Education ! Coéducation ! De quoi parle-t-on ?

L’éducation ne peut être le fait exclusif d’une personne ou d’une institution.
C’est l’ensemble des influences voulues ou subies qui concourent au développement de la personne humaine.
Elle ne se restreint ni à la sphère scolaire, ni à la sphère familiale, ni à celle du temps libre.

Ceci posé, passons à la notion de coéducation qui recouvre des réalités multiples. Souvent associée au terme, non exempt d’ambiguïté, de soutien à la parentalité, elle se rapporte aux relations parents-professionnels. Pour les parents cette intrusion de professionnels dans le champ familial peut d’ailleurs être vécue comme une remise en question de leurs compétences parentales.
Au plan historique, on retrouve une première manifestation de la coéducation, dans l’éducation populaire, par tous, pour tous. Les activités post et périscolaires vont en être une autre manifestation, sans toutefois viser à rassembler les différents acteurs de l’éducation.

Au plan concret, la coéducation est la réunion de différents acteurs de l’éducation pour tenter de proposer des activités dans un ensemble cohérent avec le temps des enfants et des jeunes, et avec les réalités locales. Un certain nombre de dispositifs institutionnels comme les plans ville Borloo, les plans banlieues, les projets REP, et pour finir, le fameux accompagnement éducatif, se sont empilés ces dernières années. Et malgré un affichage de politiques de la ville, ces dispositifs, dont certains mènent à des interventions sur les temps scolaire et périscolaires n’ont pas ou peu de coordination et de cohérence entre eux. Parmi eux, les Projets Educatifs locaux, qui avaient pourtant comme objectif de favoriser ce travail collectif.

Des projets éducatifs locaux aux Contrats éducatifs locaux

Les objectifs de départ des Projets Educatifs Locaux (PEL) étaient bien de fédérer les énergies existantes sur un même territoire et de concevoir le plus intelligemment possible le temps libre des enfants et des jeunes en associant à cette réflexion tous les partenaires concernés.

L’idée était donc de globaliser les énergies, de prendre en compte les réalités locales mais aussi les envies des enfants et des jeunes afin de créer des projets à taille humaine et qui correspondent aux besoins et aux attentes de toutes et de tous. Les Projets Educatifs Locaux devaient ainsi se décliner en Contrat Educatif locaux passés entre les différents partenaires et qui actaient la concrétisation de ce projet. Tout un programme !!!

Mais très vite ces CEL ont été dévoyés de leur but premier. Pour caricaturer : les directeurs d’écoles assistent à une réunion au cours de laquelle on leur liste les associations qui proposent leurs services, et la gestion du planning est la préoccupation la plus importante des services municipaux en charge des « affaires scolaires ». On est loin d’une gestion du temps libre de l’enfant et du jeune qui prend en compte ses besoins et ses attentes. Les CEL sont très fréquemment utilisés comme de vastes entreprises marchandes d’occupation des enfants avec pour objectif majeur d’afficher dans une plaquette publicitaire tout ce que la mairie, ou le conseil général d’ailleurs, font pour les écoles. Les enfants et les jeunes ne sont pas du tout acteurs mais consommateurs, tout comme la municipalité, et l’école qui se retrouve en plus avec la sensation qu’on lui impose ce qui se passe sur le temps périscolaire. La réalité est en effet parfois plus proche de la rentabilité du temps ou de la promotion des associations que de la prise en compte globale du temps de l’enfant
Voilà à quoi se résume un CEL s’il n’est pas animé par des professionnels de l’éducation populaire capables de faire vivre l’objectif premier. Parce que quand un CEL est bien « mené », les ambitions éducatives sont d’une tout autre envergure.

Résultat, ce qui devait être un grand travail commun mène à des défiances. Les enseignants vivent ces « intrusions » dans l’école comme une remise en question de leur professionnalité, deviennent méfiants, parfois s’opposent à la mise en place de CEL pour éviter les prises de pouvoir de certaines municipalités.

Car si l’Ecole a bien, petit à petit, joué le jeu de l’ouverture et ainsi élargi les possibilités d’intervention auprès des enfants et des jeunes, elle a toujours souhaité en garder la maîtrise.

Un des fers de lance
de l’appel de Bobigny

Cet appel est issu des Assises nationales de l’éducation qui ont réuni en septembre 2010 une cinquantaine d’associations. Son objectif est de proposer des pistes pour mobiliser l’ensemble de la société autour de l’éducation et de la formation, dès la petite enfance et tout au long de la vie. Parmi ses 5 objectifs prioritaires : la promotion de la coéducation, de la coopération de tous les acteurs, la garantie de la place et des droits des parents, des enfants et des jeunes. Si nous pouvons partager la majorité des autres objectifs de cet appel, il n’en est pas de même quand il s’agit d’associer socle commun et coéducation pour repenser les PEL. Dans le second degré, certains enseignements (sport, arts plastiques, musique, etc) ont été considérablement « aspirés » hors temps scolaire ces dernières années (notamment avec l’accompagnement éducatif). Il est évident qu’il est nécessaire d’apporter à tous les enfants une culture large et multiple qui n’est pour l’instant accessible qu’à certains, mais cette externalisation comporte un risque d’inégalités territoriales. Il est à craindre aussi pour le statut des personnels car si on externalise l’apprentissage des Arts, du sport par exemple, que fait-on des profs des disciplines artistiques et sportives ? Donc, d’un côté, on supprime des heures d’enseignement et, de l’autre, on développe le périscolaire, mais, avec la plupart du temps, des « non professionnels ». Parce qu’il ne faut pas se leurrer, les intervenants n’ont pas tous un BAFA en poche et les clubs sportifs ou autres associations n’ont pas tous un projet éducatif cohérent avec les valeurs développées à l’école. Et au lieu d’être plus exigeant sur la formation des intervenants, sur la cohérence éducative, décision est prise par le nouveau gouvernement d’alléger encore les taux d’encadrement concernant les accueils périscolaires !

Et dans les nouveaux textes ?

D’autre part, vouloir inscrire dans la loi d’orientation la reconnaissance de la capacité des communes à intervenir sur tous les temps de l’enfant, y compris le temps scolaire a de quoi inquiéter les enseignants. Travailler en bonne entente entre le temps scolaire et le temps périscolaire ok, mais donner un blanc seing aux élus locaux pour intervenir sur le temps scolaire, là non ! La coéducation va plus loin que le partenariat ; il y a engagement sur des valeurs partagées, sur des objectifs communs et sur une finalité d’ordre politique. Cela risque de poser problème là où les idéologies politiques locales sont bien éloignées des valeurs de réussite pour tous. Que se passera-t-il si ces municipalités ont du pouvoir sur les décisions concernant le temps scolaire ?!
Et, puisque les débats actuels parlent beaucoup du temps de l’Enfant, penchons-nous un peu aussi sur le temps de travail des adultes : quels temps institutionnels sont prévus pour faire vivre de tels projets ? Actuellement aucun, et pas mieux dans la nouvelle loi d’orientation !

Dans les nouveaux textes en écriture, il est question de donner plus de poids au Projet Educatif Territorial (PEDT) avec notamment l’idée d’activités éducatives qui se déroulent dans le prolongement de la pause méridienne. La mainmise des maires sur le temps scolaire serait donc gravée dans la loi. La question des rythmes scolaires aurait pu être un bon exemple de concertation entre coéducateurs, sauf que ceux qui pèsent le plus dans les décisions sont les lobbies du tourisme et les économies financières de l’Etat.

Une véritable concertation pour des projets d’une telle ampleur ne peut se faire à la hussarde et sans prendre en compte les spécificités de l’école et de celles et ceux qui y sont au quotidien. Et si l’éducation est partagée, il ne doit pas y avoir de confusion des missions entre scolaire et périscolaire. La coéducation peut présenter des avantages si elle est travaillée en bonne intelligence, si la concertation est réelle à tous les stades du projet (élaboration, mise en œuvre, évaluation), et si les prérogatives de chacun-es sont explicitées et respectées.

La coéducation est un principe plein de bon sens mais les utilisations, les raccourcis qui sont faits actuellement sont inacceptables pour les enseignant-es. On ne peut agiter ce concept pour remettre en question l’égalité pour tous, pour défaire l’école de ses missions.

Mylène Denizot