s’attaque avec violence au système des retraites, déjà gravement compromis par vingt ans de réformes néo-libérales. Les pensions de retraite qui permettaient, à ceux qui avaient commencé à travailler très tôt, de partir avant l’âge requis (âge qui vient d’être porté même pour toutes les femmes à 65 ans) seront réduites de façon substantielle. Le système de calcul sera aggravé pour tous, alors que seules les retraites inférieures à 500 euros bénéficieront du rattrapage annuel de l’inflation.
Mais il ne s’agit pas que des retraites : le financement des régions et des communes est réduit de cinq autres milliards d’euros. Celles-ci devront donc augmenter les impôts locaux et réduire la santé publique et tous les autres services, en particulier les transports. Les taxes indirectes seront augmentées, 2 % pour l’IVA qui s’ajoutent au 1 % déjà décidé par Berlusconi, ainsi que les taxes sur l’essence et la taxe municipale sur les bâtiments, qui affecte le droit au logement, sera réintroduite.

La férocité de la mesure a même poussé la direction modérée de la CGIL à durcir le ton et à envisager des formes de lutte bien que l’appui au gouvernement de la part du centre-gauche ne rend pas facile le mot d’ordre de grève générale qui certainement serait la riposte la plus naturelle à ce décret de classe. Au bout du compte, CISL et UIL, qui avaient toujours eu une attitude conciliatrice lors des conflits avec le gouvernement précédent, sont amenées à durcir le ton. Les seuls enthousiasmés par le décret sont les dirigeants de la Confindustria qui, au passage, encaissent une petite réduction de la taxe sur les entreprises.

Le plus grave est la question de la dette publique (environ 1 900 milliards, 120 % du PIB), qui grandit de jour en jour à cause de la spéculation des banques et des pouvoirs financiers.

Dans cette période, la discussion qui s’est ouverte autour de la légitimité du paiement de cette dette, à partir notamment de l’appel lancé par le Comité « NO Debito » rejoint par de nombreuses forces politiques anticapitalistes, des mouvements de jeunesse et quelques syndicats de base, apparaît comme extrêmement importante. ●

Fabrizio Burattini, direction nationale de la CGIL

Traduction : Isabelle Sargeni-Chetaud