Métropoles et régions

Dans un article intitulé « La France et la décentralisation – les systèmes territoriaux de l’Union européenne », Romain Pasquier écrit
« …la gouvernance territoriale est aujourd’hui travaillée par un fort processus de différenciation économique, politique et culturelle dans l’UE,
dont deux figures émergent : les métropoles et les régions »(1).

C’est par la presse, que les citoyens, mais aussi les élus, y compris ceux de leur couleur politique, y compris les plus proches, ont appris le 4 décembre 2012, l’accord Collomb (sénateur PS, maire de Lyon et président du Grand Lyon) – Mercier (sénateur centriste, président du conseil général du Rhône et maire de Thizy) pour en finir avec le département du Rhône actuel et créer la première métropole européenne.

Si tout se passe comme nos barons l’ont acté (et si les élu-e-s n’ont pas été consultés, par contre les ministres – Valls et Lebranchu – et le président ont donné leur accord), en 2014 le Grand Lyon (58 communes, 1,2 million d’habitants, 1,9 milliard d’euros de budget et 4 760 employés à l’heure actuelle) se substituera au conseil général sur son territoire. Le département du Rhône (1,7 million d’habitants ; 2,14 milliards de budget et 5 598 employés à l’heure actuelle) sera réduit au Beaujolais et à des bouts de territoire à l’Est et au Sud.

La nouvelle donne serait donc une métropole – le super Grand Lyon – de la taille de la région Île de France (58 communes, 12 millions d’habitants, 3,6 milliards de budget et 9 238 employés) et un département petit mais riche (500 000 habitants, 500 000 euros de budget et 1 120 employés).
La nouvelle loi, taillée à la mesure des demandes de Gérard Collomb (à moins que le président de région Jean-Jacques Queyranne, qui tente de réagir, ne parvienne à se faire entendre, le peuple, n’a pas droit à la parole !), donnera à cette métropole un vaste ensemble de compétences : développement économique, urbanisme, transports, éducation de 0 à 16 ans, social, culture, etc. Seule la ville de Paris construite sur le modèle d’une métropole, disposera de moyens supplémentaires. Sur son territoire, le Grand Lyon sera l’intervenant public unique. Il devrait notamment récupérer des compétences régionales… (Lycées, pôles de compétitivité). Et puis « des communautés d’agglomérations, nous pouvons aller vers des communautés de métropole. » projette G.Collomb qui pense déjà à Saint Etienne et Grenoble.

La démocratie est la première niée dans cette démarche. C’est, il est vrai, une donnée de base du Grand Lyon et de son président (celui qui fait ou défait les députés sur son territoire). Même le maire de Villeurbanne, membre du PS et premier vice-président du G. L., n’a pas été informé. Ne parlons évidemment pas des socialistes du Conseil Général, qui vont devoir se recycler ! Le refus de tout débat est d’ailleurs théorisé par le président « si l’on s’englue dans les débats, ça finira par ne pas se faire. ». C’est aussi par la presse que le refus du retour en régie de l’eau a d’ailleurs été annoncé aux grands lyonnais et aux élu-e-s huit jours avant la réunion du conseil communautaire ! Pourquoi perdre du temps en débat puisqu’ils feront ce que le président a décidé ? Mais les arrangements entre amis, sur le dos de la démocratie, vont plus loin. Chacun apporte sa dot dans la corbeille du mariage. Le président du conseil général se débarrasse de ses emprunts toxiques, de son musée des confluences, de son Tronçon ouest du périphérique qui s’annonce très dispendieux et, en retour, offre au président du Grand Lyon la caution financière pour son grand stade « l’OL-land » que ses élu-e-s lui refusaient.
Ajoutons le mode de scrutin, qui refusant la proportionnelle, instaure, via le fléchage, une prime aux majoritaires et le redé­coupage des cantons. Michel Mercier s’assure pour longtemps la majorité sur son nouveau département, alors que Collomb espère s’être assuré de celle du Grand Lyon. La droite semble d’ailleurs la double perdante de l’affaire. A tel point que François Noel Buffet, sénateur UMP et maire d’Oullins, possible chef de file de la droite, a demandé, lui aussi, sans en avoir jamais parlé publiquement, qu’Oullins devienne le dixième arrondissement de Lyon.

Mais au-delà de cette « guerre des places », le plus grave c’est que, fondamentalement, ces constructions éloignent encore plus, voire définitivement, les citoyens du contrôle et de la maitrise de leurs élu-e-s, de leurs services publics dit de « proximité ». Quand on voit l’importance des compétences et des moyens d’intervention d’une telle métropole, on ne peut que s’inquiéter d’une « gouvernance » qui tient les citoyens et même les élu-e-s des 58 communes loin de toute possibilité de contrôle et de choix démocratiques.

Ne parlons pas des personnels. Le transfert de près de 5 000 agents à une collectivité, dont la majorité « n’a de socialiste que le nom » selon Josée Fayard de la CGT, risque de se traduire par des mutualisations et des délégations de service public, Collomb ayant de tout temps affirmé sa préférence pour le privé et sa détestation des fonctionnaires
Cet exemple illustre parfaitement ce qui pilote depuis des années la logique « décentralisatrice ». Désengagement de l’Etat au niveau national, donc renforcement des inégalités territoriales, tentative de contrôler dans le même temps les dépenses publiques, via les dotations et une fiscalité locale encore plus injuste et inégalitaire que la nationale, recherche des espaces les mieux à même de concourir dans la compétitivité européenne et mondiale. L’unité du territoire est mise en pièce. On se débarrasse des zones peu rentables, la France ne sera de fait plus « unitaire », les métropoles joueront entre elles au niveau européen, les territoires ruraux ou déshérités regarderont le match à la télévision !

Il est intéressant de lire la nouvelle « réforme » de l’éducation sous ce prisme là. Il est officiellement acté que toutes les communes ne pourront pas faire en même temps, et d’ailleurs que l’on aidera, un peu, celles qui essaieront ! Nationale vous avez dit ? L’éducation est « nationale » ? Il y a longtemps un gouvernement avait supprimé l’adjectif du nom du ministère. Celui-ci le fait au primaire et dans l’enseignement professionnel pour commencer.

Jean-Michel Drevon

1) Dans « les cahiers français » N°362 mai-juin 2011 ; « les collectivités territoriales : trente ans de décentralisation » – La documentation française.