Masters en alternance : se frotter au « terrain » mais à quel prix ?

L’un des problèmes majeurs engendrés par la mastérisation (mise en œuvre selon le pire des scénarios possibles) est la disparition d’une année de fonctionnaire-stagiaire pendant laquelle
la formation était construite sur l’alternance : des stages de pratique accompagnée ou en responsabilité, préparés, suivis et permettant un retour sur expérience.

La « mastérisation » a conduit à la mise en place de deux années de « formation », avant un éventuel recrutement par concours, durant lesquelles cette « formation » est des plus éloignée de cette expérience de terrain. En fait, les lauréats frais émoulus des concours exercent à temps plein en responsabilité, avec des reliquats de formation en plus d’emplois du temps déjà très chargés.

L’annonce d’une expérimentation de « masters en alternance » pour la rentrée 2011 a pu sonner comme un chant de sirènes bien séduisant pour tous ceux qui regrettaient une telle déconnexion entre formation théorique et pratique, mais le risque de « boire la tasse » pour les étudiants, malgré les avantages escomptés d’un tel dispositif, est bien réel.

Cumul de difficultés

Ces masters en alternance, réglementés par une circulaire tardive, publiée après la rentrée(1), ont été ouverts en fait dans un peu plus d’une dizaine d’académies, surtout dans les formations préparant au métier de PE et dans une moindre mesure au second degré. Les étudiants enseignent en responsabilité une journée ou deux demi-journées par semaine. Le nombre d’inscrits, sélectionnés sur dossier, est resté relativement modeste : les difficultés soulevées par ce type d’alternance sont en effet multiples.
Ce dispositif n’est formateur qu’avec un accompagnement spécifique, impliquant préparation, suivi et retour sur expérience. Or, il n’a pas nécessairement entraîné de modification des maquettes existantes pour permettre la délivrance du même diplôme qu’aux autres étudiants. Ce qui signifie un alourdissement de la charge de travail pour ceux qui ont choisi « l’alternance » et s’est manifesté par une fatigue importante et plus précoce que l’année précédente, notamment en année de M2. Lorsqu’un dispositif de suivi de stage spécifique a été mis en place (annoncé par l’IUFM de l’académie de Versailles par exemple) ainsi que, symétriquement, des allègements de formation, on peut se demander quels autres aspects du master ont été « rognés » : préparation au concours ? Initiation à la recherche ? On touche du doigt la quadrature du cercle.

… profs précaires, à bas coût

Les conséquences d’une telle formation en alternance ne peuvent être déconnectées de l’enjeu du recrutement des enseignants. Si les modalités de stage en alternance mettent en péril les chances des étudiants de se préparer aux épreuves de concours, ce dispositif aura conduit à créer un vivier d’étudiants titulaires d’un master ayant échoué aux concours, mais ayant plus d’aisance à la conduite d’une classe que d’autres étudiants lauréats des concours et plus solides sur le plan des compétences dites académiques. Ceci en ferait des candidats potentiels à la contractualisation et à la précarité. C’est le risque d’une formation plus professionnalisante, sans garantie de recrutement dans un corps de la Fonction publique. Comment faire passer en douceur la défonctionnarisation du métier d’enseignant en paraissant répondre à certaines attentes des étudiants et aux besoins d’une formation plus en interaction avec « le terrain » que le dispositif de « masterisation » première mouture…

Enfin, les étudiants sont-ils rémunérés à la mesure de ce qui a été annoncé au début de l’été 2011, entre 3 000 à 6 000 € annuels, selon les annonces ministérielles ? Evidemment non. La circulaire parue à la mi-septembre a réinitialisé les compteurs. Les étudiants ne sont pas payés sur une base contractuelle annuelle mais en fonction du décompte précis des heures faites, comme des vacataires. Par exemple, dans l’académie de Créteil, 24 heures en septembre, mais 18 heures seulement en octobre, c’est-à-dire 714,84 € net pour ces deux mois, ce qui reste faible et bien inférieur à la situation des anciens PE2.

L’expérimentation malheureuse de ce type d’alternance impose donc de repenser les conditions d’une véritable formation en alternance et à poser clairement la question du (pré-)recrutement et du statut des futurs enseignants. ●

Marie-Albane de Suremain,
SNESup, IUFM de Créteil

1) Pour une analyse détaillée de cette circulaire,
voir : http://www.snesup.fr/Presse-et-documentation?aid=5852&ptid=5&cid=2650